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«L'économie tunisienne fonctionnait grâce aux groupes maffieux»
Abdeljalil Bedoui. économiste
Publié dans El Watan le 16 - 05 - 2012

Abdeljalil Bedoui est docteur en économie du développement. Militant de la cause démocratique, il était aussi à la tête du Parti du travail tunisien qui vient de fusionner avec les formations de gauche, Attajdid et Pôle démocratique. Après la chute de Ben Ali, il a été nommé dans le gouvernement de Ghannouchi avant de démissionner le lendemain, refusant de siéger aux côtés de ministres qui avaient servi le régime déchu.
- Le sujet fait débat. De quoi souffre Nahdha ? De l'absence de programme ou l'absence de doctrine économique ?
Nahdha n'a pas de doctrine économique, mais tout le monde possède un programme, il suffit de fixer des objectifs. Mais ça ne s'appelle pas avoir un programme cohérent avec des orientations qui rompent avec les choix qui ont abouti à cette révolution. Parce qu'on fait, la révolution c'est l'expression de l'échec d'un modèle de développement économique. Ce qu'il faut, c'est avoir une alternative à ce modèle, or Nahdha n'a pas d'alternative. Dans son programme, ce parti, adhère aux choix fondamentaux en cours actuellement, c'est ça son malheur.
- Qu'est ce qui fait fonctionner l'économie tunisienne ?Obéissait-elle à des choix politiques du temps de Benali ou àce qu'on peut appeler une oligarchie financière qui serait toujours au pouvoir ?
Il y a des choix qui sont imposés par les institutions internationales dans le cadre d'un programme d'ajustement structurel adopté depuis 1986. Ce programme bénéficie à une oligarchie financière internationale qui met de l'argent et investit dans le pays. Et en fait, les acteurs économiques nationaux sont plutôt frileux. C'est un programme libéral mis en œuvre par un pouvoir dictatorial, c'est un libéralisme sans liberté pratiquement qui s'est basé sur des groupes mafieux. Généralement, ce sont les familles régnantes qui se livraient au pillage du pays, ne respectaient pas la loi, faisaient du racket. Elles intimidaient et terrorisaient les hommes d'affaires pour être associées sans contribution au capital, avoir leur part des bénéfices. Elles voulaient à chaque fois mettre la main sur les affaires les plus florissantes et gagner de l'argent, que ce soit en poussant ces affaires à la faillite par l'encerclement, en causant des problèmes au niveau des banques, au niveau de la sécurité sociale, la douane ou le fisc, et ainsi de suite. Ces familles avaient toute la latitude, tous les moyens pour s'imposer ou bien pousser les sociétés à la faillite, si celles-ci refusaient leur diktat à défaut de devenir des partenaires dans ces affaires sans aucune contribution à leur capital.
Donc, tout cela qui a fait que les hommes d'affaires tunisiens étaient dans leur majorité, hésitants, pas entreprenants, essayant toujours de se faire petits, de placer leur argent dans l'immobilier ou à l'étranger et ainsi de suite. L'économie tunisienne fonctionnait grâce au capital international sur la base de ces groupes maffieux et des d'autres qui ont accepté de vivre à l'ombre de ces groupes.
- Justement, vous ne pensez pas que le capital international à travers des gouvernements occidentaux a joué un rôle pendant et après la révolution pour orienter les choix économiques et politiques du pays ?
Oui bien sûr. On est toujours un pays dépendant, donc on subissait les interventions du capital international surtout au cours de la période néo libérale depuis 1986 puisque, comme j'ai dit, tous les programmes, tous les choix étaient dictés par les institutions internationales et par les partenaires européens aussi. Au cours de la révolution, c'est sûr qu'il y a eu des interférences, mais je pense que ce sont les américains qui ont joué un rôle pour agir sur le déroulement de la révolution pour peut-être faciliter le départ de Benali sans bain de sang, sans grand cout. La révolution tunisienne n'a pas débouché sur un cout énorme, comparativement à d'autres révolutions. Pratiquement, l'économie ne s'est jamais arrêtée, les services publics n'ont pas été interrompus, il n'y a eu ni coupure de courant, ni d'eau, ni arrêt des services de santé. On a même passé le bac. Il y a eu certes 300 martyrs environs et beaucoup de blessés, mais comparativement à d'autres expériences, ce cout est négligeable.
…et concernant les monarchies du Golfe, est-ce qu'ils influencent le processus actuel avec leur argent ?
Certainement, et je parle surtout du Qatar qui a beaucoup soutenu Nahdha, que ce soit financièrement ou par l'intermédiaire de la chaine de télé, Al jazeera. Et nous avons l'Arabie saoudite et le courant wahhabite qui soutien plutôt les salafistes. Les pays du Golfe ont joué un rôle avant la révolution surtout pour renforcer Nahdha et pour influencer les élections. A ce moment, ils ont inondé le pays par l'argent.
- Et est ce qu'il y a des fonds qui sont injectés dans l'économie tunisienne de la part du Qatar ou de l'Arabie saoudite ?
Non, non, c'est très négligeable. Nahdha pensait pouvoir compter sur le Qatar après avoir gagné les élections, elle n'avait pas de solutions internes aux problèmes du pays, et comptait sur deux solutions externes. Elle comptait sur le Qatar pour financer les projets et aussi sur le marché de travail libyen. Nahdha comptait beaucoup sur la Libye pour employer les ouvriers tunisiens et dynamiser les entreprises tunisiennes qui espéraient avoir une part de marché dans les chantiers de reconstruction, en tant que sous-traitants des sociétés internationales, qui allaient prendre le gros des projets. Les deux solutions n'ont pas fonctionné. La Libye n'est pas encore stable et le Qatar s'est montré peu généreux. C'est pourquoi maintenant Nahdha, avec ses amis de la troïka, se débat dans des problèmes insolublesen l'absence d'un programme clair et de moyens.
- Je reviens à l'actualité, vous comptez parmi les personnalités qui critiquent la nouvelle loi de finance, que reprochez-vous au juste à cette loi ?
Premièrement, elle s'inscrit dans une logique de continuité alors que la révolution exprimait l'échec de l'ancien modèle de développement qui nécessitait des rectifications graduelles. Or ceci ne ressort nullement, ni dans la loi de finance, ni dans celle qui est complémentaire. Actuellement, elle a ajouté aux ressources prévues dans la loi de finance originale, 2,5 milliards de dinars tunisiens. C'est peu pour faire face d'une façon incisive et rassurante aux problèmes qui se posent actuellement en Tunisie, d'autant plus que l'Etat avait des marges de manœuvres pour décider d'actions additionnelles et envisager la mobilisation de ressources supplémentaires. Parce qu‘au final, on va se retrouver avec un taux d'investissement de 22,4%, qui est bas, alors qu'on aurait pu envisager éventuellement un taux entre 24 et 25%. D'autant plus que l'Etat avait une marge de manœuvre appréciable parce que le taux d'endettement public ne dépasse pas 45%. On aurait pu aller un peu plus loin parce que la situation est exceptionnelle, et il aurait fallu envisager des solutions exceptionnelles évidement sans déraper, sans aller au-delà de ce que le pays peut supporter. Donc, l'Etat n'a pas été suffisamment ferme pour aller au-delà de ce qui est toléré par les institutions internationales en termes de déficit et ainsi de suite. Avec cette loi complémentaire on a poussé le déficit jusqu'à 6,6% du PIB, on aurait pu aller plus loin, mais la loi de finance est restée prisonnière de la logique libérale, de la nécessité imposée par les institutions internationales pour respecter les équilibres et ne pas dépasser certains seuils. Troisièmement, toutes les ressources prévues et programmées pour faire face aux dépenses envisagées, ne sont pas définitivement acquises. Loin de là. A titre d'exemple, on prévoit la vente des biens sous séquestres de Benali et sa famille devant rapporter 1,2 milliards de dinars. Or ce n'est pas chose acquise parce qu'il n'est pas facile de mettre ces biens en vente de façon rationnelle et avec des prix corrects. Il reste encore huit mois pour l'année 2012. Aussi, on comptait sur 450 millions de dinars générés par ce qu'on appelle produit de la conciliation avec les hommes d'affaires qui sont accusés de corruption. Ces sources ne sont pas claires et pas définitivement acquises. On risque d'avoir des surprises désagréables à moins d'accepter de brader ces biens séquestrés et de faire les choses dans la précipitation, or ça peut ne pas ramener le montant escompté. Donc c'est une loi de finance qui ne répond pas aux attentes, qui ne va pas jusqu'au bout des possibilités et se base sur des ressources incertaines provenant de choses qui risquent de prendre du temps et donner lieu à des dérapages et à des malversations.
- Peut-on avoir votre idée sur le conflit éclaté récemment entre le gouvernement et la banque centrale sur les prérogatives de celle-ci ?
Les députés de l'assemblée constituante ont consacré pas mal de temps pour discuter la loi organisant les autorités publiques et entre autres, la loi organisant le fonctionnement de la banque centrale. Il y a eu consensus pour garantir un minimum d'indépendance de la banque centrale pour mettre à l'abri la politique bancaire et monétaire de l'intrusion du politique. Ceci est une garantie pour préserver les équilibres macroéconomiques d'un éventuel dérapage qui compliquerait la situation économique du pays. Mais malheureusement dans le programme qui a été distribué récemment par le gouvernement, il est écrit que le gouvernement compte mener une politique expansionniste en baissant les taux d'intérêt. C'est à la suite de cela que le gouverneur de la banque centrale a rappelé à l'ordre pour dire que la politique monétaire et bancaire est de son ressort, conformément à la loi. Je trouve que même ce programme ne pouvait pas logiquement compter sur une politique monétaire expansionniste parce que la Banque centrale a essayé de faire une politique moins rigide, pour accompagner l'année 2011, qui était difficile. La preuve que les encours de crédit ont augmenté de 15% l'année dernière alors que le PIB régresse, ce qui n'a pas manqué de donner des pressions inflationnistes, qui ont-elles même provoqué un recul du dinar, par rapport à l'euro et par rapport au dollar. Donc, la politique monétaire a touché ses limites parce qu'en plus maintenant le taux d'intérêt est en deçà du taux d'inflation. Donc, utiliser la politique monétaire pour faire face aux difficultés, fait courir a l'économie des risques énormes sur le plan inflationniste et sur le plan de la perte de devises et la dégradation des réserves de change. Il a raison le gouverneur de la banque centrale de réagir, parce que si jamais ce gouvernement se lance dans une politique monétariste il risque de mettre en péril les équilibres macroéconomique du pays, d'autant plus que le problème de la relance de l'investissement n'est pas un problème de taux d'intérêt. Comme je vous ai dit, le taux d'intérêt courant est inférieur au taux d'inflation. Le problème de l'investissement, ce n'est pas un problème de cout, c'est un problème d'absence de stabilité politique et sociale, ce qui fait que les investisseurs hésitent à s'engager, qu'ils soient étrangers ou locaux. Le problème est ailleurs. Ce n'est pas un problème de cout d'investissement, c'est un problème de paix sociale, de sérieux dans la gouvernance et de visibilité dans l'avenir du pays. C'est pour ça que même si on fait un taux d'intérêt zéro ou négatif, en plus il est même négatif réellement actuellement, ça ne fera pas pour autant redémarrer l'investissement.
- On sait aussi que Nahdha veut revoir ce qu'on appelle le plan jasmin qui représenterait un danger sur la dette extérieure…
Le plan Jasmin contient un ensemble d'intentions affichées qui n'ont pas donné lieu à un début d'application pour le revoir ou le reprendre. Moi j'aimerai bien qu'ils remettent en cause ce plan, mais le problème c'est qu'ils n'ont pas de plan alternatif pour une remise en cause sérieuse parce que le plan jasmin c'est justement un plan libéral, et ce qu'il nous faut, c'est repenser le modèle de développement économique dans une nouvelle direction, qui consiste à repenser le rôle de l'Etat et son articulation avec les autres acteurs, à repenser un peu les politiques sectorielles, à repenser la politique de redistribution de l'Etat et même formuler de nouvelles propositions pour revoir l'accord de coopération avec l'Europe et ainsi de suite. Il y a beaucoup de choses à revoir et à rectifier, mais malheureusement, ce n'est pas ce que propose Nahdha. D'ailleurs, sa seule proposition, c'est les fonds de zakat et une nouvelle loi organisant la finance islamique, à part cela il n'y a rien à citer.
- On a annoncé aussi un regain de l'activité touristique avec 6 millions de touristes prévus pour 2012, pensez-vous que c'est possible avec la situation politique et sociale actuelle ?
Non, ce n'est pas possible. Vous savez la comparaison est faite entre le premier trimestre 2012 et le premier trimestre 2011. Cette période était terriblement dégradée sur le plan des indicateurs économiques, évidemment on ne peut qu'avoir des indicateurs meilleurs en 2012. C'est aussi la cause de l'afflux libyen je suppose. Il y a une vague de libyens, venus à la suite du début de la guerre civile et ce n'était pas une reprise décidée par les agences de voyage. Les tours operators sont encore réticents a envoyer des touristes, ils sont même soupçonneux de l'avenir immédiat.
- Certains pensent que le modèle tunisien n'est qu'un leurre qui a été trahi par la révolution…
Je pense la même chose. C'est le paradoxe de cette révolution, au moment même où on salue les performances du modèle tunisien, au moment même où on reçoit les félicitations et les meilleures notes concoctées par les institutions internationales, c'est à ce moment-là que la révolution a éclaté réclamant l'emploi, la dignité et l'égalité. Conformément aux orientations des institutions internationales, l'ancien modèle arrivait peut être à assurer les équilibres macroéconomiques et artificiellement à maintenir un taux de croissance traditionnel entre 4 et 5%. Je dis traditionnel parce que au cours des dix dernières années, c'est grâce à la politique de dumping commercial, social, financier, monétaire, qu'on a pu entretenir cette croissance, et cette politique a fini par provoquer les troubles et les mouvements sociaux qui ont abouti à la révolution qu'on appelle le printemps arabe. Donc, effectivement cette révolution trahie d'une façon évidente les félicitations fallacieuses et les limites du modèle de développement. C'est pour cela que n'importe quel gouvernement, s'il veut être fidèle à l'esprit de la révolution et sortir le pays de cette impasse, doit immanquablement revoir sa copie et repenser le modèle.


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