S'il fallait un mobile implacable pour signer la condamnation à mort définitive du régime et pas seulement le rejet populaire du 5e mandat qui est désormais dépassé après les manifestations nationales grandioses du 22 février et d'hier, il est fourni opportunément au dossier d'accusation, à la veille de la marche du 1er mars, par deux «figures» symboliques du système : le directeur de campagne de Bouteflika et ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le patron du FCE ( Forum des chefs d'entreprise) Ali Haddad. Les fuites de la conversation (non démenties officiellement) entre ces deux proches du cercle présidentiel qui ont fait le buzz sur la Toile et choqué par la violence des propos et le mépris affiché pour les Algériens ont révélé, pour ceux qui en doutaient encore, la face hideuse, prédatrice du système bâti sur le complot dans le dos du peuple qu'on prétend représenter et contre lequel des parties influentes, à l'intérieur de ce système, ont démontré qu'elles sont capables du pire, y compris un bain de sang, pour se maintenir au pouvoir. Il reste à espérer que ces forces de nuisance, ces va-t-en-guerre en uniforme ou en col blanc, prêts à sortir les «clashs» contre le peuple, selon les propos gravissimes de Sellal, soient minoritaires et neutralisés par les forces saines qui doivent certainement exister à l'intérieur du pouvoir. Les conditions exemptes de violence policière dans lesquelles s'est déroulée la marche d'hier qui succède à une semaine de manifestations populaires ininterrompues à travers tout le pays et qui se sont déroulées de manière pacifique et avec une grande retenue du côté des forces de sécurité, en dehors de quelques excès sans gravité, laissent penser que «le pouvoir réel» a opté pour la solution politique, plutôt que le recours à la force pour résoudre la grave crise de confiance du pouvoir que vit le pays. Comparativement aux événements d'Octobre 88, où l'armée avait eu la gâchette facile en tirant dans le tas sur les émeutiers faisant, selon les statistiques officielles, quelque 500 victimes, il faut admettre qu'il y a eu, jusqu'à présent, une certaine «gestion démocratique» des manifestations qui a permis à la contestation de se dérouler dans le calme et la fraternisation entre les citoyens et les forces de sécurité. Avec la démonstration de force d'hier, qui a tenu le pari de mobiliser des millions d'Algériens à travers l'ensemble du pays, dont Alger littéralement assiégée par les manifestants affluant des quartiers périphériques, mais aussi de la banlieue algéroise, les décideurs sont désormais sommés de revoir leur feuille de route politique à la lumière du message fort d'hier, en proposant une alternative à l'impasse politique et institutionnelle dans laquelle s'est fourvoyé le pouvoir en s'embarquant dans cette histoire de 5e mandat. Une alternative qui ne saurait ignorer la volonté populaire exprimée par le formidable mouvement d'autodétermination d'hier. La réponse aux revendications de la rue ne peut provenir, à l'évidence, ni du gouvernement qui est de fait disqualifié et dépassé par l'ampleur du mouvement et la nature des réformes exigées, ni d'un quelconque cabinet noir, encore moins d'un Président malade et absent du pays. Les regards sont tournés vers l'institution militaire et son chef d'état-major, le général de corps d'armée Gaïd Salah, qui est de fait et de juré interpellé pour sécuriser non plus le scrutin qui est devenu un non-sens dans les conditions actuelles, mais la nation contre les dangers sur la stabilité du pays nés des tentatives de putsch constitutionnel et des manœuvres de confiscation du pouvoir contre la volonté populaire.