La 23e édition des Rencontres d'Averroès était comme les précédentes : succès public et niveau toujours relevé des intervenants. Interrompue l'année dernière par les attentats de Paris du 13 novembre 2015 qui ont endeuillé la France, l'édition de cette année intitulée «Surmonter la faille ?» intervient dans un contexte particulier. Les journées des Rencontres ont coïncidé avec la commémoration des attentats. «Ces attaques nous ont imposé le silence, or il s'agit justement de reprendre la parole dans l'espace public, de renouer avec l'échange, la pensée la controverse», signale Thierry Fabre, le concepteur des Rencontres et homme de culture toujours sur la brèche. Reconnaissant que le discours dominant est celui de la fracture, Fabre fait sienne la phrase bien sentie de la philosophe allemande Hannah Arendt : il convient de «penser l'événement pour ne pas succomber à l'actualité». "L'idée est née avec la série d'attentats qui étaient un choc particulièrement violent dans la société française. On voit bien qu'il y a une faille qui s'est manifestée, notamment dans nos relations à l'islam. Surmonter la faille est l'idée de ces rencontres. On s'est intéressés au temps long avec la faille généalogique. Il y a la faille historique. Il y a aussi cette faille géopolitique avec ce qui se passe dans les relations internationales, en Irak, en Syrie et en Turquie, mais également l'autre faille dans nos cités avec les relégations urbaines et des crispations autour des problèmes d'immigration et du rapport à l'islam. Tout cela ne nous fait pas oublier la mention de projets nouveaux, ce qui est l'un des objectifs des Rencontres d'Averroès", poursuit Fabre, dans un entretien accordé à El Watan. Des débats passionnants ont marqué les Rencontres dans la salle de conférences du théâtre de La Criée sur le Vieux-Port de la cité phocéenne. Les échanges étaient cordiaux, mais parfois très passionnés. François Burgat, politologue qui vient de publier aux éditions la Découverte son livre Comprendre l'islam politique: une trajectoire de recherche sur l'altérité islamiste taquinera le psychanalyste, Fethi Benslama, sur son concept sulfureux du «surmusulman». Des Rencontres de ce côté-ci de la Mare nostrum ? Abdelmadjid Merdaci et Benjamin Stora, deux historiens de la guerre de libération, se sont intéressés au travail de mémoire nécessaire, mais aussi au révisionnisme décomplexé qui s'installe dans l'autre rive, avec le soutien parfois des politiques. D'autres intervenants, tels que le politiste reconnu Bertrand Badie, ou encore la jeune universitaire, Myriam Benraad, ont fait bonne impression en revenant avec un sens de la pédagogie inégalé sur les conflits sanglants qui secouent le Moyen-Orient. La table ronde sur les failles dans la cité, qui ont clôt les Rencontres était aussi une réussite, grâce aux interventions de spécialistes reconnus, à l'instar de Thierry Paquot, Smaïn Laacher ou encore Andrea Rea. Les Rencontres d'Averroès ont permis l'échange et une compréhension mutuelle. Une ville du littoral algérien devrait accueillir un tel événement. Thierry Fabre y est favorable, et des autorités de la culture en Algérie semblent aussi adhérer à l'initiative. «Il y a eu une première édition tenue il y a longtemps à la Bibliothèque nationale (BNA). Il faut savoir que les Rencontres d'Averroès ne peuvent pas s'exporter. On est surtout dans la réciprocité de la connaissance (…) Si à nouveau un projet voit le jour en Algérie, j'y adhérerais et je serais le plus heureux des hommes», précise le concepteur des Rencontres d'Averroès, dont des initiatives similaires sont lancées régulièrement au Maroc, mais aussi dans le lointain Liban.