En désignant Abdelmadjid Tebboune comme nouveau Premier ministre, le président de la République a puisé, comme de tradition, dans le vivier de ses plus fidèles soutiens, mais n'a pas désavoué Abdelmalek Sellal, qui s'est vu confier la tâche de mener les consultations gouvernementales préalables avec les partis et qui sera certainement récompensé par un poste prestigieux pour «services rendus». Depuis 2012, ce dernier a porté le système politique à bout de bras, en jouant le pompier dans la multitude de conflits apparus sur tous les fronts et en colmatant, par diverses recettes, les premières brèches que la chute des prix du pétrole a fait apparaître : ce furent des années de mauvais bricolage, à large échelle, à défaut d'une vraie stratégie de sortie de crise en mesure de préserver le pays du «syndrome vénézuélien» et de redonner confiance à la population. Aujourd'hui, tous les clignotants sont au rouge, ce qui compliquera lourdement la tâche à Abdelmadjid Tebboune qui aura à gérer les manques et les errements de son prédécesseur et, surtout, trouver de nouvelles alternatives, particulièrement au plan économique où il aura une certaine marge de manœuvre, contrairement au terrain politique où, comme tous les Premiers ministres, du fait de leur statut constitutionnel, il ne sera que coordinateur des activités de ses ministres. Malgré tout, il aura fort à faire tant le terrain politique et économique est gangrené par divers et juteux intérêts de rente et tant il a été miné par 17 années de magouilles en tous genres. Il a eu à le constater dans les postes ministériels qu'il a occupés, notamment celui du Commerce. Et, surtout, il sera confronté à d'immenses attentes des populations au niveau de leurs besoins vitaux et aux lourdes préoccupations des différents acteurs de la vie économique et de la société civile. Les entreprises ferment une à une, l'Etat ne paye plus ses créances, le chômage augmente, les jeunes s'impatientent, la violence gagne du terrain, la corruption s'élargit, la population boude les urnes… Dans l'immédiat, il aura à réparer les dégâts les plus grossiers de Sellal et de ses anciennes équipes aux plans économique et social. Ensuite il pourra innover, mais en se gardant de franchir la ligne rouge des équilibres politiques, ceux sur lesquels reposent le système et qui doivent conduire Bouteflika jusqu'à à la fin de son mandat présidentiel. Il aura la lourde tâche de préparer la présidentielle de 2019 en veillant à ce que, durant les deux années restantes, le rue ne flambe pas et les luttes de l'opposition confinées dans les seules travées de l'APN mises sous tutelle du FLN et du RND et de Saïd Bouhadja, son nouveau chef. Quant aux «débordements» des foules, des opposants politiques et de la société civile, il devra comme d'habitude les «gérer» avec les services de sécurité. Plus fondamentalement, il sera ferré par ce fameux «programme du président de la République» devenu au fil des années une sorte de cri de ralliement politique des fidèles de Bouteflika, ce qui l'a dévié de sa vocation de servir le «plan Marshall» pour l'Algérie en crise. Abdelmadjid Tebboune pourra-t-il comprendre que toutes ces contraintes peuvent être dépassées, car le sort de l'Algérie toute entière est en jeu, ne serait-ce par le fait de l'épuisement des réserves de change qui n'assurent plus la paix sociale. Il devra être franc avec la population et éviter les accents démagogiques désastreux de son prédécesseur. Surtout, il ne devra pas accentuer la marginalisation de l'opposition politique, des syndicats autonomes, des associations et de la presse indépendante. Il devra choisir entre son arrimage politique au FLN, ainsi que sa fidélité absolue au président de la République et le devenir de l'Algérie. L'histoire sera comptable.