Selon le chercheur français Pascal Boniface, l'Occident a perdu le monopole de la puissance dans le monde. La disparition du clivage Est-Ouest a entraîné dans son évaporation post-soviétique le Tiers-Monde. C'est l'avis de l'expert français en géopolitique, Pascal Boniface, exprimé dimanche après-midi, lors d'une conférence sur «Les transitions post-coloniales et stratégies de développement», au Palais des expositions des Pins Maritime à la faveur du 17e Salon international du livre d'Alger (SILA). «Le Sud n'existe plus. Il n'y a plus de Tiers-Monde lequel représentait un ensemble uni avec des pays comme l'Algérie, le Brésil, la Corée du Sud, Haïti… Le Tiers-Monde avait des revendications communes, une histoire comparable et des intérêts qui pouvaient être convergents», a-t-il déclaré. Selon lui, la Corée du Sud et Haïti, qui étaient tous deux dans le Tiers-Monde, ne partagent plus rien aujourd'hui. La disparition du monde bipolaire a mis fin, d'après le conférencier, à 50 ans d'histoire. «Nous assistons aujourd'hui à une évolution stratégique plus importante. Une évolution qui met fin à 5 siècles d'histoire. Une révolution stratégique. Les forces structurantes qui mettent en œuvre ce nouveau rapport de force international sont extrêmement puissantes. Nous assistons simplement à la fin du monopole de la puissance par l'Occident. Les grandes découvertes de 1492 ont débouché sur domination occidentale sur le monde (…) Une domination européenne et américaine», a expliqué Pascal Boniface, également directeur de l'Institut de recherches internationales et de stratégie (IRIS). Il a estimé qu'il ne faut pas croire que le monde occidental a perdu toute sa puissance. «C'est une redéfinition des cartes, c'est un rééquilibrage général des choses. D'autres puissances émergent», a-t-il dit. Selon lui, il ne faut pas réduire le monde émergent aux seuls BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). «Il y a au moins une soixantaine de pays émergents qui, sans demander l'autorisation du monde occidental, se développent. La plupart ont une croissance économique annuelle de 5%. Ils s'affirment politiquement et n'entendent plus se faire édicter leurs lois par l'ancien patron du monde, l'Occident», a-t-il noté. Il a cité l'Indonésie, la Malaisie, le Ghana, le Mexique et l'Argentine. «Le 11 septembre n'a pas changé le monde. Il est venu aggraver la situation. Il n'est pas venu faire naître des rapports de force nouveaux. Les places respectives des uns et des autres sur l'échiquier international ont été affectées marginalement», a observé l'auteur de Vers la Quatrième Guerre mondiale ?. L'économiste japonais Makoto Katsumata, qui a participé à la conférence et qui a connu l'Algérie dans les années 1970, a estimé que si le Sud n'existait plus, il faut l'inventer. «Ce Sud doit exister tant que l'humanité souffre de fractures sociales, économiques et politiques. Dans ce Sud à inventer, le rôle des pays émergents, pays intermédiaires, est décisif. Les pays du Tiers-Monde doivent restructurer leurs économies et leurs institutions pour mieux s'adapter aux investissements étrangers. Cela implique le changement des missions de l'Etat», a analysé Makoto Katsumata qui enseigne à l'université de Meiji Gakuin à Tokyo. Selon lui, le modèle du «Welfare State» (Etat-providence) a laissé place à celui du Welcome State (Etat de bienvenu). «Bienvenu aux investissements étrangers. Donc, au lieu de servir les intérêts du peuple, on sert les intérêts des autres pays», a-t-il souligné. D'après lui, les pays émergents ont réussi à adapter les missions de l'Etat au nouveau climat géostratégique mondial. Il a appelé à «humaniser» la mondialisation sauvage. Les pays émergents doivent, selon lui, choisir de rejoindre ou les nations du Nord ou celle du Sud. Le politologue algérien, Rachid Tlemcani, qui a modéré le débat, a relevé, de son côté, qu'il y a une nouvelle dynamique qui touche toutes les régions du monde. «C'est pour cela que les organisateurs ont tenu à inviter des conférenciers d'Asie. Il y a une crise profonde du système capitaliste. Les politiques néo-libérales qui ont été mises en œuvre dans plusieurs pays sont arrivées à leur limite congénitale», a soutenu Rachid Tlemcani. A côté de lui et de Makoto Katsumata étaient assis les universitaires indiens Suresh Sharma et Corinne Kumar.