Quand la mémoire collective convoque au souvenir les années de terreur de la décennie noire, les cœurs se serrent, les poings se crispent et le temps se fige. Des visages, des noms, des images défilent, telle une litanie qui ne finit pas de nous attrister, de nous rappeler que l'oubli est une deuxième mort autrement plus cruelle que celle infligée par des mains criminelles. Les évocations des pertes et des peines qu'elles ont occasionnées se suivent chaque année pour que l'oubli n'emporte pas la bataille du temps qui passe. Chaque corporation, chaque famille, chaque région convoquent ses pertes et ses sacrifices. La famille de la presse compte elle aussi ses victimes et ses douloureux souvenirs. Elle convoque d'ailleurs pour ce 27 mars 2015 le vingtième anniversaire de la tragique disparition de Mohamed Abderrahmani, directeur du journal El Moudjahid. Le 27 mars 1995, Mohamed Abderrahmani avait rendez-vous avec la mort à 9h50 à Oued Kniss, Ruisseau. Des marchands de la mort l'y attendaient pour lui asséner un coup, celui de l'ignorance contre le savoir, de la mort sur la vie, de la bêtise contre la raison. Mohamed Abderrahmani conduisait sa Renault 19, quand deux individus l'ont accosté et ont tiré plusieurs balles dans sa direction puis se sont enfuis. Abderrahmani se doutait bien que ce jour arriverait, mais, à l'instar de ses collègues qui, malgré la menace, ont choisi de continuer à écrire et travailler, il n'a pas renoncé à être journaliste et n'avait pas pris de protection particulière. Il avait confié à ses amis qu'il se sentait épié et que ses allers et venues étaient surveillés. Mais il a continué à prendre le même chemin pour aller à son journal. Des suspects s'étaient présentés 48 heures avant leur forfait au domicile de l'ancien directeur d'El Moudjahid, alors absent. Il a été le trentième journaliste algérien assassiné depuis mai 1993 et le sixième de janvier à mars 1995. Au total 100 journalistes ont été assassinés durant la décennie noire. Mohamed Abderrahmani était âgé de 57 ans et représentait cette bonne vieille école de la presse nationale. Un des pionniers de la presse algérienne, Abderrahmani a fait toute sa carrière à El Moudjahid et incarnait à la fois rigueur, professionnalisme et humilité. Il a contribué à la formation de nombreux journalistes de renom. Les années se suivent et les hommages aussi. Beaucoup d'Algériens sont morts pour ce qu'ils incarnaient et défendaient. Ils n'ont pas cédé au chantage ni aux menaces de la barbarie, préférant mourir debout que de vivre dans l'obscurantisme. Il est des notre devoir aujourd'hui de ne pas céder à la fermeture de cette page de l'histoire, qui ne peut être tournée sans que toute la vérité soit révélée. Des milliers d'âmes appellent au souvenir pour que nul n'oublie et pour que leur mort ne soit pas vaine.