Que faisait une pièce d'argent frappée dans la région de Kaboul (actuel Afghanistan) au VIIIe siècle... dans le collier d'une aristocrate enterrée dans la Russie médiévale ? Cette trouvaille, aussi rare qu'intrigante, révèle les réseaux d'échange insoupçonnés de l'élite russe du XIe siècle. La sépulture 72 est sans conteste l'un des tombeaux les plus riches mis au jour lors de la sixième campagne de fouilles sur le site archéologique de Gnezdilovo (oblast de Vladimir, centre de la Russie européenne), menée par l'Institut d'archéologie de l'Académie des sciences de Russie et le musée historique d'Etat. À l'intérieur, annoncent-ils dans un communiqué du 27 août 2025, les archéologues ont découvert un somptueux ensemble de bijoux en argent : deux anneaux temporaux ; une fibule en fer à cheval ; un bracelet torsadé massif en fil d'argent fermé par deux extrémités nouées ; une bague large ornée... Ils ont aussi décelé un collier composé 17 perles de verre à œil, 8 perles métalliques décorées et de monnaies transformées en ornements : deux deniers frappés en Bohême et en Saxe, deux dirhams orientaux... et une rare pièce d'agent de type djital (ou jital), frappée à la fin du VIIIe ou au début du IXe siècle dans la région de Kaboul. L'avers représente un zébu sellé, symbole récurrent des émissions sud-asiatiques, tandis que le revers montre un cavalier – le nom de l'émetteur, «Shri Spalapati Deva», signifie d'ailleurs «commandant suprême». «Les découvertes de djitals en Europe du Nord et de l'Est, où ils arrivaient avec les dirhams coufiques des VIIIe-XIe siècles, sont rares», notent les chercheurs dans leur publication. Ces petites unités monétaires médiévales, principalement répandues dans les territoires actuels de l'Afghanistan, du Pakistan et de l'Inde ont déjà été identifiées sur les sites archéologiques de Gnezdovo et de Novgorod, ou encore au lac Plechtcheïevo, mais restent exceptionnelles. Pouvoirs et échanges au seuil du millénaire Sur le site de Gnezdilovo, longtemps délaissé après les fouilles du comte Alexeï Sergueïevitch Ouvarov au XIXe siècle, les experts ont récemment exploré plusieurs sépultures complexes dans la partie sud-est du cimetière. Aux côtés de la tombe 72, des tombes masculines ont livré haches de combat, couteaux et briques – signes d'un statut militaire. L'une d'entre elles cachait même un poids de balance et un fragment de monnaie, témoins d'activités commerciales. Certaines fosses, riches en structures en bois, étaient parfois accompagnées d'autres plus modestes, dépourvues de quelconque mobilier funéraire. Ce contraste dans les pratiques funéraires révèle l'existence d'une hiérarchie sociale marquée dans le nord-est de la Russie à l'entrée du second millénaire. Une élite guerrière et marchande, en pleine affirmation, y côtoyait des individus subordonnés – dont le statut exact reste encore à définir. Les tombes des premiers témoignent en outre d'une époque où, bien avant l'essor des routes de la soie au XIIIe siècle, les grandes voies caravanières eurasiatiques étaient en plein développement : des objets circulaient activement entre l'Inde, l'Asie centrale, le monde islamique et les confins de la steppe russe.