En plus de son puissant talent de romancier, le sort a généreusement doté Abderrahmane Mounif(1) du don d'aimer. Aimer la terre natale et le peuple dont il est issu. L'amour de Mounif pour le pays natal n'a pas de limites. Il y est né, il y a grandi, il est lié à lui par des liens viscéraux qui sont dus surtout à sa participation personnelle à la lutte, qui, lorsqu'il était jeune, s'est déroulée dans ce pays, le traversant de part en part. Aimant cette terre d'un amour sans bornes, le romancier voit combien elle est belle, si belle qu'elle n'a aucun besoin d'être enjolivée. «Le désert, qui m'a vu naître, est la plus belle terre du monde», disait le héros de A l'est de la Méditerranée. Dans ses romans, Abderrahmane Mounif n'a que très rarement recours à des épithètes ronflantes, à des métaphores frappant l'imagination. On trouverait peu de comparaisons dans le genre de celle-ci : «Le soleil mûrissait au-dessus du village telle une orange...» (Terre des damnés, p. 152)(2). La force de l'écrivain est ailleurs : c'est une précision du premier degré dans l'expression de la pensée, la description de l'acte ou du tableau. Abderrahmane Mounif aime aussi «ses personnages». On dirait même qu'il «a pitié» pour tous ces hommes et toutes ces femmes auxquels son talent donna vie. Et cet amour tendre, cette sollicitude que l'écrivain éprouve pour la plupart de ses héros réchauffe les pages de ses romans, tel un sang maternel ne se refroidissant jamais qui circulerait dans chacune des lignes que le romancier a écrites. Je répéterais donc que seul l'amour sans bornes que l'écrivain voue aux gens de son pays, prototypes des personnes de ses romans, seul cet amour a pu donner vie à ses héros, trouver l'explication de leur conduite, qu'il s'agisse de leurs actes raisonnables ou de leurs errements. Dans cette prise de conscience du destin pénible, voire tragique de ses personnes, l'écrivain atteint parfois des généralisations d'ordre très élevé qui deviennent des symboles (Villes de sel - 5 tomes). 1- A. Mounif est décédé en 2004 à l'âge de 70 ans.
2- Traduit chez Sindbad (voir Actes-Sud actuellement).