L'abrogation du service civil décidé par le président de la République, longtemps revendiqué par les médecins spécialistes – pour beaucoup, ils assurent actuellement les urgences dans les grands hôpitaux européens en cette épidémie de Covid-19 – est une reconnaissance pour tout le corps médical. Un corps qui, à cette occasion, a subjugué le monde entier et l'Algérie en particulier. La suppression du service civil remet sur la table les principales revendications des personnels de santé, qui datent de plus de vingt ans, portant sur les statuts particuliers, l'allocation de retraite des hospitalo-universitaires amputée de 50%, le manque de moyens matériels et l'épineuse question de la grille des salaires jugée la plus basse dans le Maghreb. Un ensemble de revendications longtemps portées par les syndicats, en vain. Face à un blocus des pouvoirs publics, l'Algérie a connu, ces vingt années, un départ massif de ses médecins de l'hôpital vers le privé ou vers l'étranger. Et on n'a jamais tenté de les retenir. En 2019, 4000 médecins spécialistes ont postulé pour le Diplôme de formation médicale spécialisée approfondie (DFMSA) en France, un pays où 15 000 médecins spécialiste sont déjà installés. Une année de mobilisation, de marches et et de rassemblements en 2017/2018, avec une grève de 8 mois pour revendiquer l'amélioration du système de santé algérien et une meilleure prise en charge des malades, a été menée par de milliers de médecins résidents malmenés a vu enfin des résultats. A travers cette suppression, le président de la République propose une réforme de ce service en doublant le salaire pour ceux qui souhaitent se rendre dans les villes du Sud ou des Hauts-Plateaux. Est-ce suffisant ? Pour le président du Syndicat national des médecins spécialistes (SNPSSP), le Dr Mohamed Yousfi, qui salue la décision, le problème des médecins spécialistes ne réside pas seulement dans la revalorisation des salaires. «Le service civil imposé aux médecins spécialistes a été une décision anticonstitutionnelle du fait qu'on est les seuls à l'assurer. Nous avons revendiqué sa suppression depuis 2002 et nous avons frappé à toutes les portes (ministère, APN, etc.) en vain», a-t-il rappelé. Le Dr Yousfi estime que «la décision du président de la République vient réparer, à travers cette mesure incitative forte, une injustice dont est victime le médecin spécialiste depuis des années, mais les mesures incitatives restent insuffisantes». Et d'insister sur l'importance des autres mesures incitatives, au niveau local et national, qui doivent être complétées pour un système national de santé fort. Il évoque ainsi le statut particulier du médecin spécialiste «pénalisant», qui est toujours en souffrance au niveau du Premier ministère, ainsi que le dossier relatif à la prime d'intéressement et à la discrimination dans l'imposition. «C'est à travers la révision de ce statut que découleront d'autres mesures incitatives encourageant le médecin spécialiste à opter pour la santé publique au lieu d'aller vers le privé ou à l'étranger», a-t-il ajouté. Le Dr Nabil Lalmi – membre du Camra qui a porté la revendication pendant des années – assure depuis une année le service civil à l'EPH de Laghouat, loin de sa famille et de son enfant. Il salue la décision, mais il déplore : «C'est dommage que l'on résume cela à une simple décision politique, sans prendre en compte toutes les autres solutions pour une couverture sanitaire adéquate et équitable, avec tous les moyens nécessaires à la prise en charge médicale. Le problème est ainsi résolu de manière expéditive, ce qui risque de perdre en crédit.» Le Dr Lalmi pense quel'alternative serait plutôt dans la création de pôles de référence pour une santé pour tous, comme cela avait été proposé à l'époque. Le Dr Adel Lalmi lance un appel portant sur l'importance du respect des mesures barrières contre le Covid-19, notamment les mesures d'hygiène, la distanciation et le confinement. «En tant que corps médical, nous tenons à appliquer toutes ces mesures dans le souci de nous protéger et de protéger les autres, notamment nos patients, pour éviter l'hécatombe», a-t-il souligné. Merkoune Hamza, membre du Camra et résident en quatrième année au service de médecine légale du CHU de Beni Messous, salue la décision de la suppression du service civil : «Une décision qui doit être accompagnée par des mesures incitatives pour les jeunes médecins pas seulement financières. Il ne sert à rien d'aller travailler dans des zones où les hôpitaux sont dépourvus de moyens pour la prise en charge des malades.» Abondant dans le même sens, son collègue Lyes Khaled estime que la décision est encourageante, mais «les autres revendications des médecins résidents doivent être prises en compte, notamment le statut particulier qui n'est pas encore défini. Nous sommes des fonctionnaires et des étudiants à la fois, mais personne ne reconnaît notre statut pour qu'on puisse bénéficier des avantages de la santé publique au même titre que nos collègues». Le Dr Kamadj Adel du même service est contre cette décision et estime qu'«en l'état actuel des choses, la suppression du service civil n'arrange que les médecins spécialistes qui ont l'intention de s'installer dans le secteur libéral, surtout pour certaines spécialités. Les hôpitaux vont être désertés. Il faut soumettre le problème au choix. Les revendications des médecins spécialistes portent également sur la révision de leur statut». En attendant la mise en application de cette nouvelle décision, le secteur de la santé s'attend à une profonde réforme.