Il n'y a pas lieu de s'étaler ici sur les commentaires liés aux motifs réels qui sont derrière l'acte. L'essentiel étant d'apporter un éclairage sur la problématique de la sauvegarde de l'acte éducatif dans toute manifestation sportive. Le règlement étant appliqué, l'un des protagonistes a payé sa faute, puisque faute il y eut — quoique non sanctionnée équitablement. Ainsi va le cours tumultueux d'un fleuve universel nommé football. Mais au-delà de cet aspect, ce sont les retombées sur le plan des consciences juvéniles qui attirent l'attention de l'observateur. Le sport roi tire avant tout sa force de l'effet aimant qu'il exerce sur les esprits et les cœurs. Avant de devenir un maillon de la chaîne industrielle à produire des sous — d'où sa mutation en un instrument de la guerre des muscles — le football est un jeu censé porter haut les couleurs de l'esprit olympique. Dans son explication donnée à la télévision, Zidane a déclaré ne pas regretter son geste, tout en reconnaissant sa gravité. Cette absence de regret peut choquer un certain type d'éducateurs et ils ne sont pas dans le tort. Mais figer son appréciation sur ces seuls propos relève d'une étroitesse d'esprit. La réflexion mérite d'être poussée plus loin. L'altercation entre les deux finalistes interpelle tous les segments de la société et des institutions internationales. La FIFA en tête ! Elle a accepté que la dimension éducative du football soit noyée dans la logique capitaliste la plus sordide. Tout aussi concernés sont les dirigeants de clubs professionnels qui usent de toutes les ficelles — y compris malhonnêtes — pour gagner. De leur côté, les joueurs feraient mieux de s'inquiéter de la pression intolérable qui leur est imposée, quitte à revoir leurs royalties à la baisse. Vu sous cet angle, on peut dire que l'incident est banal en soit, comme l'est la violence qui atteint des paroxysmes dans et en dehors des terrains de foot. Toutefois, là où les paroles de Zizou ont touché leur cible, c'est sans nul doute dans les excuses qu'il a présentées aux enfants, aux jeunes et aux éducateurs. A ce niveau, ces derniers — y compris les parents — ne manqueront pas de relativiser le geste malheureux et surtout expliquer la portée de ces excuses. Les vrais coupables Et si l'on convoquait l'adage populaire qui nous apprend que parfois « à quelque chose malheur est bon » ? Transformer cet événement en opportunité strictement pédagogique. Expliquer aux enfants les vertus du sport et les dangers qui le minent : une leçon in vivo. Dans les écoles, il est de tradition que les leçons d'éducation morale n'abordent le mal et ses manifestations que d'une façon succincte. Elles sont toutes axées sur la présentation du bien (actions de bienfaisance, les héros, les saints, les martyrs) au point de placer l'enfant dans une ignorance totale du mal. Cette conception de l'éducation puise ses racines dans la religion avec cette vision humaniste teintée de naïveté. En quoi la description, l'explication et l'analyse des actions malfaisantes seraient-elles improductives auprès des enfants et des jeunes ? Bien au contraire ! C'est la méthode idoine : celle basée sur le concret de l'exemple et du contre-exemple. La morale ne s'enseigne pas : elle se pratique. Elle se vit dans le quotidien de l'enfant au contact des réalités et des exemples (bons ou mauvais) des adultes. En direct sur le petit écran, des millions d'enfants et de jeunes ont vécu un chef-d'œuvre (didactique) de leçon. L'altercation entre un champion braqué sur son jeu de magicien (le bien) et un défenseur obnubilé par la destruction (le mal) sous le regard des bailleurs de fonds angoissés par l'enjeu… financier. Oui, une leçon où se côtoient le bon, la brute et les truands ! Pour mieux sensibiliser l'enfant via cette leçon pertinente, l'adulte jouera le rôle du médiateur qui explique et relativise. L'enfant ou l'adolescent est sensible à l'image du champion sportif traqué sur le terrain par des adversaires dressés en véritables semeurs de mal. Les jeunes consciences savent où placer leur sympathie. L'éducateur fera naître chez eux le rejet de l'acte violent en mettant en exergue l'anti-jeu du « semeur de mal ». De la sorte, après avoir approuvé le carton rouge de l'arbitre, nul éducateur ne pourra occulter le comportement condamnable du joueur italien. Ce dernier a pris — à son cœur défendant, à moins que… — les traits du diable, faiseur de troubles. Le geste de Zidane a été causé par l'offensive du mal. Il est la victime et non le coupable. Avant lui, d'autres champions (Pelé entre autres) ont rencontré des joueurs sans foi ni loi qui les ont agressés. Des méchants, insensibles au bonheur que le talent et le génie procurent aux spectateurs. Ces hommes n'ont pas reçu la bonne éducation, celle qui sied à la communion et à la solidarité qui naissent des joutes sportives fussent-elles génératrices d'argent. Des joueurs dressés, manipulés et… éduqués en conséquence : aller à la guerre et non à la fête. En évoquant l'argument de la gangrène causée aux sports professionnels par l'argent et les profits — n'oublions pas les autres fléaux : le dopage, les trucages —, on aboutit à une triste conclusion. Le mal en action sur un terrain de football prend sa source ailleurs. Plus précisément dans les appétits voraces des « maquignons de l'image »' et des « chercheurs d'or » en col blanc, aussi cruels sinon pires que leurs homologues des siècles passés. Materrazzi aurait-il agi de la sorte si les enjeux financiers (ou idéologiques) — et les pressions qui vont avec — n'étaient pas aussi colossaux ? Cherchez le vrai coupable, il n'est pas seulement sur le terrain. Les deux footballeurs ont été les acteurs d'une pièce de théâtre écrite par — et pour — d'autres personnes. Ceux qui ricanent sous cape à chaque fois qu'ils entendent dire « le sport est une école de la citoyenneté ». Ainsi va l'ultralibéralisme convoyé tel un virus mortel par la mondialisation. Face à cette épidémie, le message des éducateurs aura du mal à se frayer un chemin vers le cœur des enfants… les Zidane et les Materrazzi de demain. Deux symboles antinomiques qui ont dessiné par leur comportement les paramètres didactiques de la « zizoumate », une leçon de morale sportive.