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Marcel Proust et Taha Hussein : Les intermittences de la phrase
Publié dans El Watan le 19 - 04 - 2020

Deux cent quarante-trois mots, superbement alignés et agencés ! C'est, jusqu'à preuve du contraire, la phrase la plus longue de toute l'histoire de la langue française.
Cette phrase qui coule, tout de même, comme une eau de roche, est de Marcel Proust (1871-1922), auteur du célèbre roman-fleuve A la recherche du temps perdu. Ce titre, à lui seul, comme on l'a toujours dit, révèle déjà une charge hautement poétique.
Toutefois, en dépit d'une longueur stylistique exceptionnelle, Proust s'était permis de naviguer, durant plus de seize années consécutives, sur un océan houleux fait, non de récifs et de gouffres amers, mais, d'idées et de sensations,émaillant, tout naturellement son style de gentilles périphrases, de subordonnées relatives et de propositions circonstancielles de temps, sans pour autant rendre son texte rébarbatif.
Ce grand malade, cloué à son lit, volontairement au départ, puis, malgré lui, de 1906 à 1922, finit par décrocher une espèce de palme d'or qui, sans conteste, lui revenait de droit parmi les écrivains de sa génération. Quelques heures avant de «s'éteindre, avec des pensées superbes et sublimes», cet Ulysse de la littérature dit alors à sa fidèle gouvernante qu'il venait tout juste de mettre le mot «fin» à son œuvre, et qu'il lui était désormais possible de mourir tranquillement.
A la merci permanente de crises d'asthme, aucune médication calmante, en dehors de l'écriture, n'a pu triompher de son mal : ni les piqûres répétées de camphre, ni les séjours en stations balnéaires, ni le soleil méditerranéen ou les fumigations, ni même le fait de vivre dans une chambre capitonnée de liège ! Plus de sorties, ni de soirées mondaines qui, jusqu'alors, ponctuaient la vie de la Belle Epoque, entre 1880 et 1914. Il fut donc forcé de se confiner pour reprendre un verbe très actuel, dormant le jour et travaillant la nuit jusqu'à l'aube. Durant toute ces années, il n'eut d'autre préoccupation que de mener à bien son œuvre romanesque monumentale. Le souvenir de la fameuse madeleine trempée dans du thé n'allait pas perdurer.
Pourtant, ce souvenir, on le sait bien, est, en quelque sorte, la matrice de son travail titanesque. Il lui a donc fallu louvoyer et provoquer sa mémoire dans ses derniers retranchements. Comme expédient, ou comme prolongement, il eut recours à cette phrase longue et sinueuse pour se ménager un va-et-vient entre ses souffrances physiques et son propre passé.
Aussi, dans son subconscient, il fit de sa longue phrase une sorte de machine respiratoire, compensatrice de son besoin de s'oxygéner. Comment donc triompher, ne serait-ce que momentanément, de ses faiblesses à répétition sinon par esprit inventif ? Eh bien, ce style qui fut son apanage lui avait permis, à chaque fois, de humer l'air presque normalement.
Au paroxysme de l'étouffement, Proust se ménageait, avec bonheur, une petite sortie. Celle-ci n'était possible, dans son subconscient bien sûr, que par le biais de cette phrase longue qui lui fut spécifique, donc salutaire.
Il s'appliquait ainsi à travailler d'arrache-pied à son roman, non pas uniquement pour se souvenir d'un passé heureux, mais, aussi, et c'est là l'essentiel, pour pouvoir respirer, ramener un peu d'oxygène à ses poumons meurtris. C'est pourquoi, cette phrase longue et sinueuse fut une planche de salut pour lui,durant seize longues années. Proust respirait via cette belle mécanique respiratoire qu'il s'était inventé et qui fut sa marque déposée dans le domaine littéraire.
Faut-il encore relever que dans les écrits sur Proust cet «artifice merveilleux» semble n'avoir pas retenu l'attention des spécialistes. N'est-ce pas que le propre de la littérature est d'apporter un plus esthétique et logique à la vie de l'homme ?
Il reste, cependant, que la phrase débordant de Proust,n'a jamais été à la portée de tout écrivain. En effet, pour arpenter le même sentier que lui, il faut souffrir, à la fois, de crises aiguës d'étouffement et être d'une sensibilité à fleur de peau, faute de quoi, il vaudrait mieux ne pas s'y aventurer ! Les asthmatiques sont légion de par le monde, et les écrivains parmi eux n'ont pas eu la chance de faire valoir cet expédient proprement proustien.
Le deuxième cas, spécifique lui aussi à plus d'un titre, se retrouve dans la littérature arabe contemporaine avec Taha Hussein (1889-1973), frappé de cécité à l'âge de trois ans. Cela ne l'empêcha nullement de mener une vie à l'image d'une personne jouissant de toute sa faculté visuelle.
Le voilà, en effet, poursuivre des études supérieures à Al-Azhar, puis, à la première université qui venait d'ouvrir ses portes au Caire avant d'aller, soutenir sa thèse d'état à Paris. Qui ne connaît pas«Les jours», récit autobiographique passé dans plusieurs langues depuis sa publication en 1930?
Les lecteurs n'ont-ils pas été subjugués par une plume à nulle autre pareille, dans «Les damnés de la terre» ou «L'appel du courlis»?Et les étudiants en lettres des universités du monde arabe, ne continuent-ils pas à potasser ses textes de critique littéraire par lesquels il a apporté une lecture nouvelle de tout ce qui a trait à l'étude de la littérature arabe classique, notamment à l'avènement de l'Islam, sans compter ses innombrables traductions à partir du français, du latin et du grec?
Au fil de ses écrits, Taha Hussein fit usage d'une thérapie intrinsèque, qui ne convenait, bien sûr, qu'à sa personne. Son parcours, si l'on excepte son maître à penser, El-Maari (Xe siècle), demeure non seulement unique, mais impossible à suivre ou atteindre par tous ses imitateurs. En raison de l'illettrisme sévissant alors en Egypte et dans le monde arabe, ses œuvres n'ont peut-être pas été à la portée de tous ses lecteurs en cette première moitié du XXe siècle.
Cependant, au plan sociopolitique, ses concitoyens se souviennent toujours de la décision révolutionnaire qu'il prit du temps où il fut ministre de l'éducation sous la gouvernance monarchique : «Désormais, l'enseignement, sera à la portée de tous les égyptiens, comme l'eau et l'air !» Lui aussi s'était trouvé au pied du mur.
En effet, comment procéder dans une «noirceur absolue» sinon en faisant de la langue un lampadaire bien adapté à son handicap visuel? Sans suivre de près Marcel Proust, il fit de son style, qui est du reste unique dans la littérature arabe, un pendant heureux et inattendu qui devait l'extirper, d'une certaine manière, de sa cécité.
Le lecteur qui n'est pas au fait du handicap de ce grand homme de lettres, tombe, au fil des pages, sur des phrases comme : «je ne vis jamais une telle chose», «je vis son sourire de mes propres yeux!», «je vis sa fin», «une tragédie que nous vîmes ensemble»,«je dirige mon regard vers le miroir»,«Le miroir est aussi éloquent que l'œil», «je le contemple longuement», «je voyais ma sœur grandir !» etc. Autant d'expressions et tournures mettant en relief ce penchant naturel de Taha Hussein à se donner l'allure et le comportement d'un intellectuel voyant comme le reste de ses pairs aussi bien à l'université que dans la vie quotidienne.
Par cette trouvaille, somme toute heureuse, qui lui a permis, inconsciemment peut-être, de mettre la barre toute haute, ce maître du verbe invite ses lecteurs à le situer, avant tout, parmi les auteurs de l'ère classique. La raison en est que son apprentissage de la langue arabe s'est fait, essentiellement, par l'ouïe.
Dans les textes classiques, la ponctuation, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, n'avait pas d'existence. D'ailleurs, on apprenait comment déclamer la prose et la poésie via un chapitre particulier de la rhétorique appelé «el-fasloua el-wasl», c'est-à-dire la manière d'observer et de marquer les coupures des phrases ainsi que leurs liaisons. Le tout était basé sur une maîtrise sine qua non du souffle, bien entendu. En cela, Taha Hussein n'était pas loin de Marcel Proust. Sa phrase est, assurément, moins longue, mais, elle est truffée de pronoms relatifs et de répétitions.
En résumé, ces deux maîtres incomparables nous apprennent une chose certaine : qu'il y ait des écrivains asthmatiques ou aveugles de par le monde, ce n'est sûrement pas dans le sable que se retrouvent leurs traces. Il suffit donc de trouver le plaisir de les lire, et c'est déjà beaucoup.

Par Merzac Bagtache


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