A la périphérie de la commune de Hammadi, au lieudit Haï Oued El Hamiz, un nouveau lotissement immergé dans la boue, des dizaines de magasins ont poussé, nichés dans des bâtisses en construction. Leur spécialité ? les meubles d'occasion. On y trouve de tout : vieux salons en sky, argenterie décatie, chambres à coucher relativement «potables», canapés et fauteuils kitchs, mobilier de bureau, machines à laver «essorées», guéridons, buffets, bibliothèques, salles à manger, citernes, vieux frigos, éléments de cuisine, postes de télévision antédiluviens, postes radio-casette «vintage», poêles de chauffage à l'ancienne, et même des bidets de toilette ébréchés et autres baignoires pouvant encore servir. Certains exposent des objets de menuiserie : portes, fenêtres, cadres en aluminium et autres articles de ferronnerie. En voulant nous renseigner sur le prix d'une cuisinière, un vendeur s'enquiert : «C'est pour votre usage personnel ou bien c'est pour les revendre ?» De fait, l'ampleur du business est telle que la plateforme de Oued El Hamiz est devenue une centrale de ventilation du mobilier d'occasion desservant plusieurs wilayas via des grossistes de la brocante. On vient «chiner» d'un peu partout, de Médéa, Djelfa, Blida, Bouira et Tizi Ouzou. Voici d'ailleurs un homme qui charge sur sa camionnette une salle à manger usée : une table avec six chaises branlantes. «Je suis venu spécialement de Takarbouzte (wilaya de Bouira, ndlr). Que voulez-vous, les meubles neufs sont hors de prix», explique-t-il, en se félicitant d'avoir acquis cela pour 3000 DA. Des téléviseurs improbables valent entre 2500 et 3000 DA, indique un marchand de ferraille, en précisant qu'ils nécessitent quelques réparations. Vide-grenier et bidonville Un autre expose un lot de machines à laver à 4000 DA l'unité. «Il leur manque un bouton», dit-il. Certains articles restent tout de même assez chers pour les petites bourses. Un vendeur à qui nous demandons le prix d'une bibliothèque en toc, rétorque : «Ataw 32 000 DA.» Un réfrigérateur Ariston est à 15 000 DA. Une chaise de bureau à 6500 DA. Dans le lot, un tapis de course pour la bagatelle de 12 000 DA. A proximité d'un terrain vague transformé en vide-grenier sont étalés divers objets de récupération. Un bidonville de quelque 400 baraques cerne le site. Rencontre avec des jeunes qui s'affairaient à rafistoler une fourgonnette. Leur métier ? Les meubles d'occasion justement. Ils incarnent parfaitement ce génie de la débrouille dont les Algériens ont le secret. Vous avez certainement dû voir ces crieurs publics vêtus le plus souvent d'une blouse bleue, et qui viennent tous les matins hurler sous votre fenêtre : «Qach kedim !» (meubles anciens). Eh bien, c'est ce qu'ils font. Khaled, 28 ans, est installé dans le bidonville depuis 2005, avec ses parents. Originaire de Djelfa, il a transité pour quelques années par Médéa avant d'atterrir ici. Parallèlement à son métier de recycleur de vieux meubles, il poursuit des études de management à l'université de Bab Ezzouar en régime UFC. «Tout est concentré à Alger, alors, vous êtes obligés de vous rapprocher de la capitale. Ma mère est malade. Pour voir les spécialistes, c'est la galère. Là-bas, on n'avait rien. Pas de travail, pas de médecin, rien, alors, nous avons été contraints de venir ici», explique Khaled. A l'instar de beaucoup de résidants du bidonville, Khaled et ses compères ont décidé, faute de boulot, de se lancer dans cette activité moyennement lucrative. Ils partent tous les matins au volant de leur camionnette sillonner les quartiers de la capitale et les cités de Dar El Beïda, Bab Ezzouar, Rouiba, et de Boumerdès. Ils ramassent tous les rebuts des classes moyennes pouvant se monnayer auprès de nos «brocanteurs» des pauvres. «Aujourd'hui, la vie est chère et les gens n'ont pas de ressources. Un jeune qui veut se marier ne peut pas payer une chambre à coucher à 20 briques. Ici, il peut en acquérir une, en bon état, pour 40 000 DA», argue Khaled. «Nous recevons des clients de toutes les wilayas. Certains sont, eux-mêmes, des commerçants. Ils achètent de tout et le revendent dans leur région.» Khaled n'a qu'un rêve : finir ses études (il est en 3e année) et décrocher un diplôme pour tirer sa famille de ce taudis. «Le fils du pharmacien devient pharmacien, le fils du fellah reste fellah. Moi, je veux me barrer d'ici. On manque de tout dans ce trou. On n'a pas d'eau potable, pas d'assainissement, on n'a pas droit à l'électricité, la pollution de oued El Hamiz nous pourrit la vie. S'il y avait du travail dans mon patelin d'origine, je serais parti. On nous a recensés en 2007, depuis, rien». Mohamed, un voisin, fulmine : «Rahi nachfa (c'est la dèche). J'ai tourné toute la journée pour rien. Ça m'a coûté 400 DA en frais d'essence.» Khaled lâche : «Les gens ne peuvent plus se permettre de changer d'armoire ou de téléviseur comme avant. Le peuple est saigné.»