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Un éveil populaire pour une Algérie disruptive (Partie 1)
Rachid Boudjemaâ. Professeur d'économie à l'Ecole nationale supérieure de statistiques et d'économie appliquée (Alger)
Publié dans El Watan le 24 - 05 - 2019

1. Un vendredi répétitif : du réveil du peuple à l'éveil d'un peuple
Après les événements de Kherrata et Khenchela, deux régions réputées pour leur résistance héroïque et historique, la surprenante Algérie, longtemps jugée apathique, atone et asservie, sort de sa torpeur pour renouer avec elle-même et se redécouvrir, dans ses anciennes valeurs de fineur et de combat. Dans son entièreté, elle s'éveille à son destin, longtemps malmené par des calculs politiciens étriques de ses gouvernants, souvent illégitimes et de compétence douteuse.
Elle renaît pour crier à tue-tête son ras-le-bol, vieux de plusieurs décennies et d'au moins vingt ans pour les plus jeunes de ses enfants. Un ras-le-bol intense, intact, sorti du fin fond de l'âme d'un peuple lucide qui eut raison, par sa renaissance, des diverses thérapeutiques anesthésiantes prescrites par le pouvoir politique depuis l'indépendance.
Dans tous les coins et recoins du pays, villes et campagnes, les citoyens des deux sexes, vieux et jeunes, unis par la même cause et mobilisés pour la même fin, sortent dans la rue, d'abord pour dire non au cinquième mandat d'un président-candidat invalide et ensuite, vilipender, par ricochet, avec rigueur, le mécanisme politique national en vigueur, dans tout ce qu'il a d'absolu et d'exclusif, en l'occurrence ses vices et ses tares.
Cela s'est passé en 2019, le 22 février. Un vendredi renouvelé, au fil des semaines, avec la même intensité et érigé en temps d'un peuple qui lutte, avec peine et civisme et non sans admiration, pour imposer sa volonté de façonner, selon ses attentes, la décision politique nationale. C'est la naissance d'un tiers-Etat algérien qui revendique, bruyamment, face au politique (et au militaire, malheureusement), sa participation effective à la vie du pays. Et bien plus.
Vendredi, devenu désormais journée politique, a accouché, au grand dam de l'Académie française, d'un dérivé sémantique appelé «vendredire». Un verbe d'action qui ne se conjugue qu'au futur et dont la signification tombe sous le sens. Nous «vendredirons» jusqu'à pleine satisfaction de nos attentes, disent, avec le sourire, les citoyens pour signifier leur détermination durable à répéter, chaque semaine, le 22 février, avec au moins le même nombre, la même volonté, la même résistance et la même résilience.
Et, dans cette épreuve de force dont l'issue est encore peu lisible, des parties nombreuses acquises à la tyrannie du statu quo attendent dans la panique l'essoufflement du peuple et, davantage, son moindre dérapage, pour légitimer l'infâme. C'est dire les risques inhérents à une critique systémique, à la fois collective et bruyante, et les impératifs de civisme et de discipline qui devront y être obligatoirement associés.
Face aux exigences de ce défi historique, le peuple algérien a, jusqu'ici, un comportement exemplaire. Sa cohésion reste cependant minée par un complexe de dangers, pièges, ruses, traquenards, stratagèmes émanant des décideurs et des systèmes dictatoriaux dont l'aurore est toujours construite sur le crépuscule politique des peuples. Alors, il faut savoir raison garder devant tout ce qui s'apparente au fantôme de la discorde, parce que la probabilité est grande pour que tout soit mis en œuvre, à l'échelle externe, pour éviter la contagion de ce sursaut populaire et, à l'échelle interne, pour préserver l'ordre en faillite en renvoyant, dans et par la violence, les citoyens dans leurs chaumières.
Les missionnaires zélés de la déconfiture populaire ne manquent pas, même s'ils paraissent désarçonnés aujourd'hui par une dynamique citoyenne qui se déploie avec force et sans guide ni leader, en dehors d'un chef virtuel appelé «réseaux sociaux». Par cette particularité historique, où sa force (absence de chef) se confond avec sa faiblesse (absence de chef), l'éveil du peuple est insaisissable, incirconscriptible et quasi-indéfinissable.
En tout cas, il est, pour l'instant, aux antipodes du schéma classique de mobilisation citoyenne et ne semble pas vouloir se concevoir autrement. Même si, admiré et admirable, il ne manque pas de clins d'œil y compris de la part des courtisans organiques. Rien n'indique qu'il se prépare, à court terme à une autre configuration, mais tout affirme sa teneur patriotique et son refus de se fissurer sur l'autel des intérêts matériels, des égoïsmes, des calculs politiciens, des régionalismes, des localismes et des idéologies sectaires.
Né sous le mot d'ordre de la rupture systémique, il appelle, en tant que moyen de lutte pacifique, à la construction d'une union nationale, dans le respect de la diversité citoyenne. Aussi, est-il, par bonheur carrément sourd aux vieux démons de la division actionnés par le pouvoir, depuis 1962, pour éteindre tout élan de solidarité populaire : berbère/arabe, musulman/chrétien, croyant/athée, patriote/réactionnaire, moudjahid/harki, nationalité algérienne/nationalité française, homme/femme, blanc/noir, etc.
L'électricité, note la philosophie politique, a cessé d'être une fée, même pour les enfants ; il appartient désormais aux décideurs qui voudraient convaincre les peuples de plus en plus éduqués et de plus en plus mondialisés d'innover et d'innover vrai, en matière de gouvernance.
2. Un éveil populaire prééminent, proéminent et transcendant
L'éveil populaire a débordé les limites géographiques du territoire algérien. Il se déploie partout où il y a un bout de nation algérienne. Il appelle des questions, suscite des débats. Admiré pour son civisme par les peuples asservis, il est craint par sa teneur de rupture systémique par les dictateurs qui redoutent sa contagion. Est-il besoin de noter les éloges internationaux dont le peuple fait l'objet aujourd'hui et qui le laissent, néanmoins, de marbre et surtout soupçonneux, et à juste titre, d'une ingérence vicieuse et viciée dans ses affaires intérieures.
Des voix tantôt sincères, tantôt douteuses s'élèvent en Occident et le recommandent au prix Nobel de la paix. Tant mieux que le reste du monde ait du peuple algérien une nouvelle image qui divorce d'avec les «vieux clichés» trompeurs de terroristes réels et potentiels. Mais dans l'intervalle, cette proposition de récompense est telle la langue d'Esope, bonne et mauvaise à la fois.
En effet, on peut placer un peuple sous les projecteurs de l'histoire aussi bien pour en faire un sincère exemple à suivre que pour le cibler, en tant que danger réel qu'il faut cantonner et contrer au plus vite, tant il ouvre une brèche sérieuse dans le vieil ordre colonial. Et ce danger est indiqué de façon sournoise, en priorité, à toutes les dictatures, notamment arabes, ainsi qu'au pouvoir algérien en particulier, avec lequel l'Occident entend bien continuer de commercer selon ses propres règles.
Quant aux mots d'ordre scandés et slogans brandis, ils font déjà l'objet d'analyses sémiologiques tant ils séduisent par leur originalité et leur diversité.
Quelle chance et quel bonheur de voir le peuple algérien, notamment dans sa composante la plus obligée, la jeunesse, parvenir à ce niveau de maturité politique dans un monde à la fois mouvant et menaçant. Mais tout dépend finalement d'où on parle. Ceux qui visent la longévité politique, dans la tranquillité courtisane verraient cette gratification du mauvais œil.
3. versions lacunaires et déstabilisatrices de l'éveil populaire
Pourquoi cet éveil du peuple que personne n'a vu venir ? «Bien fin qui le dirait», aurait avoué Guy de Maupassant (1850-1893). Pourtant, il faudra bien qu'on déroge à cette précaution en tentant de mettre des mots, même insuffisamment appropriés, sur les maux qui sont dans l'air du temps. L'éveil du peuple est diagnostiqué de façon différenciée. Bien qu'elles ne soient exposées, nulle part, de manière formalisée, il en existe, au moins trois versions portées, aussi bien par les «établis» qui ont compris le danger du changement que par les «résignés» ou les «désemparés» qui n'en voient pas l'intérêt ; les uns et les autres tentant, pour des raisons différentes, de vaincre leur peur, en voyant midi à leurs portes.
Ces versions, nous leur donnons forme, ici, sur la base d'une lecture des événements politiques qui ont scandé la vie politique nationale, depuis le 22 février et où l'arrogance et l'invincibilité déclarées des gouvernants des premières heures furent gagnées, très vite, par le doute et puis le déliement des langues, la scission, les retournements de veste, la critique de l'homme «providentiel» et, enfin, toute honte bue, le ralliement à la cause du peuple.
Dans sa première version, le 22 février serait un simple cri de colère d'un peuple gâté qui, dans une crise capricieuse, aurait exprimé son ingratitude à l'égard de son nourricier. Ce serait même un rot d'un peuple qui aurait bien mangé ou même trop mangé, d'effet neutre sur l'ordre établi, lequel aurait survécu à des événements infiniment plus graves et plus douloureux. La routine, les convulsions de l'inquiétude, le Ramadhan, la chaleur de l'été, les vacances, les congés et les vicissitudes de la vie pourraient bientôt raison de cette vague. C'est du moins ce que nous croyons avoir compris des discours des réductionnistes de tous bords, qui tentent de dompter leur peur en en déformant les causes.
Autistes, ils n'ont d'yeux que pour eux-mêmes et leurs intérêts qu'ils placent au dessus de tout et de tous. Armés de la force de l'Etat qu'ils usurpent pour leur compte, ils se croient invincibles, inamovibles et lecteurs infaillibles des lendemains qui chantent et (surtout) qui déchantent pour ceux qui croisent leur chemin. On leur présente «un lion», ils y voient, au plus, un «gros chat». On leur désigne «la lune», ils regardent le «doigt».
Dans la deuxième version de l'éveil, le peuple du 22 février ne serait pas conscient de son propre sursaut. N'ayant jamais eu d'autonomie, ni de libre arbitre, il se serait retrouvé dans la rue sur ordre. Un ordre donné, par un homme sans visage, qui aurait le pouvoir illimité, voire divin, de lui dicter gestes et paroles. Tel un envoyé spécial qui ne maitriserait pas sa mission, il serait au plus un corps physique massif qui témoignerait de la capacité de nuisance exhibée pour le compte d'un tiers.
Cet écho écorche même l'ouïe des malentendants. Dans sa substance, il est le paroxysme de l'humiliation, édifié pour rabaisser un peuple digne dont le seul tort est d'exprimer son droit: celui de voir la République démocratique et populaire de jure de 1962, devenir une République démocratique et populaire de facto, en 2019.
Il semble que, après l'antique «main étrangère» par laquelle on a fait et défait bien des jeux, mais dont le fonds de commerce serait apparemment amorti, on assiste à la confection d'un discours de même teneur, avec cette fois-ci, une main domestique manipulatrice. Peut-être qu'avec ce progrès qu'il fait de se soustraire d'une «main extérieure» au profit d'une «main intérieure», le peuple algérien sera-t-il un jour libre comme le stipule, sans équivoque, la première phrase du préambule de sa Constitution !
La troisième version de l'éveil du peuple, bien qu'elle soit discutable, n'est pas guidée, me semble-t-il, par de la mauvaise foi ou un quelconque calcul politicien : elle consiste à désigner le vendredi 22 février et sa «répétition hebdomadaire» par le terme «hirak» signifiant mouvement. Cette qualification, outre le fait qu'elle se caractérise, à mon sens, par un déficit d'élégance sémantique, privilégie dans sa substance l'aspect mécanique de l'événement, voire la marche du peuple au sens physique. Ôte-t-elle alors au phénomène, ou moins injustement au processus ainsi désigné sa substance politique ?
De plus, ayant déjà fait l'objet d'un usage intense au Yémen, dans une configuration sensiblement différente de ce qu'étale, aux yeux de l'observateur, le réel politique algérien, elle aide à croire à tort à «du déjà vu en d'autres temps, sous d'autres cieux». Mais o temporo, omores (autres temps, autres mœurs) dit l'adage latin.
En éluder le sens, c'est sous-apprécier la singularité historique du processus politique national mis en œuvre et faire du présent du peuple algérien, une répétition routinière du passé d'autres peuples. En effet, même s'il est normal, voire obligatoire de construire des «clés» terminologiques, sémantiques ou conceptuelles en vue d'ordonner l'infiniment dispersé, simplifier l'infiniment complexe et fixer dans et par le mot, la mouvance des Etats et des peuples, il faut veiller à ce que ces clés que nous produisons, pour ouvrir intelligiblement des forteresses fermées au départ, à l'esprit analytique, soient le plus possible adaptées aux serrures que nous voulons ouvrir ou déverrouiller. On n'est pas loin, par ce propos, d'un travail épistémologique.
4. L'éveil populaire, un court essai de décryptage
L'éveil populaire est, à notre sens, un produit d'un processus qui a mis du temps pour naître et mettre, «face à face», deux complexes de facteurs mutuellement exclusifs liés, l'un, à un peuple décidé à bâtir des lendemains qui chantent et l'autre, à un pouvoir politique décalé, qui regarde l'Algérie dans son rétroviseur historique, faisant un «déni d'obligation» d'un mode de gouvernance compatible avec les exigences du XXIe siècle. Autrement dit, il y a :
D'un côté, la volonté politique d'être d'un peuple fécond, brave, combattant, jeune, patriote, fier, digne, éduqué, instruit, stoïque, malmené courageusement par les vicissitudes de la vie politique, économique et sociale, au fait des réalités mondiales, des «us et coutumes» de la démocratie, des règles et normes de vie des peuples civilisés, initié aux technologies de l'information et de la communication, mondialement reconnu aujourd'hui en matière de méthodes de lutte politique pacifique… et j'en passe, même s'il est à la fois tentant et plaisant d'étendre à l'envi ces qualités et mérites.
De l'autre, la propension à maintenir le statu quo d'un pouvoir politique sorti de ce même peuple et désormais vieillissant, faiblement réceptif et adepte, depuis des décennies – quels que soient les femmes et hommes qui le représentent – d'une audace anachronique dans ses réponses aux défis de l'heure et de demain. Il est reproché à ce pouvoir d'avoir opéré une allocation de ressources à la fois inappropriée et inefficace et d'avoir globalement échoué sur l'ensemble des aspects du développement sociétal.
Dans leur déclinaison, on observe :
– Sur le plan économique et social, des recettes d'exportation toujours dépendantes des hydrocarbures, une économie atone et faiblement diversifiée, un désarmement industriel du pays, des déficits budgétaires et extérieurs répétitifs, un chômage, une inflation, une érosion du pouvoir d'achat, etc., que les gouvernements, dans leur succession, ont tenté de contenir inefficacement par des mesures purement «financiaristes» (emprunts obligataires, bancarisation de l'argent informel et planche à billets) en lieu et place des réformes structurelles reléguées à l'arrière-plan du développement, au nom d'objectifs «court-termistes» et éphémères ;
– Sur le plan politique, un pouvoir personnel excessif d'un homme qui n'accepte ni de partager le pouvoir ni d'être en compétitionavec aucune de ses formes. Encensé à ses premières heures par le peuple, en particulier la jeunesse qui découvre son art oratoire jubilatoire et fort de son parcours politique, il soumet personnes et institutions à sa volonté exclusive.
Prétendant être ou incarner l'Algérie, savoir et pouvoir plus que tout autre, il organise «son règne» loin de toute idéologie, sur le registre du «psychologisme» où le narcissisme et l'amour de soi n'admettent comme conditions de survie politique que la courtisanerie et la rhétorique de l'allégeance. Des cas logorrhéiques de vénération construits à son endroit par ses proches pulluleront dans le dictionnaire politique algérien à écrire.
Ils feront rire, un jour, nos petits et arrières-petits-enfants. Un tel mécanisme de congratulation à tout-va, parce que ne reposant sur rien de fondamental ou de foncier en rapport avec la grandeur nationale, ne peut être rien d'autre qu'un terreau de l'esprit courtisan qui chasse naturellement l'esprit partisan, comme dans la «loi de Gresham» où «la mauvaise monnaie chasse la bonne». Lorsqu'elle se produit dans ce type circonstances, la chute de l'homme providentiel sera sa chute personnelle et individuelle.
Il est abandonné par tous ceux qui l'acclamaient, désormais affairés à rechercher éperdument un clin d'œil du nouveau prince. C'est pathétique ! Mais c'est aussi cela la politique…
– Sur les plans moral et comportemental, l'incitation, à travers la construction de réseaux clientélistes, à la corruption et au non-travail qui cultivent l'anomie au sens «durkheimien», en tant que situation de dérèglement social, d'absence, de confusion ou de contradiction des règles sociales. Une situation que l'esprit philosophique, transcendant le temps et l'espace, déclinait ainsi au milieu du XVIIIe siècle (1748) : «L'ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir et l'avarice dans tous. Les désirs changent d'objet : ce qu'on aimait, on ne l'aime plus.
On était libre avec les lois, on veut être libre contre elles… Ce qui était maxime, on l'appelle rigueur ; ce qui était règle, on l'appelle gêne ; ce qui y était attention, on l'appelle crainte… Autrefois, le bien des particuliers faisait le Trésor public mais pour lors, le Trésor public devient le patrimoine des particuliers. La République est une dépouille et sa force n'est plus que le pouvoir de quelques citoyens et la licence de tous». Ce condensé d'ingrédients psychosociaux qui a fait dans le «corps entier de l'histoire», la décadence des gouvernements et des peuples date du milieu du XVIIIe siècle.
A croire que c'est l'Algérie qui y est dépeinte ou tout autre pays, avec lequel, elle a ses vices, en commun. Ce n'est évidemment pas le cas. Mais il y a là des analogies qui annoncent tristement que l'Algérie d'aujourd'hui n'est pas à une grande distance comportementale de la tombe de la vertu. «Plus d'Etats ont péri parce qu'on a violé les mœurs que parce qu'on a violé les lois», avertissait Montesquieu.
C'est à ce système, vu sous toutes ses tares (premier complexe de facteurs), qu'on a voulu donner un visa explicite de reconduction à travers le fameux 5e mandat. Et c'est à l'interruption de ce système que le peuple œuvre, en opposant d'abord un «non» catégorique à son illustre «symbole» et en demandant, ensuite, à tous ses soutiens et courtisans de «dégager». Il en résulte deux interprétations qu'il ne faut pas perdre de vue si l'on veut que la crise actuelle ne transforme les polarisations actuelles en futures oppositions :
– D'une part, le peuple a empêché Bouteflika de rempiler non pas à cause de sa maladie ni parce que sa personne faisait l'objet d'un indésir populaire (même s'il peut y avoir des raisons pour qu'elle le soit), mais en raison de la nature du système qu'il a représenté, sans discontinuer, pendant vingt ans. Il y a de fortes raisons de penser que les Algériens auraient, de la même façon, barré la route à Bouteflika même s'il était bien debout, sur ses deux pieds. Mais les conséquences auraient été vraisemblablement incalculables, de la part d'un homme qui se croyait nettement au-dessus du commun des mortels.
– D'autre part, le départ de Bouteflika au nom de l'article 102 de la Constitution n'est pas une fin en soi, encore moins une décharge définitive du mal présent, parce qu'il n'est malheureusement pas synonyme de la fin du système.
Le vaillant peuple algérien a bien compris cette leçon. C'est ce qui explique le fait qu'il continue de lutter pour changer «l'ordre» qu'il juge anachronique, par rapport à ses attentes même si Bouteflika ne fait désormais partie que de son passé politique. Son éveil est-il alors sa volonté de correction profonde d'un «vieux système» dont il semble posséder les voies et moyens.
Une finalité que les dirigeants intéressés n'ont ni su, ni pu, ni voulu accomplir, de leur propre chef. Il n'est pas difficile de comprendre ce que veut le peuple, même si, à l'instar de toute force naissante, il n'a pas encore de programme ni de vision formalisée autre que celle de la négation de son présent politique. Il suffit d'écouter ce qu'il revendique. Il s'agit, a minima :
– De l'installation d'une personnalité consensuelle à la tête du Conseil constitutionnel.
– Du remplacement par cette même personnalité du chef de l'Etat intérimaire actuel, qui est sommé de partir.
– De la démission du gouvernement Bedoui et la désignation conséquente d'un gouvernement consensuel composé de nouveaux membres.
– De l'installation d'une commission indépendante chargée d'organiser et de superviser l'élection présidentielle, voire le report des élections prévues pour le 4 juillet.
Exprimée en ces termes, la revendication populaire ne souffre aucune équivoque : le départ de Bouteflika signerait le démarrage du processus d'extinction d'un système, compris comme la contestation de ses méthodes et la chute de ses hommes. Mais certaines présences actuelles, au plus haut niveau de l'Etat, tendent à discréditer la dynamique citoyenne de rupture ou à la retarder le plus possible. A croire que la rue ne fut bruyante que pour bousculer certains hommes, en faveur d'autres à l'intérieur de la même physiologie politique.
Ce changement morphologique dans la continuité systémique pose un problème de taille. La raison en est que les dirigeants qui semblent se désolidariser du sort de Bouteflika et campent sur leurs positions, en tournant le dos aux attentes du peuple, le font au nom de leurs devoirs et droits constitutionnels. A son tour, le peuple qui les somme de quitter leurs fonctions le fait également au nom de ses devoirs et droits constitutionnels.
Cette partie de bras de fer produira vraisemblablement à terme, un Comité indépendant de sages (CIS) capable d'arbitrer et de faire accepter sa décision.
En vérité, les personnes ciblées par l'éveil populaire ne le sont qu'en tant que symboles d'un système honni qui n'aurait réussi que l'échec économique et social national. Par sa critique acerbe, le peuple en appelle indirectement à un «ordre» où le politique, l'économique et le social seront des pôles autonomes, devant avoir, entre eux, des rapports d'interdépendance et en aucune façon, comme on l'observe aujourd'hui, de fusion, d'absorption ou de vassalisation.
Le peuple aspire à un progrès économique, social et écologique, sous la férule d'un Etat authentique, qui serait à son service exclusif et mû non pas par le partage de la rente pétrolière, mais par la compétence, l'intégrité, la loyauté, la rigueur, le sacrifice, l'abnégation, le dévouement de ses enfants, autant de valeurs que la logique du pouvoir a étouffé des années durant, au profit du vol, de la corruption, de la gabegie, de l'arbitraire, de l'insulte, de l'humiliation, de l'aventurisme politique, de l'absence de «redevabilité» et, enfin, de l'avènement d'un être politique national, dans toute la laideur qui lui sied à ravir.
Les peuples n'ont que le gouvernement qu'ils méritent, aiment à dire les philosophes. On espère qu'au peuple algérien en éveil correspondra, à court terme, un gouvernement nouveau et approprié aux nouveaux défis, dans ses vision et méthode. Aussi, ce qui se passe en Algérie n'est-il point à déplorer ; bien au contraire, il faut l'accueillir comme un signe de bonne santé du peuple. «Si dans l'intérieur d'un Etat, vous n'entendez le bruit d'aucun conflit, disait Montesquieu, vous pouvez être sûr que la liberté n'y est pas.» … A suivre


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