Palper des objets qui sentent le moisi, fouiner dans des garages o� sont entass�s d�anciens meubles parfois vermoulus, de vieilles reliques, dont on veut s�en d�barrasser, c�est la passion d�Ali qui, au fil des ans, en a fait son m�tier. Dans cet entretien qu�il a bien voulu nous accorder, il nous raconte son histoire d�amour avec la brocante. Soir Magazine : Comment vous est venue cette passion du �vieux� ? Ali : En fait, et sans vouloir faire de jeu de mots, ce coup de c�ur pour le �vieux�, pour reprendre votre expression, je l�ai acquis aupr�s des vieux. J�avais 16 ans, il y a de cela une cinquantaine d�ann�es quand, � mes moments de d�tente, mon oncle originaire de S�tif, m�a accept� comme compagnon lors de ses d�placements dans les diff�rents quartiers de la capitale pour acheter les vieilleries qui encombraient d�barras et greniers des maisons. A l��poque, je ne comprenais pas comment les gens pouvaient s�int�resser � ces bizarreries. Mais ce qui me fascinait c��taient toutes ces choses que je d�couvrais dans des anciens appartements des quartiers de Bab-El-Oued, Didouche et Hassiba. Leurs propri�taires, qui souvent venaient d�emm�nager apr�s le d�part pr�cipit� des Fran�ais, voulaient les bazarder co�te que co�te. J�aidais donc mon oncle � transporter sa marchandise dans sa grande charrette, pour la d�poser dans un vieux garage qu�il avait lou� � Bab-El-Oued. Au fil des ans, il a fini par s�installer � Oued Kniss. Il �tait sans cesse � l'aff�t de la moindre occasion pour se procurer la pi�ce rare. Quant � moi, j�observais, � chaque fois �merveill� par tous ces tr�sors, en me posant la question : �Qui allait acheter toutes ces reliques.� La r�ponse je l�ai eue lorsque mon oncle se faisait vieux et m�a l�gu� cet �h�ritage� que j�ai accept� volontiers en y sacrifiant mes �tudes. Je ne le regrette pas. J�ai fini par avoir ce plaisir de humer l�ancien, plaisir de n�gocier les prix, de partager cette ambiance � la fois de concurrence, de suspicion et d�entre-aide, et ce d�fi d�arracher une pi�ce unique. L�, j�ai compris que c��tait le m�tier qui rentre, que j��tais fait pour �a, comme vous pour le journalisme. A chacun sa passion, � chacun son m�tier. Qui sont les clients potentiels qui fr�quentent ces lieux ? Il y a les curieux, il y a ceux qui, en attendant un rendez-vous veulent passer le temps, ils regardent sans grand int�r�t tout ce bric-�-brac pos� p�le-m�le qu�ils appellent khorda ; et il y a bien s�r les chineurs, ces passionn�s de �l�ancien�. Ceux-l�, je les reconnais � leur mani�re de prendre certains objets, de les regarder, de les soupeser. Leurs yeux ne trompent pas. Ils sont tout simplement obnubil�s par une ancienne bo�te de biscuits en m�tal, une vieille lampe de chevet, une malle, un tourne-disques ou un tableau d�une nature morte. Ces clients m�int�ressent d�abord parce que je sais que je vais vendre, mais surtout parce qu�ils partagent ma passion. Ce sont des gens qui sont � la recherche de l�authentique. J�ai fini par tisser des liens d�amiti� avec certains d�entre eux. Comme ces jeunes mari�s qui venaient de convoler en justes noces et qui voulaient meubler leur appartement. C��tait un plaisir de n�gocier avec eux. C��taient des intellectuels, des artistes, qui savaient parfaitement ce qu�ils voulaient. Moi aussi, j�ai fini par savoir ce qui les int�ressait. D�ailleurs, on s��tait �chang� nos num�ros de t�l�phone, ils me commandaient des meubles et je faisais tout pour les satisfaire. J��tais agr�ablement surpris un jour, alors que je leur livrais une table de salle � manger et des chaises, de d�couvrir une v�ritable brocante dans leur appartement, c��tait meubl� avec beaucoup de go�t et surtout tr�s personnalis�. Cela remonte � plusieurs ann�es, au temps o� il y avait de la marchandise. Justement, qu�est-ce qui a chang� aujourd�hui ? A l��poque, on se procurait la marchandise des maisons ; d�ailleurs, je me souviens pour l�anecdote, quand j�accompagnais mon oncle, une dame ne voulait pas emm�nager dans son nouvel appartement au quartier Meissonnier tant qu�il ne s�est pas vid� de tous ses anciens meubles. Le mari avait carr�ment brad� � notre bonheur de v�ritables meubles d�antiquit�. Il nous r�p�tait que sa femme ne voulait en aucun cas garder ces meubles infest�s de cafards et de mites. Vers les ann�es 1970,1980, on achetait au niveau des ambassades, chacun avait ses entr�es et sa sp�cialit�. Il y en a qui sont vers�s dans les lustres en cristal, certains dans les meubles de salon, la vaisselle en cuivre ou encore dans les tableaux ; d�autres ont r�cup�r� des meubles de certains grands h�tels de la capitale lorsque ces derniers ont r�nov� leur mobilier. Je n�oublierai jamais, pour la petite histoire, cette aventure qu�a v�cu un de mes coll�gues qui, par un pur hasard, a eu entre les mains un vrai Renoir qu�il s��tait procur� d�un autre brocanteur dont il ne soup�onnait pas la valeur. Il l�a achet� pour deux sous, authentifi� par un professeur de l�Ecole des beaux-arts avant de le vendre au prix fort � un ambassadeur. C��tait pour lui l�affaire du si�cle. Aujourd�hui, les temps ont chang� il ne reste plus grand-chose dans les ambassades. Depuis environ cinq ann�es, c�est vers l��tranger qu�on s�est orient�. Certains font les march�s aux puces de l�Europe ou importent les meubles d�Asie. On remarque depuis quelques ann�es une flamb�e des prix, � quoi est-elle due ? Bien s�r, on fait comme tout le monde. On subit nous aussi l�inflation. La pomme de terre se vendait � combien il y a cinq ans ? C�est vrai que cela rebute les clients, dont la plupart chinent par esprit d��conomie, et pour des raisons utilitaires, mais les passionn�s de la brocante, les vrais chineurs, que l�on reconna�t tr�s vite d�ailleurs, recherchent la pi�ce unique, sa beaut�, son originalit� et son authenticit� comme je l�ai dit. Il y a aussi le fait qu�aujourd�hui les gens sont branch�s Internet, les brocanteurs ont compris depuis quelque temps que c�est devenu tr�s tendance de chiner, alors ils en profitent. Ils appliquent la loi de l�offre et de la demande. Je parle surtout de ces jeunes qui se disent du m�tier et qui sont capables de vous vendre une cuill�re des ann�es 1980 � 3000 DA, en vous faisant croire que c�est une �uvre d�art. N�est pas brocanteur qui veut. Nous, nous sommes toujours l� pour l�amour du m�tier. Moi je suis incapable de faire autre chose que �a. C�est comme un virus qui s�est log� dans mon sang et je continue toujours de guetter la pi�ce rare, m�me si elle se fait de plus en plus rare, en essayant de la c�der � celui qui en conna�t sa valeur. Je ne serai plus l� quand je ne pourrai plus sortir de chez moi.