Sous la lumière crue des projecteurs technologiques, la bibliothèque de Shenzhen – une des municipalités les plus riches de Chine – ne se contente plus d'être un simple lieu de lecture. Elle se présente désormais comme une vitrine industrielle, un démonstrateur de « bibliothèque du futur » où tri robotisé et emprunt sans contact redéfinissent l'accès à la connaissance. Sur le site nord de la Shenzhen Library, inauguré en décembre 2023, l'innovation est visible dès l'entrée. Oubliez les longues files d'attente : ici, les livres retournés ne passent plus d'abord par des rayons humains. Ils sont pris en charge par un système robotisé de tri, capable de gérer des flux massifs de documents et d'accélérer la remise en rayon et la redistribution vers les antennes locales. Cette avancée s'inscrit dans la lignée des technologies déjà expérimentées au Bao'an Library où des robots intelligents ont commencé à « digérer » les retours de livres à haute cadence — près de 2000 volumes par heure selon certains rapports, indique 21 Jingji. Ce n'est pas un gadget. C'est une transposition des technologies logistiques largement adoptées dans les entrepôts (similaires à celles d'Amazon ou d'Alibaba) à l'univers culturel. La bibliothèque devient, en quelque sorte, une usine du livre — mais une usine au service du lecteur plutôt que du profit. Emprunt sans contact : simple, rapide, fluide Là où ce laboratoire urbain devient réellement révolutionnaire, c'est dans l'expérience du lecteur. À Shenzhen, il est possible de réserver et emprunter un livre sans interaction physique avec un personnel, grâce à des bornes automatisées et à des systèmes RFID intelligents qui lisent et enregistrent les documents sans contact. En amont, chaque exemplaire est repéré électroniquement et chaque demande de lecture est traitée par un système de stockage intelligent, capable d'extraire un volume des profondeurs de l'entrepôt en quelques minutes seulement — parfois en moins de 10 minutes selon Old library. Le pari n'est pas uniquement technologique, il est aussi sociétal : offrir une bibliothèque qui fonctionne quasiment 24 h/24, 7 j/7, sans les contraintes traditionnelles des horaires d'ouverture — un atout certain pour une métropole qui ne dort jamais. Un défi architectural et culturel L'architecture en elle-même prend des allures de manifeste. Le bâtiment de 72 000 m2, avec ses six étages au-dessus du sol et trois en dessous, abrite une salle de lecture gigantesque — 2 500 places — mais aussi un entrepôt robotisé capable de stocker plusieurs millions de volumes. Cette immersion systémique dans l'automatisation modifie le rapport de chacun au livre. Les lecteurs ne feuillettent plus uniquement sur place ; ils peuvent interagir avec un écosystème numérique, soumettre une requête digitale et voir leur ouvrage surgir comme par magie. Une expérience qui confine parfois à la science-fiction — et qui pose des questions. Entre tradition et modernité : questions et paradoxes Car ce virage technologique n'efface pas les dilemmes culturels. Certains utilisateurs nourrissent une nostalgie pour le bruissement des pages et le contact humain au comptoir. La question se pose, en filigrane : jusqu'où la bibliothèque peut-elle automatiser son service sans perdre ce qui fait son âme? Dans ce laboratoire urbain, la technologie ne remplace pas encore totalement l'humain, mais elle réinvente la chaîne du livre — de la réception du retour à la mise à disposition, tout en réduisant les tâches répétitives pour les bibliothécaires. Un modèle exportable ? Shenzhen n'est pas la seule à explorer ces voies. Des bibliothèques aux Etats-Unis ou en Europe expérimentent déjà des kiosques RFID et des systèmes robotisés de stockage. Mais l'échelle colossale de l'installation shenzhenaise — l'un des plus grands entrepôts automatisés de livres au monde — en fait un laboratoire de référence. Une sorte de « bibliothèque-usine » du XXIe siècle, qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses définitives.