A la placette Alexis Lambert, qui est le lieu de rencontre des candidats à l'émigration clandestine de Annaba et d'ailleurs, les «programmes de départ» affichent complet. Les 36 harraga de Annaba, El Tarf et Skikda, portés disparus depuis une semaine avant que leurs parents n'apprennent qu'ils sont entre les mains des autorités tunisiennes, est un événement qui a remis au devant de l'actualité nationale le phénomène de l'émigration clandestine. Le phénomène connaît certes des accalmies périodiques, mais cela dépend essentiellement du climat. Cette volonté renouvelée de quitter l'Algérie par n'importe quel moyen est expliquée par Saâdi Kamel, un jeune harrag de la cité populaire Didouche Mourad de Annaba, qui a tenté à plusieurs reprises de quitter sans succès le pays : «Le bilan de ma vie est plus que négatif. Je suis célibataire, sans emploi et sans logement. Je ne regrette pas d'avoir quitté tôt l'école puisqu'en Algérie, les médecins sont au chômage. La seule alternative est de tenter ma chance sous d'autres cieux. J'ai risqué à deux reprises la harga, mais à chaque fois je me suis fait arrêter par les garde-côtes. Franchement, je ne suis pas prêt à baisser les bras et je retenterai ma chance», résume non sans peine ce jeune de 27 ans. A ses côtés, Imad Douaoui, en survêtement et baskets, qui sirote un «zindjabil», une cigarette entre les doigts, confirme les propos de son ami en justifiant : «Que voulez vous qu'on fasse ? A défaut d'un minimum pour un avenir décent dans notre riche pays, il faut chercher ailleurs. C'est légitime. Même notre Prophète en a fait ainsi en se dirigeant vers Médine lorsqu'il a constaté qu'il n'avait pas d'avenir à La Mecque. Et il a réussi.» Sur la question du durcissement de la loi contre l'acte de quitter l'Algérie clandestinement, les deux jeunes n'ont pas été impressionnés par les nouvelles dispositions indiquées dans la loi n° 09-01 du 25 février 2009 modifiée, complétant l'ordonnance n°66/156 du 8 mai 1966, entrée en vigueur le 8 mars 2009. D'un ton ironique, Imad, qui est également récidiviste en matière de harga, réplique après avoir écrasé son mégot : «Cela s'apparente à la situation d'un condamné à mort qui subit une autre peine de prison. Nous sommes déjà condamnés à mort dans une prison à ciel ouvert. Une autre peine de prison ferme ne changera rien à la situation.» Il faut savoir que l'article 175 est appliqué dans toute sa vigueur contre les malheureux harraga. Il y est stipulé : «Est passible d'une condamnation à une peine d'emprisonnement de deux à six mois assortie d'une amende de 20 000 à 60 000 DA l'acte de quitter le territoire national hors des lieux de postes frontaliers et de passage.» A Annaba, la harga n'a jamais cessé avant et après le durcissement de la loi. A la placette Alexis Lambert, qui est le lieu privilégié des candidats à l'immigration clandestine de Annaba et d'ailleurs, les «programmes de départ» affichent complet. Ils dépendent seulement des conditions climatiques. Les multiples coups de filet qui y ont été réalisés par les services de sécurité, dont le démantèlement d'un atelier clandestin de «construction navale», n'ont pas réussi à juguler le phénomène. Il ne se passe pas un jour sans qu'on évoque ça et là un départ de jeunes depuis les différentes plages de Annaba, tantôt arrivés à bon port, tantôt arrêtés par les garde-côtes et tantôt disparus.