Une jeune historienne restitue avec brio et nuances le parcours du grand militant nationaliste. La révolution algérienne continue de livrer avec parcimonie ses vérités. Cinquante ans après l'indépendance, des parcours peuvent encore étonner par leur singularité et la nature de leur engagement, des parcours exemplaires qui peuvent éclairer un présent parfois chaotique.C'est ainsi que l'historienne, Malika Rahal, nous livre une remarquable biographie consacrée à feu Ali Boumendjel*. Cet ouvrage s'inscrit dans la continuité de sa thèse portant sur l'histoire de l'UDMA (Union démocratique du manifeste algérien), présidée par feu Ferhat Abbas. Comme le rappelle l'auteure dans son introduction, c'est la famille Boumendjel qui est à l'origine de ce travail. Mais, rapidement, l'historienne se rend compte que le récit familial et les différents témoignages mis à sa disposition sont insuffisants pour aboutir à un travail qui rompt avec l'hagiographie. En historienne avertie, elle élargit le champ de son investigation pour solliciter d'autres sources que le témoignage oral et les archives familiales. Le lecteur est rapidement happé par les multiples connexions qui s'offrent à lui, pour plonger dans une période riche en événements et en bouleversements sociopolitiques. D'abord, on fait connaissance avec la famille Boumendjel, originaire des Ath Menguellet, près de Aïn El Hammam. Le père, Mohand, élève brillant à l'école communale, devient instituteur et prend son premier poste à Relizane. C'est dans cette charmante ville de l'ouest algérien que naît Ali Boumendjel, le 24 mai 1919. Et comme la vie des enseignants est soumise aux aléas des affectations de la tutelle éducative, il fera sa scolarité à Larbaâ, tout proche d'Alger. Aussi brillant élève que son père et lecteur invétéré, il décroche avec brio la bourse qui lui permet d'accéder au collège Duveyrier de Blida, que l'auteure désigne comme une «pépinière nationaliste». Il aura des camarades de classe prestigieux, tels Abbane Ramdane, Benyoucef Ben Khadda, Saâd Dahlab et Sadek Hadjrès (ainsi que le journaliste Jean Daniel). Tous ces futurs héros de la révolution algérienne sont encadrés par le Dr Lamine Debaghine, leur maître d'internat. L'initiation à la lutte se fait par les grèves déclenchées autour des conditions de vie au collège. Après le lycée, Ali Boumendjel bifurque vers le droit, sur les traces de son frère aîné, l'avocat Ahmed, proche de Ferhat Abbas. Cela va l'amener vers une activité journalistique intense au journal Egalité, organe des Amis du manifeste algérien. La répression du 8 Mai 1945 va lui inspirer l'un de ses articles les plus percutants, intitulé «Le temps des cerises», en référence à la chanson de la Commune de Paris. On peut lire ainsi sous sa plume : «Temps des cerises 1945. On pourrait allonger à l'infini le martyrologe de ce printemps rouge, de cet été tragique, de cette année terrible. C'est de ce temps-là que je garde au cœur une plaie ouverte dit la vieille chanson. Oui, l'Algérie musulmane tout entière garde au cœur une plaie ouverte qu'on tarde dangereusement à panser». La création de l'UDMA, en 1946, le fera entrer de plain-pied dans le militantisme politique, tout en gardant une grande liberté dans ses opinions et ses amitiés. Après le déclenchement de la révolution du 1er Novembre 1954, il devient l'avocat des nationalistes algériens qu'il défend avec abnégation. En 1955, quand Abbane Ramdane sort de prison et s'installe à Alger, leur amitié va les rapprocher pour amener l'UDMA à intégrer le FLN. Et c'est à l'instigation de Abbane Ramdane que Ali Boumendjel change d'orientation professionnelle et rejoint le service contentieux de la compagnie pétrolière Shell. Surveillé de près par les paras qui prennent le pouvoir à Alger à partir de la fin 1956, il sera arrêté le 9 février 1957 sur son lieu de travail. Détenu pendant plus de quarante trois jours, il subit les tortures les plus horribles. Les paras de Massu et de son homme de main, le sinistre Aussaresses (qui a reconnu le crime en 2001) vont le jeter du haut d'un immeuble d'El Biar. Le 23 mars 1957, son assassinat est maquillé en suicide, comme dans le cas de Larbi Ben M'hidi. Cette mort va susciter une grande émotion et une indignation sans commune mesure en Algérie et en France. Malika Rahal a réussi une biographie riche aux multiples facettes et sans concessions. La limpidité du texte qui se lit de façon heureuse nous restitue une époque trouble et passionnante par ses hommes et leurs sacrifices. Slimane Aït Sidhoum Malika Rahal, Ali Boumendjel, une affaire française, une histoire algérienne, Les Belles Lettres, Paris, 2010.