La diplomatie algérienne est ouvertement mise en cause par la classe politique nationale, notamment dans sa gestion de la crise libyenne. L'attitude du pouvoir algérien vis-à-vis de la situation en Libye suscite autant d'interrogations que d'inquiétudes. La diplomatie officielle s'est illustrée par une déroutante passivité, alors qu'un pays voisin est en proie à un bouleversement dont les conséquences vont remodeler profondément la géopolitique de toute la région. Hésitante, flottante, quand elle n'est pas carrément absente, la diplomatie algérienne est confinée dans une posture défensive. Le pouvoir ne recueille pas un consensus national autour de sa position sur le dossier libyen. En tout cas, la classe politique reste ouvertement critique bien qu'elle soit loin du cénacle des premiers décideurs. On y décèle notamment les signes d'une machine diplomatique poussive quand elle n'est pas carrément au point mort. D'aucuns s'interrogent sur les raisons d'une telle panne. La crise libyenne a-t-elle à ce point tétanisé l'initiative diplomatique algérienne ? Et si tel était le cas, pourquoi ? Bouteflika est-il lui-même, en sa qualité de concepteur de politique étrangère du pays, derrière cet immobilisme qui se confond avec un soutien non assumé au régime d'El Gueddafi ? Pour Abdelhamid Mehri, la diplomatie algérienne «n'exprime plus les valeurs fondamentales de l'Algérie et de son histoire». «Notre position n'est pas claire, elle est intenable, elle ne peut pas faire office de politique étrangère d'autant que nous avons des liens forts avec le peuple libyen et des intérêts stratégiques avec ce pays», a critiqué l'ancien secrétaire général du FLN. Il a estimé qu'en matière de politique étrangère, «l'Algérie, sur des dossiers importants, notamment en Libye, doit prendre les choses en main et exprimer l'opinion la plus large des Algériens». Des appréhensions suscitées et alimentées davantage par un manque de «visibilité stratégique». Le pouvoir est-il dans une situation handicapante qui déteint sur ses choix stratégiques qui engageraient la sécurité nationale ? Pas tout à fait faux. «Nous sommes handicapés par la situation interne. L'Algérie s'enferme sur elle-même. Les difficultés internes ont des répercussions directes sur la situation externe», a analysé l'ancien chef de gouvernement et candidat à la présidentielle de 1999, Mokdad Sifi. «Il aurait fallu prendre des contacts avec l'opposition libyenne et prévenir la situation dans laquelle se trouve la Libye actuellement», estime-t-il. Mais il semble que la diplomatie algérienne a perdu le sens de l'initiative. «Cet état de fait a fait perdre à l'Algérie de son mordant et son action sur le plan diplomatique. Jadis, des pays prenaient leur position sur des questions régionales et internationales en fonction de celles de l'Algérie. Nous étions une référence en la matière. On avait un poids prépondérant que nous venons de perdre. C'est fini !», regrette l'ancien chef de gouvernement sous Liamine Zeroual. Le front politique, qui désapprouve la politique étrangère et la manière avec laquelle le gouvernement de Bouteflika gère le dossier libyen, s'élargit. C'est le cas du FFS qui juge la position du régime «trouble et confuse». Selon son premier secrétaire national, Karim Tabbou, le régime «entretient une confusion sur le dossier de la Libye. Dès le début des événements, l'Algérie officielle est restée silencieuse face aux exactions commises par le régime d'El Gueddafi contre le peuple libyen. Mieux encore, le pouvoir a fait le choix de soutenir El Gueddafi contre les aspirations démocratiques des Libyens», souligne le numéro deux du FFS. Cette assertion est confortée par le professeur Abdelaziz Djerad, spécialiste des relations internationales. Il considère que «globalement, il y a une mauvaise prise en charge de ce dossier libyen. Avant tout sur le plan de la communication, le silence face aux accusations du CNT a créé un doute et une incompréhension dans l'opinion publique algérienne». De par son expérience en la matière et pour avoir exercé tant au sein de la présidence de la République et secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, M. Djerad estime que sur le plan diplomatique, «rien n'a été fait du moins pendant les premiers mois de la crise pour créer des passerelles avec l'opposition libyenne». Sur le plan politique, «il fallait se démarquer du régime d' El Gueddafi à partir du moment où il a voulu la confrontation avec son propre peuple», ajoute-t-il, tout en insistant sur «l'urgence de reconstruire une approche globale plus pragmatique et en fonction des intérêts supérieurs de la nation. Ceci est valable pour toute notre politique étrangère». En somme, la diplomatie algérienne en prend un coup. N'est-elle pas l'otage des luttes internes au sein du régime et dont la projection va jusque sur le terrain de la crise libyenne ? Wait and see.