Le barrage de Beni Haroun serait-il un géant aux pieds d'argile ? Ces dernières années, ce gigantesque ouvrage hydraulique est sujet à de nombreuses mutilations. A la faveur d'une longue tournée sur les berges est du barrage de Beni Haroun, nous avons tenté de lever le voile sur les «énormes» traces de pollution qui l'affectent. Nous avons constaté de visu des signes de pollution au niveau de la partie ouest de cet ouvrage hydraulique. En effet, nous avons relevé de nombreux points de pollution. Nous ne citerons que les multiples monticules de rejets visibles à l'œil nu, à l'ouest de la localité de Zeghaïa. Au lieudit El Maleh, l'état des lieux est plus que déplorable, avec des entassements le long de la rive d'ordures en tous genres. A cet endroit précis, y sont abandonnées des reliques de déchets de matériaux de construction. Toujours en montant vers l'ouest, le long du cours d'eau, à Lamzahda et Laknadza précisément, (cette dernière relève de la commune d'Oued Endja), apparaissent d'énormes impacts de terre boueuse dénotant des séquelles d'un envasement assez important. Toujours en amont du barrage, l'obstruction du cours d'eau, à hauteur du pont d'Oued El Kébir, par toutes sortes de sédiments, en dit long sur l'ampleur de l'envasement en ces lieux. Ainsi donc, le plus grand complexe hydraulique du pays, alimentant en eau, en plus de la wilaya de Mila, (cinq autres dans un proche avenir), n'est-il pas en train de péricliter ? Des spécialistes ont, dans un passé récent, tiré la sonnette d'alarme sur les dégâts causés par la pollution et l'envasement qui menacent sérieusement la viabilité de l'ouvrage. Mais, de nos jours, tout le monde s'accorde à reconnaître qu' «il n y a pas le feu». Analysé sous le prisme de la version dithyrambique officielle, ce méga-projet, qui a coûté à l'Etat un budget astronomique, est perçu comme une fierté nationale. L'on ne cesse de s'étendre sur ses projections futuristes dites «prometteuses», comme l'approvisionnement en eau potable des ménages H24 dans un futur proche, la relance de l'agriculture à travers l'irrigation du périmètre de Téleghma d'une superficie de 8000 ha, l'essor touristique et, «cerise sur le gâteau», la réalisation sur l'immense plan d'eau du barrage de Beni Haroun, d'une plage artificielle. En tout état de cause, tout semble baigner dans l'huile et aucun officiel n'a jusqu'ici reconnu les carences relevées. Des experts n'ont cessé, sous le sceau de l'anonymat, de dénoncer la lente agonie de ce «géant aux pieds d'argile». Selon ces derniers, la donne a été faussée dès le départ, c'est-à-dire durant la période précédant la mise en eau du barrage, vers la fin de l'année 2004. Période durant laquelle ont été lancées des opérations d'envergure d'abattage d'arbres, d'extraction de la flore et de nettoyage de toute l'étendue du lac». «Si la première phase s'est très bien passée avec l'arrachage de quelque 9000 oliviers du côté de Sidi Merouane, les actions de démaquisage et d'incinération des végétaux au titre des étapes 2 et 3 du projet, ont été bâclées, car expédiées à la hâte et réalisées en violation des dispositions contenues dans les cahiers de charges», nous affirme-t-on. Et de poursuivre: «Du point de vue de la réglementation, le programme de dessouchage et de déblaiement de la cuvette du barrage devrait être ponctué par l'enlèvement systématique des souches et des branchages hors bassin et leur incinération. Mais rien de tout cela n'a été fait. Plus grave encore, des vergers entiers ont été immergés dans les régions de Kikaya et Beinen, provoquant le pourrissement des racines avec tout ce que cela induit comme prolifération de bactéries. Des centaines d'arbres ont connu le même sort. Et pour voiler aux regards indiscrets le nombre incalculable de souches enfouies du côté de la digue, on a procédé à la fermeture des vannes pour accélérer le processus de remplissage», indiquent nos informateurs. Pollution et envasement Ce sont là, les deux plus grands dangers qui menacent la disparition de cet ouvrage hydraulique. Le bassin de Beni Haroun est devenu, à certains endroits, un véritable réceptacle d'impuretés et de rejets en tous genres. C'est visible à l'œil nu, le pourtour du barrage, dont la longueur de queue dépasse les 35 km est, dans une très grande proportion, non sécurisé en matière de reboisement. La preuve en est l'érosion et l'effritement des berges, ainsi que l'accentuation du phénomène d'envasement. A noter qu'il y a trois périmètres de sécurité autour du barrage. En plus des abords immédiats, censés être consolidés avec l'implantation massive d'espèces d'arbres adaptées à la nature physique des lieux, afin de prévenir les glissements de terrain en grande masse, il y a un périmètre très rapproché où aucune activité agricole n'est permise et un autre destiné aux cultures biologiques sans l'usage de produits chimiques. «Or, et c'est là où le bât blesse, on assiste à une concentration d'exploitation de cultures maraîchères à très fort usage d'engrais chimiques au niveau de la première zone de sécurité», martèle-t-on. Le déficit manifeste de reboisement des berges sur les terrains en forte pente entraîne une érosion impressionnante et des glissements de terrain en grande masse. L'exemple des localités de Bouksiba et Kikaya en est l'illustration édifiante. Des spécialistes en agricultures sont catégoriques quant à la lente agonie de l'ouvrage. Se basant sur des prélèvements effectués, en 2006, sur différents oueds en crue et à des périodes diverses, ces derniers, après la mise en décantation desdits prélèvements, leur séchage et pesage, en ont déduit qu'un litre d'eau donne 2 grammes d'envasement, soit 2 kg au mètre cube et 1,63 t/ha/an. C'était du temps où le remplissage du barrage avoisinait les 400 millions de mètres cube. Réagissant au grief relatif au déficit de reboisement, un ex. cadre de la Conservation des forêts répliquait que «des études concernant les actions prioritaires ciblant la fixation des berges ont été entreprises. Mais, c'était la nature juridique du pourtour du lac et l'opposition des riverains qui posaient problème». «La véritable contrainte que nous avons rencontré, ce n'était pas l'inscription d'opérations de reboisement et de repeuplement. Nous avons pu relancer des programmes de mise en place d'un couvert végétal permanent, qui étaient à l'arrêt depuis 2006. Mais, à chaque fois, on était bloqué par les agriculteurs de la région, comme à Hamala et Chigara, pour ne citer que ces deux localités». Et d'expliquer que «les techniques culturales adoptées par les agriculteurs dans les zones limitrophes du barrage sont inappropriées», que «les pratiques agricoles sur terrains pentus encouragent l'érosion» et qu'«a fortiori, à la faveur des précipitations, le ruissellement des eaux pluviales favorise la naissance de talwegs et de ruisseaux qui, à leur tour, charrient et déposent dans la cuvette du barrage boue et déchets».