Magicienne des mots, traductrice des maux, Saeeda Otmanetolba est une poétesse curieuse et avertie. Dans Je m'excuse pour le bonheur, recueil de poésie paru aux éditions Lazhari Labter, elle transmet une grande part d'elle-même. Son aventure littéraire se poursuit avec la préparation d'un roman et d'un nouveau recueil. - Vos poèmes s'inspirent-ils de la vie des autres, de la votre également ? On s'inspire nécessairement des uns et des autres, c'est la vie, la mienne, celle des autres qui s'emboîtent parfois, se détachent. J'accroche toutes ces vies à des mots qui deviennent des poèmes. Pour le poème Cidjarrati, c'était particulier, puisque j'avais assisté à une scène qui m'avait interpellée. J'ai vu une jeune femme se faire harceler devant moi, alors qu'elle était en train de fumer sa cigarette, quand un inconnu s'est approché d'elle et lui colle au corps. L'agresseur a osé dire à cette femme d'un regard accusateur, comment peut-elle le rejeter, alors que depuis tout à l'heure elle fumait cigarette après cigarette ! J'étais révoltée face à cette scène. J'ai par la suite écrit ce poème, comme pour ne pas oublier la scène et surtout qu'elle ne se répète pas ailleurs. Dans ce contexte, j'ai vécu la scène, mais ça ne fait pas de moi la concernée. - Votre processus d'écriture s'articule-t-il sur des fragments ou bien sur un écrit brute ? Ce recueil de poèmes a été finalisé en 2003, j'avais, à l'époque, des réticences par rapport à une éventuelle édition, par pudeur sans doute. L'écriture de textes ils sont structurés comme un texte c'est peut-être une déformation rédactionnelle par rapport au métier que j'exerçais. Le plus souvent je me concentre sur l'émotion du moment, au thème et aux engagements que j'ai choisis dans ma vie de femme, d'Algérienne et de poétesse. Ceci transparaît dans mes poèmes comme celui de Saïd, c'était une magnifique aventure humaine. - Chaque poème est une histoire issue de vécu, ramassé comme un puzzle... Tout à fait. Il y a une particularité dans mon recueil Je m'excuse pour le bonheur, en le lisant, on a l'impression de lire une histoire, comme si chaque poème est lié à un autre. Certes, les textes ne sont pas totalement autobiographiques, mais la poésie vient du fond de l'âme, c'est ce qui guide ma plume. Le poète est connu pour être un être hypersensible, c'est une bonne piste pour décortiquer l'âme du poète. De plus, la parole poétique donne lieu à des personnages, elle fait naître des vies dans les lignes. - Pensez-vous qu'un poète ressentirait davantage les choses que les autres ? Absolument. Le poète a la chance et le malheur de tout ressentir. Le fait de capter toutes les émotions des uns et des autres, et de les revivre dans son âme, ça devient très lourd à porter. Si on arrive à canaliser toute cette énergie dans la poésie, c'est une bonne chose. Parce qu'ainsi nous pouvons donner aux autres l'amour des mots, des solutions à leurs mots aussi. Ecrire c'est penser, cette rivière d'idées et de réflexions engendrent une graine de changement, et le changement à la délivrance. C'est dans cette optique-là que ma réflexion émerge et se développe. Mon écriture est influencée par environnement, de ce fait je voudrais qu'elle soit pour le meilleur, pour le changement. - Si on devait vous associer à une catégorie, vous seriez plutôt un poète maudit ou illuminé ? A mon avis ce sont les années qui me mettront dans une catégorie spécifique. Je suis une poétesse curieuse qui a une vocation, celle de transmettre ce qu'on voit rarement. Je ne veux pas paraître prétentieuse mais je trouve du génie dans le fait de ressentir les autres, cette altérité qui me pousse vers les autres. Je suis une artiste enfermée volontairement dans sa bulle, une bulle bleue. Pourquoi bleue ? Parce que cette couleur est reposante. C'est ainsi que je l'imagine. Je suis une poétesse qui flirte avec la lumière, je voyage dans les pensées…un de mes premiers poèmes est intitulé L'ange déguisé en bleu, j'avais 14 ans quand je l'ai écrit. Par ailleurs, je suis une personne qui aime les voyages. Mais je privilégie le voyage dans mon pays. Je suis très fière de ma culture et ses multiples facettes. - Où voyagez-vous ? Je suis une grande amoureuse de la mer et aussi du désert. En ce moment, je ne manque pas d'aller au grand Sud. Malgré le programme chargé en manifestations et rencontres que je dois assurer. Ce qui m'a le plus frappée, c'est l'humanité et la manière de rester simple, humble. Cette façon aussi de laisser de côté tout ce qui est lié au monde matériel, comme le capitalisme qui gangrène notre société, et de vivre dans cette notion de partage. Chose qu'on trouve peu à Alger. Le fait d'être une femme au volant peut provoquer des insultes gratuites ! Les gens, comme dans d'autres sociétés, courent dans tous les sens pour avoir une plus belle maison, ou une plus belle voiture. Ce n'est pas mal en soi, mais ce n'est pas forcément un modèle dans lequel je voudrais vivre. On est dans la stérilisation des rapports humains. La voie de la simplicité enrichit les individus, dans le Sud, la sagesse est le maître mot des échanges avec les autres. Avant, j'avais une vie différente de celle que je tente de construire, je me libère et me détache de beaucoup de choses inutiles. Je crois qu'on ne peut atteindre tout ça, qu'en le partageant, avec l'autre. - Souvent cet autre est un enfer ! Justement, je suis en antithèse avec Jean- Paul Sartre, l'autre est un paradis. De par les rencontres que nous faisons, les échanges, les traces que nous laisserons. Qui aurait pensé qu'Alfred de Musset et George Sand auraient vécu une telle passion ? Leur vie a marqué cette histoire et nous la racontons aujourd'hui. Nous sommes les histoires de demain. Pour l'autre, il faut être le missionnaire du bien, c'est déjà un joli rôle dans sa vie. L'autre est un miroir dont lequel on se reconnaît, on s'identifie et on se représente dans son imaginaire ou dans la vie réelle. Il est à la fois absence et présence dans le même objet, le poème.