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Une musique de l'œil
Exposition. Mahjoub Ben Bella au MAMA
Publié dans El Watan le 09 - 06 - 2012

Depuis plus de 40 ans, Mahjoub Ben Bella vit à Tourcoing, ville du Nord de la France dont il tomba vite sous le charme et où il a développé une œuvre exigeante, en constante évolution, loin des modes et des compromis mais marquée, de diverses manières, par la double expérience du déracinement et de l'exil.
C'est pourquoi l'exposition qui lui est consacrée au Musée national d'art moderne et contemporain, dans le cadre du cinquantième anniversaire de l'Indépendance de l'Algérie, revêt une importance particulière, à la fois artistique et émotive, en proposant la découverte et la lecture d'un artiste aussi prolixe qu'éclectique, aussi méconnu dans son pays qu'insaisissable.
A la faveur de sa belle carrière, Mahjoub Ben Bella a pu acquérir d'anciennes écuries appartenant à une banque, situées non loin de son domicile et les transformer en un vaste atelier qui lui permet de créer dans un espace de rêve agrémenté d'un jardin luxuriant. Il y travaille chaque jour, dès l'aube, avec la constance d'un ouvrier de la beauté. Chaque partie de son atelier dégage une ambiance particulière. Les œuvres, en cours ou achevées, sont éparpillées partout, jonchant le sol, accrochées aux murs, déposées à l'étage, empilées dans les boxes, enroulées ou tendues sur châssis. Elles se mêlent aux masques, sculptures et objets africains et asiatiques, qui trônent sur un autel, revendiquant une légitimité de présence dans cet atelier réservé à une œuvre protéiforme, aussi intime qu'universelle. A ces objets, viennent se mêler des «souvenirs» personnels issus de l'artisanat ou de l'art algériens.
Fort d'un caractère trempé, Mahjoub est très travailleur et ne rechigne pas à l'effort quand il le faut. Qu'on en juge : plus de 15 000 travaux réalisés en moins d'un quart de siècle ! Peinture à l'huile, estampes, bois, pierre, céramique, lithographie, eau forte, céramique, tissus sont travaillés avec la même énergie, la même force et la même prévenance. L'œuvre de Mahjoub se décline par séries bien qu'il réfute complètement l'idée de répétition. Il conçoit son travail comme un cycle toujours recommencé et envisage la peinture comme un processus de construction qui doit beaucoup à cette liberté, si chère aux artistes indépendants, et si douloureuse à conquérir et à préserver.
Aussi, n'a-t-il jamais cherché à s'imposer dans son milieu, bien qu'il soit parfaitement au fait des événements et évolution du monde de l'art. Cette raison artistique se double, d'autre part, d'une certaine méfiance des mondanités. Pourquoi une œuvre nous touche-t-elle particulièrement et, en tout cas, plus qu'une autre ? Quelle est donc l'alchimie, au niveau affectif, sensible, intellectuel, qui s'enclenche au moment où nos sens entrent en action, pour adhérer à un ensemble de signes picturaux, ou pour les repousser ? 
Dès qu'il s'agit d'une œuvre abstraite, il est quasiment impossible de répondre à cette question d'une manière objective, tant on ne peut parler alors que de ses propres perceptions, ou n'exprimer que l'harmonie ou la force qui se dégage d'une œuvre plus ou moins généreuse et lumineuse. Le regardeur doit s'immerger dans la peinture qui s'offre à lui et se laisser submerger par l'émotion jusqu'à ce qu'il puisse ressentir le souffle de l'artiste l'envelopper. Le lyrisme où s'exprime une peinture gestuelle, dite calligraphique, fait référence à l'élan intérieur du peintre capable de provoquer une émotion chez le spectateur, par des «formes» qui pourtant ne représentent «rien». Faire travailler l'imaginaire du regardeur, partager avec lui ce qu'il voit et ce qu'il sent, explique son tempérament de rêveur et de romantique.
Comprendre une œuvre c'est également saisir la personnalité de l'artiste. Mahjoub est un mélange de séduction et d'intransigeance, il est émouvant de sincérité, passant de l'ironie à l'autodérision, du réfléchi à l'espièglerie avec un naturel sans pareil, sans jamais perdre de sa lucidité. Il ne se départit jamais de l'amour des gens, en particulier de ceux qui lui sont proches, et de la vie. Pourtant, on sent qu'il est en prise avec quelque chose qui le dévore, qu'il voudrait rendre pleinement, sinon parfaitement, ce qu'il ressent, que tout cela bouillonne en lui, n'attendant que le moment de surgir au moment où il se retrouvera en face d'une toile, de sa toile.
Ses origines, Mahjoub ne les a ni oubliées ni reniées. Son long séjour en Europe n'a pas réussi à le détourner de la magie de l'art musulman qui s'exprime à travers la calligraphie. Son expérience, ses souvenirs, sa culture multiple, son savoir ainsi que les évocations, son imaginaire, son univers de sentiments, le monde des sensations, ses affects ou états d'être, inspirent une œuvre assumant avec aisance son double héritage.
Contrairement à Henri Michaux pour qui «la calligraphie doit d'abord se recueillir, se charger d'énergie, pour s'en délivrer en un geste unique, violent et brutal sur la toile», elle est, chez Mahjoub, force et délicatesse. Les signes qu'il soutire à la calligraphie arabe n'ont «aucun sens linguistique ni religieux, tant ils deviennent traces d'un langage plastique personnel». La calligraphie est ainsi détournée de sa fonction première et réappropriée sous une forme plastique dans un mouvement de transfiguration, sinon de transcendance. L'artiste crée ainsi un constant et minutieux dialogue entre le signe et la couleur, laissant s'épanouir un style, décidé et organisé par une disposition intérieure, rigoureuse et lyrique qui incitent à la méditation et au recueillement. Le monde des signes si caractéristiques de l'Orient est redécouvert et réapproprié, tandis que celui des signes significatifs de l'Occident est apprivoisé.
La vitesse, l'improvisation, la spontanéité du geste et l'émotion de l'instant caractériseront une démarche qui va s'ordonner avec l'expérience. Cohérence et force du geste, également, car chez Mahjoub Ben Bella, forme et fond se rejoignent pour dialoguer. Dans chacune de ses œuvres, deux types de regard se confrontent : le regard contemplatif et le regard actif.
Parti à la recherche d'une peinture qui dure, Ben Bella a trouvé le propos exact, du moins celui qui convient à son dessein créatif. Ses tableaux appartiennent à l'espace d'un artiste indépendant, ne voulant correspondre à aucun classement et se méfiant de tous les compromis, pour ne prétendre qu'à une rencontre avec le sublime. Dans cet élan, il apparaît que l'artiste, en transformant le support sur lequel il travaille, se trouve lui aussi travaillé par l'œuvre. Il a ses gestes ; quelques techniques, quelques éléments de représentation formelle, quelques parti-pris quant au rapport à la représentation, aux gammes de tons, de couleurs et de lumières, aux jeux de volumes et d'espaces. C'est cette approche, quasi-automatique, qui enclenche un processus de recherche sur le signe, la lumière et la matière et leurs interactions chromatiques sur un support, généralement la toile peinte. Il transcrit aussi bien la fugacité que la permanence des apparences qui donne à voir au-delà des formes, dans l'épaisseur diaphane de l'invisible.
La gestuelle semble alors prendre le dessus dans un mouvement créatif proche de la transe. (…) L'exposition retrace une grande partie de sa carrière, depuis ses premières œuvres des années soixante-dix jusqu'à aujourd'hui. L'accrochage est impressionnant, il fait la part belle à tous les formats : petits, moyens et grands. On est saisi par ces toiles parcourues de vibrantes touches colorées, d'une incroyable présence.
Le format, la taille ne compte pas. Tous les supports s'adaptent à ses variations de couleurs, à ses coulures, à ses taches, à ses lacis, qui explosent comme des jardins luxuriants ou interrogent comme des mélopées. Elles captent le regard, jusqu'à presque vous hypnotiser. (…) Mahjoub Ben Bella n'a jamais été attiré par la représentation du réel. Il trouve qu'elle détourne le regardeur de ce qui est essentiel dans la peinture. Il lui préfère résolument l'abstraction qui autorise une plus grande diversité des formes et des moyens pour conduire le regardeur à la méditation, face à une œuvre qui exhale un parfum d'éternité. (…) De son exil au nord de la France, Mahjoub a gardé la nostalgie de la lumière de l'ouest algérien dont il aimait à regarder les variations de lumière. Elle est l'essence même de son œuvre. Envoûté par sa puissance et son pouvoir insolent de transfigurer la matière en poursuivant des trajectoires multiples, il vibre sous son influence comme sous l'effet d'ondes musicales.
La musique est un art dont il est très proche et dont il se nourrit au quotidien. Il ne saurait travailler sans diffuser de la musique autour de lui, comme pour l'isoler. En elle et par elle, se déroulent des voyages intimes, des paysages intérieurs, des mondes rêvés ou oubliés, des mondes à venir. La musique est médium. On dirait qu'il recherche ainsi une adéquation entre les rythmes de sa graphie, les rythmes de son corps et les rythmes musicaux qui lui insufflent leur énergie. Des courbes émergent alors et, avec elles, l'affirmation d'une sensualité parcourue subtilement, malicieusement, d'enjeux conflictuels. (…) La peinture favorise l'expression et la transposition d'états émotionnels intenses et variés. Comme pour Cezanne, «chaque touche de couleur doit contenir l'air, la lumière, l'objet, le plan, le caractère, le dessin, le style» appelle à des sentiments très contrastés. La peur, l'angoisse, la pitié, cohabitent avec l'admiration, l'effusion, la joie, l'éblouissement.
Dans tous les cas, l'émotion, vibrante et nue, doit passer par le biais d'une œuvre qui se veut offrande. La couleur est insomniaque dans son œuvre. Houleuse, secouée, réconfortante, séduisante, provocante, pudique. Au calme d'un camaïeu ou au vif d'une luxuriance, il ordonne leur fureur ou leur exultation, ouvre la scène de leur déploiement, procède aux assemblages neufs de leur rencontre, dilate l'espace de dépôts de leur turbulence, apaise, fête, exacerbe. Tout fourmille, s'agite, tout bouge, tout crie. D'abord, une anarchie heureuse et légère avec des couleurs qui surprennent, puis, peu à peu, le charme s'opère, par la douceur irradiante des mauves irisés, des gris sertis de bleu et d'argent, des verts et des bleus puissants, des rouges flamboyants. Enfin, toute la finesse de l'Orient s'étale sous nos yeux. Mais l'Occident est également là, comme recodé, décliné selon d'autres règles, d'autres mesures.
Le présent, l'instant, nourris d'un passé toujours actualisé, l'avenir, le sens du plaisir, celui du bonheur, simples, naturels, immédiats. Ajoutons-y la quête de la maîtrise, le refus du fatalisme, la fusion entre la raison et la sensibilité, l'esprit et la sensualité. Voilà tout le charme d'un Orient émotionnel et d'un Occident rigoureux, qui semble réussir à Mahjoub Ben Bella. Ses aquarelles, papiers délicats et d'une légèreté aérienne, traduisent le mieux cette relation fascinante qui revendique le plaisir dans la durée et l'éternité. (…) Les créations de Mahjoub révèlent avec profondeur et richesse un monde intérieur intense et captivant. Véritable fenêtres sur l'âme, elles respirent la lumière, les passions, la souffrance aussi. Même dans ses accents les plus vifs, elle accorde une large place à la sensualité, à méditation. On voudrait caresser de la main, mais le regard s'en charge.
Ce qu'il y a de bien, avec cet artiste, c'est que l'infini, dont il nous offre un aperçu, se décline en plusieurs couleurs, le rythme est insaisissable, le souffle frémissant. Pas de procédés dans les œuvres, mais des écritures différentes. Ses grands formats, en compositions frontales, sans points de fuite ni hiérarchies spatiales, abondent de gestes graphiques superposés et de zones très colorées. D'emblée, on se sent au milieu de la permanence et de la mobilité. Il nous touche, ravivant en nous ce qui est essentiel. Cette émotion, libre de toute analyse, n'a pas besoin de mots, y compris ceux que vous lisez là. Pour mieux sentir, pour mieux se laisser séduire, osons le silence et regardons…

Mohamed Djehiche. Historien de l'art. Directeur du Mama. Ce texte est tiré du catalogue de l'exposition.


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