A la fin du mois de janvier 1994, alors que le mandat du HCE arrivait à son terme, les généraux, pressés par le temps, se mirent à la recherche d'une personnalité civile susceptible de jouer le rôle de président du futur triumvirat que le général Khaled Nezzar continuera de toute façon à chaperonner. Après un premier tour d'horizon, deux noms furent en définitive retenus : celui d'Ahmed Taleb Ibrahimi et celui de Abdelaziz Bouteflika, selon ce que Liamine Zéroual me confia alors dans un entretien au ministère de la défense, entretien au cours duquel il m'avait demandé, avec une insistance suspecte, de lui donner mon avis sur l'une et l'autre personnalités, ce que j'avais catégoriquement refusé de faire, persuadé que les décideurs avaient déjà fait leur choix. J'étais tout de même surpris qu'ils aient pensé à Ahmed Taleb Ibrahimi, un homme situé à l'antipode de la politique du ''tout-sécuritaire'' qu'ils s'obstinaient à maintenir. Les éradicateurs, alliés objectifs du pouvoir, reprochaient à l'ancien collaborateur des présidents Boumediène et Bendjedid d'être un partisan déclaré du dialogue avec les islamistes. Quant à Abdelaziz Bouteflika, qui n'avait jamais exprimé publiquement une opinion sur la crise que traversait le pays depuis l'arrêt du processus électoral en janvier 1992, son silence était devenu un atout que les généraux pouvaient faire valoir, tant auprès des ''réconciliateurs'' que des ''éradicateurs''. C'est probablement ce qui conduira Khaled Nezzar à le recevoir, le 16 janvier 1994, pour lui proposer de prendre la tête du triumvirat. Connaissant l'impasse devant laquelle se trouvaient les généraux, Abdelaziz Bouteflika refusa poliment l'offre en justifiant son refus par sa conviction qu'une direction collégiale, quel que soit le nombre de ses membres, ne pouvait pas être une solution pour diriger un pays, a fortiori dans une situation de crise comme celle qu'il connaissait alors. De son point de vue, l'instance présidentielle envisagée serait exposée aux mêmes risques de paralysie que le HCE. Pour éviter une nouvelle déconvenue, il proposait de confier le pouvoir à un seul et unique responsable, lequel devrait être investi des pouvoirs dévolus par la Constitution à un président élu. Ebranlé par cet argument, le général Khaled Nezzar se sépara de son invité en lui promettant de réfléchir à la question», raconte Rachid Benyelles dans ses mémoires.