«Ce n'est pas un souvenir… C'est un choc». L'artiste Ammar Bouras garde une image confuse de cette matinée-là, un certain 29 juin 1992 à Annaba. A l'époque, l'étudiant aux Beaux-Arts est aussi photographe-reporter pour Alger républicain. Dans la salle de conférences de la Maison de la culture de Annaba, où se jouera le drame, il est avec deux autres photographes, à quelques rangées de l'estrade présidentielle. A la première rafale d'arme automatique, il se jette à terre. Une balle siffle au-dessus de sa tête. «Je venais de prendre une des dernières photos du Président avant d'apercevoir ce tireur derrière Boudiaf et qui arrose la salle de balles.» Stupeur. Chaos. Ça tire de partout. «Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie, la peur de la mort imminente… C'est à ce moment précis que j'ai réalisé qu'il n'y avait plus d'espoir pour notre pays.» Un crime, un traumatisme. «C'est l'événement qui m'a le plus marqué… je suis resté 24 heures, comment dire, sans rien ressentir, en état de choc, avant de m'écrouler en pleurs. J'ai pleuré trois jours durant.» La dernière photo que Bouras fait du Président défunt fera la Une d'Alger Républicain et sera déclinée en affiche lors des manifestations pour la vérité sur l'assassinat de Boudiaf. C'est à partir de ce moment traumatique et de ce cliché que Ammar Bouras a conçu son installation Tag'out où se reflètent aussi ses «préoccupations de cette époque mouvementée, intimes et artistiques, en peinture, en photo et en vidéo. Le travail sur le corps et les tabous, la violence, le terrorisme». Le vécu et l'intime en un seul mouvement, avec cette prédominance de l'instant fatidique du 29 juin 1992 qui plane sur l'installation présentée la première fois à la Biennale de Sharja en mars 2011 : «J'ai gardé l'ambiance de ce moment fatidique. L'installation se déroule dans une salle sombre, avec deux tableaux lumineux de cinq mètres de long sur deux de hauteur, mosaïque de photos constituant le visage de Boudiaf, qui se font face et qui mènent en couloir vers un écran géant où défilent une mosaïque de petites vidéos qui se figent à un moment en une image.» On y croise des manifestations de l'ex-FIS, des vidéos de propagande islamiste récupérées sur le web, des discours de Boudiaf, des manifestations de démocrates, des portraits fixes d'intellectuels ou d'artistes assassinés… Avec une ambiance sonore reconstituant le bruit et la fureur des années de sang et de fer. «Je cherche à montrer l'installation en Algérie, mais je n'ai pas encore trouvé l'espace adéquat», regrette Bouras.