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La question de Palestine
UN OUVRAGE DE REFERENCE
Publié dans El Watan le 22 - 07 - 2020

Edward W. Saïd en 1992, dans la préface à la nouvelle édition de La question de Palestine (première édition, New York, 1979) remarque que les principales caractéristiques de la vie palestinienne demeurent la dépossession, l'exil, la dispersion, la dépendance et, certes pas la moindre, une résistance générale et obstinée à toutes ces infortunes. Et, pourrions-nous ajouter, une résistance qui force le respect et permet d'espérer dans les circonstances les plus désespérées…
Edward Saïd est né en 1935 à Jérusalem en Palestine, terre qu'il a quittée avec tous les siens en 1948, un an après la Nakba. Pour les Palestiniens, écrit Elias Sanbar, commence alors le temps de l'absence. Depuis lors, il vécut en exil et le pays natal deviendra pour lui un "souvenir mélancolique". Un retour sur les lieux de l'enfance en 1992 (qu'il raconte dans son autobiographie A contre-voie) fera naître des sentiments douloureux. La maison est habitée et d'autres dorment dans son lit. Les indus-occupants de son rêve d'enfance ont détruit ses souvenirs et ses espoirs. Douloureuse appartenance que celle qui s'inscrit dans le passé et le "désormais plus". Le 15 novembre 1988, il avait lu à Alger la déclaration de naissance de l'Etat palestinien. En 1977, il avait été élu au Conseil national de Palestine dont il fit partie jusqu'en 1991, date de sa démission.
La question de la Palestine entreprenait d'offrir une présentation des Palestiniens et de leur situation, bien au-delà des caricatures grossières véhiculées par les médias occidentaux. Raconter l'expérience terriblement traumatisante de l'arrivée des premiers colons en 1880 et ses dramatiques conséquences sur le peuple palestinien. Et pourtant, reconnaît Edward Saïd, «en dépit du fait que nous ne disposons pas d'un territoire à nous, si nous sommes restés unis en tant que peuple, c'est largement parce que l'idée palestinienne que nous avons tirée de notre propre expérience de la dépossession et de l'oppression qui nous exclut, a une telle cohérence que nous y avons tous répondu avec enthousiasme».
Malgré les exactions, les spoliations et les agressions multiples dont les journaux, parfois (trop rarement !) nous donnent des images : fillette jetée à terre par un soldat qui l'écrase de son pied lourdement chaussé, ses affaires d'école dispersées autour d'elle, petits garçons menacés par des fusils et humiliés encore au retour de l'école... tant d'injustices qui ne semblent pas émouvoir et dont on parle peu ou à mots couverts parce qu'il s'agit d'une véritable négation de l'autre, celui que l'on veut nier pour mieux le déposséder… Méthodes connues qui ont fait leurs preuves en Algérie et dans tous les pays martyrisés. Les psychiatres parleront d'hallucination négative qui consiste à ne pas voir l'existence de l'Autre. Cette relation est non seulement toxique mais psychotique. Les textes d'Edward Saïd constituent une résistance littéraire à un génocide intellectuel.
La question de La Palestine est le combat entre une affirmation et un déni. «La compétition a été inégale de manière presque bouffonne depuis le début», écrit-il. Et les intellectuels ont regardé ailleurs, sans doute gênés de leur propre lâcheté, ce qui constitue selon Saïd une énorme trahison des clercs pour reprendre le titre du livre de Julien Benda (paru en 1927 et souvent réédité) en ceci que leur silence, leur indifférence ou leur ignorance et leur non-engagement perpétuent les souffrances d'un peuple qui n'a pas mérité une si longue agonie. «Aucun autre mouvement dans l'Histoire n'a rencontré un adversaire aussi difficile: un peuple reconnu comme l'archétype de la victime de l'Histoire.»
Après cette longue introduction qui remet en perspective la situation actuelle de la Palestine, Saïd entreprend l'historique de cette région du monde. Et l'aborde par la dénomination La question de ... qui avait cours à l'époque et qu'on n'emploie plus guère aujourd'hui à mesure que le territoire s'amenuise sous les coups de boutoir des colons, de leurs alliés inconditionnels et de l'indifférence encore plus dévastatrice du monde entier. Sans doute parce que la Palestine elle-même est une des notions les plus discutées, parfois même les plus contestées.
Et pourtant, en remontant le cours du temps, Saïd en revient aux origines : «Sur la terre nommée Palestine, il existait depuis des centaines d'années, à une énorme majorité, un peuple largement rural et néanmoins socialement, culturellement, politiquement et économiquement identifiable, un peuple dont la langue et la religion étaient (pour l'immense majorité) l'arabe et l'islam. Ce peuple (…) s'identifiait avec la terre qu'il cultivait et sur laquelle il vivait au moins jusqu'à ce qu'une décision presque entièrement européenne fût prise pour que la terre soit repeuplée, recomposée, reconquise par les Juifs qui y seraient amenés d'ailleurs.» (p.62)
Comme le disait Tolstoï, les familles heureuses sont toutes les mêmes et les malheureuses sont toutes différentes dans leur malheur, chaque traumatisme palestinien particulier ressemble à une variation sur le même thème répété 3,5 millions de fois. Autant d'histoires de courage et de souffrances. Une image me reste en tête. C'était un résistant qui s'en prenait à des troupes lourdement armées, à l'aide d'un lance-pierres, objet dérisoire contre les fusils. Mais rien n'entamait son obstination. Il avait perdu ses jambes lors d'un combat et se déplaçait, depuis, en chaise roulante, toujours avec son lance-pierres et sa volonté inébranlable. Un dernier assaut et il succomba. On le reconnut parmi les nombreux corps enveloppés de linceuls déposés à même le sol, à son aspect étrangement court.
Il retrouvait, en ce lieu, sa dignité de combattant et de martyr. Des histoires comme celle-là, il y en a beaucoup, la liste est longue… et tellement vaine. Edward Saïd nous conte l'histoire d'une vieille paysanne palestinienne qui habitait un petit village de Galilée tombé aux mains des sionistes en 1948, juste un an après la Nakba. Nous dormions cette nuit-là dans les vergers du village. Au matin, nous sommes allées Umm Hussein et moi au village. J'ai rencontré Umm Taha sur mon chemin. Elle pleurait et m'a dit : ‘‘tu ferais mieux d'aller voir ton mari, il est mort'». Je l'ai trouvé. On lui avait tiré une balle dans la tête par-derrière. Je l'ai traîné à l'ombre et je suis allée chercher Umm Hussein pour qu'elle m'aide à l'enterrer. Je ne savais pas quoi faire. Je ne pouvais pas lui creuser une tombe. Nous l'avons transporté à l'aide d'une planche et nous l'avons enterré dans la tombe de sa mère (…).
Elle ne cessa de se demander si elle l'avait bien enterré. Elle resta six jours sans manger et puis elle se dirigea vers la Syrie s'ajoutant aux exilés, vivant pour la plupart dans des camps. Ceux qui sont restés ont dû faire face à la sauvagerie la plus ignoble que Saïd décrit ainsi : «A un niveau, aussi bien théorique que pratique, les colons sionistes-juifs espéraient que les Arabes s'en iraient ou ne les embêteraient pas si, eux, les Palestiniens, étaient ignorés, laissés tranquilles, évités. Plus tard, ils ont pensé que punir les Palestiniens en les maltraitant ou en les terrorisant les amènerait à accepter le sionisme.
Après 1948, l'Etat d'Israël a entrepris d'effacer les traces humaines de la population arabe autochtone, tentant de la réduire à une classe de sujets abêtis, pouvant à peine se déplacer, complètement assujettis. Après 1967, on a fait usage de plus de férocité dans les territoires arabes occupés de Cisjordanie, du Golan, du Sinaï et de la bande de Gaza. Rien n'a été épargné aux Arabes : torture, camps de concentration, déportation, villages rasés, défoliation des champs (…) maisons détruites, terres confisquées, ‘‘transfert'' de milliers de personnes. Pourtant, les Palestiniens n'ont pas disparu, même si aux yeux du monde, ils ne jouent qu'un seul rôle, celui du ‘‘problème palestinien''(p.198).
Le livre d'Edward Saïd paraît pour la première fois en 1979. Plus de quarante ans après, alors que l'auteur a succombé en 2003 à une leucémie, la situation a tragiquement empiré. Le territoire palestinien s'est effrité, les exactions et les crimes se perpétuent. Les projets d'annexion qui ne s'embarrassent plus désormais d'aucune rhétorique, s'affichent avec impudeur à la face d'un monde qui, en Europe, fait entendre ici et là de faibles protestations vite étouffées par le brouhaha du quotidien et l'indifférence générale.

Par Amina Azza Bekkat
Edward W. Saïd, La question de Palestine, Sindbad 1992/ A contre-voie, mémoires, Le serpent à plumes, 2002/ Amina Bekkat, Edward Saïd, Variations sur un poème de Mahmoud Darwich, Ed. Chèvre-feuille étoilée, 2006.


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