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Les écrivains sont beaucoup plus critiqués que les politiques
Kaouther Adimi. Romancière
Publié dans El Watan le 10 - 11 - 2017

Kaouther Adimi était au SILA, où elle a signé son dernier roman Nos richesses, paru aux éditions Barzakh à Alger et Le Seuil à Paris. La romancière, qui vit à Paris, est auteure de deux autres romans : Des ballerines de papicha (2010) et Des pierres dans ma poche (2015). Nos richesses est un roman qui revient sur le parcours d'Edmond Charlot, éditeur français à Alger à l'époque coloniale, qui a ouvert dans les années 1930 une librairie, Les Vraies Richesses, au 2, rue Charras (actuel rue Hamani). Charlot, «en dénicheur de talents», avait connu Camus, Jean Amrouche, Fouchet, Cossery, Jules Roy, Roblès, Armand Guibert, avait connu la guerre, l'échec et les quolibets... Entre fiction et faits réels, Kouather Adimi, qui a consulté une vingtaine d'ouvrages et des centaines d'articles de presse, a restitué l'histoire de cet éditeur sans oublier l'univers colonial à travers le «Nous», une mémoire collective qui n'oublie pas les méfaits de l'occupation française de l'Algérie. Il y a aussi Ryad, jeune Algérien vivant en France, qui n'aime ni Alger ni les livres, qui revient «vider» la librairie... Entretien.
Vous revenez cette année avec un troisième roman après, Nos richesses. Votre roman raconte l'histoire d'un lieu, d'une rue, d'un homme ou peut-être deux, à Alger. Qu›en est-il ?
Nos richesses est un roman qui questionne le 2 bis, rue Hamani, à Alger, où en 1936 Edmond Charlot avait ouvert une librairie. J'ai lu devant la porte, en passant par la rue, il y a presque deux ans : «Un homme qui lit en vaut deux». A travers la vitre, j'ai vu le portrait d'Edmond Charlot. La librairie est une annexe de la Bibliothèque nationale aujourd'hui.
C'est un endroit public. Ce n'est pas une librairie privée. Je ne comprenais donc pas pourquoi la photo d'un Français était encore accrochée dans un lieu qui appartient à l'Etat. Le roman est composé de trois parties qui se font écho et qui sont imbriquées les unes dans les autres. Il y a une partie où je raconte Edmond Charlot pendant le XXe siècle, des années 1930 jusqu'aux années 1960.
Je raconte comment à 20 ans, cet homme arrêtait ses études et créait ce lieu avec deux copains pour se lancer dans une grande aventure éditoriale en Algérie et en France. Dans les carnets de Charlot, il y a de la fiction, mais aussi des faits réels. Lorsqu'il fallait combler les trous, j'ai brodé.
L'autre partie évoque le lieu aujourd'hui, en 2017. J'imagine que la librairie est cédée à un industriel privé qui veut la transformer en une boutique de beignets parce que, dit-il, on vendra beaucoup plus de beignets que de livres. J'imagine donc la rencontre entre Abdallah, dernier bibliothécaire du lieu, et le jeune Ryad qui vient de Paris en stage avec la tâche de vider la librairie.

Le vieux Abdallah porte un drap blanc sur les épaules...
Il dit que c'est son linceul. Le jour de sa mort, il veut qu'on le mette dedans sans embêter personne. Abdallah est un passionné de livres, de littérature et d'histoire. Il tient à préserver les lieux. Ryad veut terminer la tâche qu'on lui a donnée et repartir. Abdallah et Ryad se rencontrent. Ryad prend alors conscience de l'importance de la librairie.
Ryad jette tout, les photos, les manuscrits, les documents... Les livres, ça ne le passionne pas du tout. Est-ce le reflet d'une jeunesse désinvolte qui ne s'intéresse pas à la lecture ni au passé en noir et blanc ?
En fait, je ne voulais pas reproduire un film hollywoodien avec un jeune homme qui arrive ici et qui adore lire et qui décide ne pas aller jusqu'au bout de son stage. Je n'imaginais pas Ryad de cette manière. Ryad n'aime pas qu'on lui raconte les histoires du passé, n'a pas envie de vivre dans le passé. Il se retrouve à jeter des livres sans se préoccuper de la suite. Mais, Abdallah est en face de lui, le regarde à travers la porte vitrée, le juge et le questionne. Il sait que ce qu'il fait est mal. Ryad refuse de se poser des questions, veut terminer vite son travail ou son stage à Alger et rentrer retrouver son amoureuse à Paris.
Il est extrêmement dérangé dans son histoire par Abdallah qui est toujours là à l'interroger, à le surveiller, à la taquiner... Ryad n'est pas méchant, je tiens à le dire. Parmi Les dix droits du lecteur (de Daniel Pennac), il y a le droit de ne pas lire. Je trouve cela très beau. Ryad est missionné pour faire un stage, doit vider une librairie. Après on peut se poser la question morale de savoir si ce qu'on fait est juste et honnête. Abdallah est là pour pousser Ryad à cette réflexion. Les méchants dans le roman sont dans la partie historique, c'est le colonialisme.
Venant de l'aéroport vers Alger, Ryad voit La Casbah de loin. «Un trou noir», pour lui. Pourquoi ?
Parce que La Casbah est peu illuminée le soir. De loin, on voit un endroit sombre entouré de lumières. C'est une image, en fait. Pour Ryad, cela ne veut rien dire puisqu'il ne connaît pas Alger. Il n'a connu la ville que quand il était petit. Il était embêté par sa cousine. Il n'aime pas Alger.

Peut-on ne pas aimer une ville qu'on ne connaît pas ?
Oui, si on y est allé petit et qu'on s'est fait martyrisé par sa cousine. C'est ce qui est arrivé à Ryad. Pour lui, Alger est la ville où il a été frappé. Il n'a pas envie d'y aller. Il y arrive un peu forcé parce qu'il n'a pas trouvé de stage en France. Personne n'a voulu de lui. Il vient à Alger parce que c'est le dernier endroit où l'on pouvait l'aider (...). Alger est un personnage du roman. Je suis toujours très agacée lorsque je lis des livres sur Alger à l'étranger. Il y a plein de couleurs et de senteurs. Des livres exotiques qui évoquent les palmiers et la ville blanche.
J'ai vécu en Algérie jusqu'à l'âge de 22 ans, je n'ai jamais eu l'impression de vivre dans une ville blanche comme un mausolée.
D'où le choix de l'hiver pour le déroulement de l'histoire…
Oui. Il pleut tout le temps. Cela m'évitait d'entrer dans un exotisme permanent avec «le soleil qui tape fort», «la chaleur épouvantable». La saison hivernale me permettait de raconter la ville différemment.
On découvre que la librairie n'est pas fermée. Ni marchand de beignets ni rien du tout !
En fait, j'ai imaginé la fermeture. Je garde le suspense jusqu'à la fin du roman. En fait, j'ai été marquée par la librairie de la rue Didouche Mourad à Alger qui, pendant un temps, était menacée de fermeture. Les gens s'étaient mobilisés pour la garder ouverte. Et du coup, j'ai imaginé une libraire qu'on fermerait.
En fait Edmond Charlot avait cédé la librairie à sa belle-sœur qui est restée en Algérie jusque dans les années 1990. Charlot (décédé en 2004) ne savait pas ce qui était arrivé après. Il disait à sa femme : «Peut-être qu'on y vend des beignets…» C'est elle-même qui m'a raconté cette anecdote que j'ai saisie au vol...
Vous soulignez avoir passé une année à fouiller dans les archives avant d'écrire le roman...
J'ai effectivement fait des recherches, notamment dans les archives de presse. J'ai trouvé, par exemple, l'acte de décès de la mère d'Edmond Charlot que j'ai mis dans le livre.
Le roman est composé en trois niveaux : en plus du carnet d'Edmond Charlot, il y a la venue de Ryad à Alger et, il y a le «Nous», au milieu.
Une voix collective ?
Au début, il s'agit des habitants du quartier. Le «Nous» revient souvent dans les parties historiques. Je ne voulais pas donner l'impression d'un livre d'histoire figé avec des vraies dates. Evidemment que les massacres de Mai 1945 sont vrais, autant que ceux de Paris de 1961. Le 17 Octobre 1961, des Algériens avaient été pris dans les manifestations et jetés dans la Seine (par la police française). Une vérité historique qu'on veut passer sous le tapis. Mais, la manière avec laquelle je raconte cela n'est pas objective. D'ailleurs, le fait de choisir des parties de l'histoire de l'Algérie, c'est déjà subjectif.
Des faits qui, à mes yeux, sont importants et que j'avais envie de raconter. Donc, le fait de mettre le «Nous» me permettait d'être dans une subjectivité totale, de ne pas fausser le lien avec le lecteur et d'enlever toute distance avec l'histoire. Même si, en Mai 1945, je n'existais pas ni mes parents d'ailleurs, les massacres d'Algériens me concernent. Aussi, n'ai-je pas voulu prendre de distance avec cette Histoire-là.

Votre roman Nos richesses n'est-il pas une manière d'évoquer Albert Camus surtout qu'Edmond Charlot a contribué à faire connaître l'auteur de L'Etranger ?
Quand j'ai découvert qu'Edmond Charlot était l'éditeur de Camus à Alger, cela m'a donné envie de ne pas écrire sur lui. Parce qu'on a tellement écrit sur Camus, des tonnes de livres. Je n'avais pas envie d'écrire un autre livre sur Camus. J'ai essayé dans le roman de ne pas trop en parler. Camus est un prix Nobel, un grand écrivain.
Il écrase les gens qui sont autour de lui. Si j'avais donné plus d'espaces à Camus, Edmond Charlot n'aurait pas pu rayonner comme moi je voulais qu'il rayonne. Je trouve que Charlot est très intéressant. C'est un entrepreneur, un mauvais homme d'affaires qui offre des actions à ses copains qui vont le mettre à la porte de sa propre entreprise. Il crée des entreprises alors que ça ne marche pas. Il a toujours vécu en Algérie mais finit sa vie de l'autre côté.
Et pourquoi ce titre Nos richesses ?
Lorsqu'on évoque les richesses de l'Algérie, on pense pétrole et gaz. Pour moi, nos richesses sont la culture, l'histoire, les gens du pays... Je voulais recentrer sur cette question. Je voulais aussi inclure l'idée de l'appropriation. C'est-à-dire qu'un lieu ouvert en 1936 par un Français durant la période coloniale, qui survivra à la Seconde Guerre mondiale, à la Guerre d'Algérie et aux années de terrorisme, et qui perdure toujours, doit être récupérer par nous. C'est un lieu de livres qui nous appartient
Votre roman était sur la longue liste du prix de littéraire française le Goncourt. Un commentaire ?
Le roman a été sélectionné. C'était inattendu. Je ne pensais pas du tout que le roman serait aussi bien accueilli. J'en suis ravie évidemment. Les prix permettent de donner un éclairage sur les livres. La rentrée littéraire en France, c'est 581 romans publiés. Je suis donc très contente que ce livre soit lu et partagé en France ou en Algérie. Le fait que le roman était sur une liste Goncourt en France a eu un impacte en Algérie, le livre y est aussi lu.
Récemment, il y a eu une polémique entre Kamel Daoud et Rachid Boudjedra. Boudjedra a publié un pamphlet Les contrebandiers de l'histoire, paru aux éditions Frantz Fanon, dans lequel il accuse des écrivains algériens d'être à la solde de l'ancienne puissance coloniale, la
France, et écrit que Kamel Daoud était «membre des GIA» durant les années 1990. Daoud a déposé une plainte en justice. Que pensez-vous de cette polémique ?
D'abord, je n'ai pas lu le pamphlet de Rachid Boudjedra en entier. J'ai lu quelques extraits et je m'interroge ce que fait Boudjedra dans ce projet-là. Je ne comprends pas du tout pourquoi il s'attaque aux écrivains. Je trouve atroce qu'il accuse Daoud d'appartenance aux GIA. On peut aimer ou ne pas aimer ce qu'écrit Kamel Daoud ou ce que j'écris. Les écrivains ont une voix qui peut être singulière, mais c'est une voix. Nous n'empêchons personne d'écrire ou de publier.
Ce qui m'interpelle dans cette affaire, c'est que les écrivains sont beaucoup plus critiqués et scrutés que les politiques. C'est cela qui est gênant. Il y a une espèce d'attente à l'égard des écrivains qui est anormale. Un écrivain n'est pas là pour représenter son pays. Ce n'est pas un VRP de l'Algérie ou cadre du ministère du Tourisme. Le problème en France est que lorsqu'un écrivain algérien prend la parole en public, on considère cela comme une vérité générale. Un écrivain donne son avis à titre individuel.
Ce que je dis, c'est ma propre vision. Lorsqu'un écrivain français parle, on ne dit jamais qu'il donne une vision générale de la France. On sait qu'il est dans l'individualité (...). Du coup, il est difficile de répondre aux questions sans tomber dans le cliché.


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