Depuis le 22 février dernier, les Algériens vivent une ère historique. Ils respirent un air pur de liberté et de démocratie. Une Révolution unique depuis l'indépendance du pays. Un soulèvement aux faits inédits, dont l'originalité continue de susciter l'admiration du monde entier. Durant onze vendredis, le mouvement du 22 février a complètement bouleversé la vie et les mœurs des Algériens. Cette Révolution joyeuse, qui restera dans les annales de l'histoire, a surtout réussi à balayer tous les préjugés qu'on n'a cessé de nourrir sur les Algériens, qui ont fourni au monde des leçons de civisme et de patriotisme. Le plus beau dans ces marches est qu'elles ont donné aussi du sens à beaucoup de choses jusque-là sans importance. On citera surtout ces objets qui ont fait irruption dans toutes les manifestations pacifiques, pour finir par écrire leur propre histoire dans le parcours de la Révolution. Des objets qui ont eu un énorme succès jusqu'à devenir des symboles à part entière et des témoins matériels d'une époque durant laquelle leur présence est devenue désormais inévitable et indiscutable. Tout au long de cette Révolution joyeuse, qui bouclera demain son 78e jour, et son 12e vendredi, premier rendez-vous durant le Ramadhan, les Algériens ont vu défiler des tas de «machins». Le drapeau national en pole position Jamais depuis l'indépendance, les Algériens n'ont affiché une passion aussi dévorante à porter l'emblème national en manifestant quotidiennement pour réclamer le départ du «système». Un véritable phénomène de réappropriation d'un symbole unificateur, qu'on ne voyait qu'à l'occasion des matchs de l'équipe nationale de football, notamment lors des qualifications aux Mondiaux de 1982, 1986, 2010 et 2014, avec un épisode héroïque à Oum Dourman. Ce n'est guère un hasard que cette occasion s'offre surtout pour les jeunes, qui découvrent au fil des marches cet «objet» à forte portée nationaliste, qui a toujours galvanisé les foules, sans en connaître beaucoup de choses sur ses origines. La question que certains se posent est l'absence d'un cours même rudimentaire sur l'histoire du drapeau national dans les manuels scolaires, hormis ces résumés sur sa forme, son croissant, son étoile à cinq branches et les significations de ses couleurs. L'historique de la création du drapeau algérien ne se résume pas guère à ces détails, mais il remonte bien au début du mouvement nationaliste. Bien que plusieurs hypothèses aient été avancées sur les circonstances de sa création, l'emblème national trouve les origines de ses couleurs et de sa disposition dès 1934, quand il fut choisi comme drapeau de l'Etoile nord-africaine (ENA), fondée par Messali Hadj, qui deviendra le Parti du peuple algérien (PPA) en 1937. Des anecdotes rapportées par certaines sources révèlent que pour ne pas être découvert par les services de la police française, le drapeau national sera caché à l'intérieur du mausolée de Sidi Boumediène, à Tlemcen, parmi les étendards religieux, avant de faire un long voyage par train vers Alger apparaissant pour la première fois lors de la marche du PPA du 14 juillet 1937. Il disparaîtra pour réapparaître sous sa forme actuelle lors des manifestations du 8 Mai 1945 à Sétif. Choisi comme emblème du FLN, il sera adopté en 1958 par le GPRA, avant de devenir officiellement le drapeau de l'Algérie par la loi de 1963. Toutefois, si la présence du drapeau national s'est banalisée dans les marches populaires, le fait le plus inédit demeure l'apparition du drapeau amazighe dans de nombreuses villes. Un drapeau qui a aussi son histoire. Selon plusieurs sources concordantes, sa création est attribuée à Youcef Medkour, membre de l'Académie berbère de Paris. Il fera sa première apparition le 12 janvier 1970. Ses couleurs plus connues de nos jours sont les trois bandes horizontales, dont le bleu, qui représente la mer Méditerranée et l'océan Atlantique, le vert des montagnes et le jaune du Sahara. Le symbole central est la lettre Z de l'alphabet amazigh tifinagh (ⵣ), signe de l'être humain libre, qui est traduit par le mot «Amazigh». Sans être un intrus dans ces manifestations, le drapeau palestinien, très présent également dans les stades de football, s'est fait désormais sa place. Historiquement, il est le plus ancien des trois emblèmes, puisqu'il remonte à la Grande révolte arabe de 1916 contre l'Empire ottoman. Même ses couleurs, qui portent toujours des pages de l'histoire de la Palestine, n'ont pas changé depuis. L'inévitable smartphone Objet des temps modernes, le smartphone, téléphone portable intelligent, sophistiqué, multifonctionnel et très pratique est une véritable prouesse de la technologie. Ne reconnaissant plus les limites pour la créativité, il est l'objet vedette de cette Révolution. On ne pouvait même pas imaginer ce mouvement sans cet appareil qui fait des merveilles en immortalisant tous les moments forts de l'actualité. «Tous les Algériens branchés ne peuvent se passer de cette merveille de la technologie avec laquelle ils se partagent des photos et des vidéos des marches, c'est un moyen indispensable pour immortaliser ces moments forts dans l'histoire de notre pays, moi personnellement j'en ai fait une grande collection de souvenirs», reconnaît Tarek, étudiant à l'université de Constantine. Le smartphone n'est pas uniquement un appareil pour prendre des photos ou faire des vidéos. Il s'est imposé comme un outil de communication qui a réussi à concurrencer tous les autres moyens audiovisuels dans la transmission de l'information grâce à internet. Il suffit de consulter les sites d'information pour s'en apercevoir. Haïk blanc et robe noire Quand les femmes ont décidé de marcher lors du vendredi historique du 8 mars, la fête était au rendez-vous, avec beaucoup de choses symboliques. Comme il avait déjà fait l'histoire à la belle époque de la Révolution de Novembre 1954, le magnifique haïk, fera encore une fois l'événement. Il sera porté fièrement par de jeunes Algéroises. Par ailleurs, et même si la mlaya est portée rarement à l'Est, la djellaba, à l'ouest, s'est imposée parmi les effets vestimentaires qui ont été les principales marques de la forte présence féminine dans les marches. On ne sortira pas de ce volet sans parler d'un costume qui a défrayé la chronique, depuis la première manifestation des avocats contre le 5e mandat, le 27 février, lors de la visite à Annaba de l'ex-ministre de la Justice, Tayeb Louh. Pour la première fois, la robe noire a quitté les salles d'audience dans les tribunaux pour rejoindre le peuple. Héritage de l'époque coloniale, ce costume, qui a bien une longue histoire, puisqu'il fut instauré par Napoléon en 1810, bien connu par son rabat apparent sur la poitrine et son épitoge avec fourrure portée à l'arrière sur l'épaule gauche, connaîtra une réelle popularité lors des premières marches des avocats le jeudi 7 mars, avant cette grande mobilisation organisée à Alger le 23 mars. La robe noire fera honneur lors de la sortie historique des magistrats le lundi 11 mars à partir de la cour de Béjaïa, suivie d'un grand rassemblement à Alger le 14 mars. Un engagement qui fera date dans les annales du mouvement populaire. Le pot de yaourt d'Ouyahia A chaque fois qu'on revient sur le parcours du mouvement du 22 février, on doit passer par la case Ouyahia. L'homme des sales besognes, le plus détesté par les Algériens, doit surtout sa légendaire impopularité à un pot de yaourt. Un objet insolite qui fera son entrée dans l'histoire après la fameuse phrase de l'ex-chef de gouvernement qu'il avait prononcée avant d'être remplacé par Abdelmalek Sellal en septembre 2012. «Les Algériens ne sont pas obligés de manger le yaourt chaque jour», avait-il dit. Ces propos, qui avaient choqué le peuple, continuent de rattraper Ouyahia jusqu'à ce jour. Sans réussir à convaincre, Ouyahia avait nié avoir tenu ces propos lors d'une émission de la Télévision algérienne diffusée le 10/4/2014, alors qu'il menait campagne pour Bouteflika dans sa course au 4e mandat. Durant plusieurs jours, Ouyahia est attendu avec impatience par les citoyens devant le tribunal de Sidi M'hamed, avec des pots de yaourt. Il aura droit à un comité d'accueil lorsqu'il s'est présenté le 30 avril, suite à sa convocation par la justice. Il quittera les lieux sous un flot d'insultes devant les caméras des télévision. Des objets insolites Dans le chapitre des objets insolites, la concurrence est tellement rude qu'il est difficile de dresser une sorte de hit-parade. Depuis des semaines déjà, la palme revenait aux roses qu'aucun objet ne pourra concurrencer, surtout qu'elles demeurent les premières à faire leur apparition lors des débuts du hirak, pour être offertes par des femmes aux policiers en signe de fraternité. La longue liste des objets insolites sera enrichie au gré des marches. On y trouvera le parapluie dont on ne peut oublier l'utilité lors des journées pluvieuses de la semaine du 7e acte, quand les Algériens sont sortis malgré le froid et la neige. Dans le top ten, on citera des accessoires comme les bandeaux, les écharpes et les masques peints aux couleurs nationales et qui s'arrachaient sur les étals de fortune des vendeurs occasionnels. D'autres objets sont restés indiscrets, comme ces cannes à pêche utilisées comme porte-drapeaux, sans oublier ces belles poussettes qui ont égayé les marches historiques, ouvrant une page heureuse pour la présence des enfants. Vendredir par tous les moyens Ne manquant guère d'ingéniosité, les Algériens ont étalé tout leur savoir-faire pour exprimer leur rejet du régime. Des idées d'une originalité incomparable ayant donné vie à des objets jusque-là sans importance. A commencer par le carton qui a quitté sa place dans les poubelles pour se faire une réelle notoriété. Il sera le moyen d'expression le plus populaire. Les marches ont également fait ressortir des armoires le désormais inévitable mégaphone qui s'est démocratisé d'une manière fulgurante. La plus belle note revient surtout aux équipements audio qui ne cessent de donner la joie et la bonne humeur dans des rassemblements aux sonorités heureuses. Les fumigènes ont été également de la partie grâce aux supporters des clubs de football. Mais la plus grande surprise a été l'apparition des tifos lors des 10e et 11e actes du mouvement populaire, où des manifestants de plusieurs wilayas rivalisaient de créativité pour déployer la plus grande et la plus belle œuvre de tous les vendredis. Les mordus de cette belle création promettent déjà de belles empoignades pour les prochaines semaines.