Malgré ses dénégations, Ennahda continue de jouer le trapéziste entre la modération de façade et le désir de composer électoralement avec les salafistes. Tunis De notre correspondant Le prêche, vendredi dernier, de Rached Ghannouchi, est un exemple type de ce double langage. Lors de son prêche hebdomadaire de vendredi dernier, Rached Ghannouchi a fait l'apologie de la charia, comme fondement de législation dans la future Constitution, affirmant qu'au fil des siècles, les préceptes du Coran et de la sunna ont représenté une véritable Constitution pour les pays musulmans. «Nous ne voyons aucune contradiction entre la logique et la charia, qui est un des fondements de la pensée islamique», affirme-t-il. Rached Ghannouchi soutient que «la religion n'est pas une pâte à modeler qu'on peut modifier à sa guise et il doit y avoir un fil conducteur qui réunit les musulmans au fil des siècles», critiquant certaines «factions laïques qui veulent décharger la nouvelle Constitution tunisienne de son contenu prétendument islamique, craignant de transformer la Tunisie en un Etat religieux». Selon ses dires, «aucun musulman ne peut croire qu'il existe un intérêt humain quelconque contradictoire avec la charia». Le leader d'Ennahda revient ainsi aux propos exprimés à l'adresse des salafistes dans les vidéos fuitées qui ont circulé il y a une quinzaine de jours, où il parle de «l'application de la charia à petites doses et par étape». «C'est loin d'être en harmonie avec ses affirmations répétées de préserver la modération de la Tunisie et les acquis modernistes de sa société», remarque l'universitaire Sana Ben Achour qui accuse Ennahda de délit de double langage avéré. Par ailleurs, et concernant l'interdiction de l'alcool, Rached Ghannouchi a appelé ses fidèles à faire preuve d'actions pacifiques pour imposer leur vision sur la société. Ainsi, il a invité les adeptes de sa ligne à boycotter les bars ou encore à «éviter les supermarchés qui vendent ce type de boissons». Sous-entendu, il appelle à faire pression sur ces commerçants pour qu'ils révisent leur politique commerciale. Tactique Sur un autre volet, mais dans le même objectif d'éloigner les citoyens de l'alcool, le gouvernement à dominance nahdaouie ne cesse d'augmenter les taxes chargeant les boissons alcoolisées. Une première augmentation a été déjà opérée dans le cadre de la loi de finances complémentaire 2012. Une autre est prévue pour la loi de finances 2013. «Même si l'alcool n'est pas encore interdit des stands pour le moment, Ennahda fait pression pour en réduire la consommation pour des raisons religieuses et sans un quelconque examen des retombées socioéconomiques de telles décisions», constate le médecin, militant progressiste, Faouzi Charfi. Autre remarque, Ghannouchi omet ou ignore que le chiffre d'affaires et la marge bénéficiaire générés par l'alcool sont supérieurs à tous les autres produits réunis dans certains points de vente, voire même dans quelques supermarchés, sans oublier le rôle de ces boissons dans l'activité touristique. «Il n'empêche que l'essentiel dans cette polémique, c'est qu'Ennahda essaie à travers ces manœuvres de s'attaquer au modèle sociétal libéral tunisien et c'est là où la société civile doit serrer les rangs pour faire barrage aux desseins ultraconservateurs des Nahdaouis», ajoute l'historien islamologue, docteur Néji Jalloul.