-Pourquoi un Collectif sur l'islamophobie en France ? Le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a été créé en 2003, en réaction à l'islamophobie rampante qui gagnait le territoire français. Des citoyens ont alors souhaité réagir face à l'installation et à la banalisation de ce sentiment haineux. Au fil des années, le réseau du CCIF s'est étoffé avec l'arrivée de citoyens issus de tous horizons, enseignants, ingénieurs, juristes, sociologues, statisticiens… désireux de lutter contre la généralisation de l'islamophobie. Il compte à présent des antennes dans plusieurs villes de France, et a gagné, en 2011, une véritable reconnaissance au niveau international, en nouant un partenariat avec l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et en devenant membre consultatif de l'Organisation des Nations unies (ONU). -Vous avez commencé par une action symbolique : distribuer des pains au chocolat. Les avez-vous achetés ou volés à la sortie d'une école ou d'une boulangerie ? Quelle est la genèse de cette action ? N'en déplaise à Jean-François Copé, les pains au chocolat que nous avons distribués, le mercredi 10 octobre dernier, avaient été achetés, ce qui a ravi nombre de boulangers ! Cette action fait suite aux propos scandaleux de Jean-François Copé lors d'un meeting à Draguignan le 5 octobre. Il y faisait part d'une anecdote concernant des villes où des enfants se faisaient arracher leur goûter, leur pain au chocolat, par des musulmans en période de Ramadhan. Sachant que le Ramadhan tombe depuis quelques années en période estivale, et donc pendant les vacances, et que M. Copé est en difficulté dans son accession à la tête de l'UMP (principal parti d'opposition), force est de constater, pour nous, que cette déclaration visait simplement à instaurer un climat de haine et de division tout en ratissant les franges les plus extrêmes des sympathisants de droite. Cette action visait à répondre à ces propos haineux par l'humour et l'instauration du dialogue. Plus de 400 pains au chocolat ont été distribués et tout autant de dialogue engagés avec les passants pour les sensibiliser sur l'importance du phénomène islamophobe. La grande majorité des personnes abordées ont fait part de leur soutien à cette cause qui concerne tous les Français, sans exception. Cette action nous a permis d'effectuer un prélude à notre grande campagne de sensibilisation lancée le 31 octobre dernier et signée «Nous sommes la Nation». -Comment s'articule votre prochaine campagne de sensibilisation ? Vous détournez le «Serment du Jeu de Paume»... Notre campagne a été lancée le 31 octobre et tourne autour de 3 points : - un aspect plurimédias, avec des affiches 4x3 diffusées sur le boulevard périphérique parisien pendant une semaine et l'agglomération lyonnaise par la suite. Un site entièrement dédié à la campagne «www.noussommeslanation.fr», un spot vidéo, un spot radio diffusé sur les ondes nationales d'Europe 1 et Beur FM ainsi que des actions de street-marketing pour sensibiliser les passants à la question de l'islamophobie et déconstruire leurs préjugés ; - une tournée nationale, lors d'un cycle de conférences et de tables rondes comprenant une vingtaine de dates sur tout le territoire national ; - un rayonnement européen, par le biais de nos interventions dans les pays où se trouvent les ONG partenaires de cette campagne (Royaume-Uni, Allemagne...). Concernant le «remake» du Serment du Jeu de Paume de David, il s'agit de la reprise d'un tableau marquant un événement fondamental dans la formation de la Nation, de la République. Nous souhaitions montrer par cette interprétation artistique libre la pleine appartenance des musulmanes et musulmans à la nation, le fait qu'une pratique religieuse, une foi ou non foi est pleinement compatible avec la citoyenneté française. On nous reproche souvent, à nous musulmans de France, de ne pas se sentir concernés par notre pays, d'y être des éternels étrangers. Ce tableau délivre la réponse suivante, complétant celles des députés de 1789 dans le texte de leur serment : «Nous aussi sommes la Nation». -Cette semaine, les magazines L'Express et Le Point font des couvertures très alarmantes sur l'Islam. Quel regard portez-vous sur les médias sur cette question de l'Islam ? Quand on voit que Charlie Hebdo multiplie exponentiellement les ventes de ses exemplaires à chaque parution de caricatures islamophobes, il n'est pas étonnant que d'autres éditions leur emboîtent le pas. Taper sur les musulmans, ça ne coûte pas cher, mais ça rapporte gros. Et certains médias français, malheureusement, en appliquant cette règle, relaient des messages de division et de haine, alors qu'en ces périodes très difficiles économiquement et socialement, nous aurions besoin de messages fédérateurs pour relever la tête, tous ensemble. Par ailleurs, au-delà de questions purement pécuniaires pour ces médias, il y a aussi une volonté farouches de désinformer et d'entretenir les clichés, les fantasmes. D'aucuns ne prennent pas la peine d'effectuer un fact-checking ou des recherches rigoureuses. On a pu voir, notamment, que l'un des auteurs du dossier du Point, par exemple, s'était déjà fait piéger bêtement par un informateur qui a prouvé le bidonnage de son article. Alors qu'on attend d'un journaliste un travail de fond important et un reportage fidèle à la réalité, des personnes comme Jean-Michel Décugis, et la rédaction du Point déshonorent la profession.