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Le système de l'enseignement supérieur algérien : réformer l'esprit plutôt que les formes ? (1 re partie)
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Publié dans El Watan le 06 - 01 - 2018

«Excellence is doing a common thing in an uncommon way», A. Einstein.
Il est largement admis que le développement humain constitue une priorité majeure dans toute stratégie de développement global des nations, le capital humain étant une richesse déterminante et un atout de premier ordre pour la cohésion sociale et la compétition internationale.
Le former etl'entretenir relève du devoir de la collectivité et de l'Etat. A ce titre, la politique de l'éducation se retrouve au cœur de l'action publique et il s'engage une course folle pour la recherche de la qualité et de l'excellence. Des classements sont mis en œuvre à l'échelle internationale, par l'OCDE notamment, pour jauger et comparer les systèmes éducatifs de différents pays.
Le classement PISA, Programme international qui mesure les acquis des élèves dans les disciplines fondamentales tous les trois ans,
établi en 2016, place l'Algérie au 69 e rang sur 72 pays, pas loin derrière le voisin tunisien, classé 65 e .
Il est évident que ces classements sont critiquables et qu'il faut les envisager avec prudence et réserve, les critères d'appréciation pouvant être biaisés d'un pays à l'autre, mais leurs résultats ne sont pas moins intéressants et des leçons doivent en être tirées, notammentpour détecter les insuffisances des systèmes éducatifs et tenter d'en améliorer les performances.
Des classements internationaux ont aussi cours pour les universités, à l'instar de celui de Shanghaï. Là également nos performances
sont très modestes, mais il faut les relativiser, les référents n'étant pas les mêmes, et ce n'est pas pour autant qu'il faut être nihiliste et négatif à souhait.
Les dépenses publiques et les investissements sont certainement colossaux, mais les résultats ne sont pas satisfaisants, sinon que globalement nous faisons dans la stagnation, voire dans la régression.
A cela s'ajoute la dépression économique que traverse le pays en raison de la forte dépendance de son économie des revenus pétroliers et de leur net recul en ce moment, engendrant la rareté des ressources financières.
Dans de telles situation et conjoncture, il devient important de réfléchir au comment s'en sortir et à la question récurrente des réformes : réformer quoi, comment, à quels niveaux, à quel moment et avec quels moyens ? Mais avant tout, il faut évaluer l'existant pour modifier l'orientation et la direction du système sur lequel on doit opérer dans toute sa complexité, car réformer suppose un changement radical et profond d'une institution ou d'un système dans le but d'en améliorer les performances et le fonctionnement.
Encore faudrait-il cibler la nature et la qualité des réformes à opérer, disposer de ressources appropriées et ne pas greffer des bribes d'un changement formel sur un substrat inapproprié avec des moyens inconséquents pour éviter l'improvisation.
Nous concernant, après une réforme accélérée de l'architecture des enseignements, voilà que l'on évoque la promotion d'une réforme de modernisation de la gouvernance des universités, sur la base d'un changement de paradigme du financement.
En gros, il s'agira de considérer les dépenses publiques et d'éventuelles privées comme un investissement et centrer la gouvernance des universités sur la demande avec beaucoup plus de motivation et de responsabilisation. Il est donc opportun de nous interroger sur les conditions de faisabilité d'une telle entreprise qui met en équation les ressources mobilisables, la réalité du système de l'enseignement supérieur et de recherche
dans son intégralité et son ancrage dans le système socioéconomique.
Autrement dit, il s'agit de jauger le degré d'acceptabilité de cette réforme par le corps social, de savoir quels sont les gains à en attendre et quels sont les facteurs garants de sa réussite.
REFORMER LA GOUVERNANCE DANS LE CONTEXTE ACTUEL FORTEMENT CENTRALISE : POURQUOI FAIRE ?
C'est dans le cadre de la revisite de la modernisation de la gouvernance des universités qu'a été évoqué le concept de projet d'établissement pour les universités algériennes, dont la presse nationale s'était d'ailleurs faite l'écho. On cite, entre autres facteurs d'amélioration de la qualité de la formation et de la recherche, une probable mutation d'un système de gestion administratif axé sur les moyens, vers un système de type managérial, établissant un lien entre les ressources allouées et les résultats mesurables, en d'autres termes, introduire un concept plus agressif d'une université du type entreprise.
Si elle venait à être mise en œuvre, cette nouvelle orientation aura pour conséquence de bouleverser totalement les habitudes en place, nécessitant au préalable une refonte profonde du statut de l'université, y compris dans ses missions fondamentales, ses rapports
à son environnement et son mode de financement. Comme il sera exigé des gestionnaires des universités d'établir leur propre business
plan et s'engager dans la voie de l'industrie de l'enseignement, ou encore intégrer le marché de l'enseignement pour reprendre une terminologie en vogue induite par la globalisation des systèmes universitaires à l'échelle mondiale.
C'est un peu nager à contre-courant et pénétrer dans le champ de l'illusion rhétorique. En effet, depuis plus d'une décennie, la tendance est à la recrudescence de la centralisation de la gestion des actes universitaires, qu'ils soient d'ordre financier, pédagogique, de recherche ou de gouvernance générale, par l'entretien de la culture de l'uniformisation et de l'indéfectible lien ombilical à la tutelle, comme y recourent souvent les gouvernants de nos établissements universitaires dès qu'une question jugée peu ordinaire se pose à eux ou aux divers démembrements de l'université.
La référence à la tutelle et à ses organes administratifs est récurrente, elle incarne même une forme de
délestage des responsabilités devant les questionnements et les demandes auxquelles ils sont confrontés. Actuellement, la tendance est
prisée et établie, tandis que les cas de jurisprudence font école et servent même de vivier efficace à l'élaboration et/ou à l'amendement de textes réglementaires, en l'absence de réflexions approfondies.
Elle constitue un outil de choix bien usité pour contenir instabilités et turbulences à répétition qui affectent nos universités.
Pendant que l'on prône ce nouveau modèle de pilotage de la politique universitaire et de gouvernance des établissements et que l'on s'essaie à la déconcentration au sein même des universités par une délégation de compétences et de crédits aux facultés, alors qu'aucun texte réglementaire ne prévoit clairement l'autonomie dont il est souvent fait état, l'action sur le terrain en est aux antipodes, avec un puissant
cadrage administratif des divers actes de gestion aussi anodins soient-ils.
Le spectre de la réglementation est brandi à tout moment et, du coup, l'acte administratif prime sur l'acte pédagogique et l'acte de recherche. La gestion d'un établissement de l'enseignement supérieur qui doit appeler la promptitude et la concision dans la décision, et parfois tout simplement le bon sens, est enlisée dans les méandres du conformisme et de l'acte bureaucratique vertical, à l'instar de tout autre type d'institution administrative, laissant peu de place à l'esprit d'initiative.
Ce n'est pas par hasard qu'Albert Einstein affirmait que la bureaucratie réalise la mort de toute action et, de la bureaucratie et de l'excès d'uniformisation et de normes, il ne sort rien de bon. Ainsi, l'acte de recherche et l'acte pédagogique s'accommodent des mêmes formes de traitement que tout autre acte administratif banal relevant d'une institution publique ordinaire, malgré leur spécificité et le fait qu'ils touchent directement à la formation du capital humain, donc à la potentialisation de l'intelligence à des fins de développement.
Dès lors, ces actes sont vidés de leurs sens par la multiplication des maillons à vaincre pour pouvoir les exercer et, encore plus, pour les faire aboutir aux résultats attendus.
Depuis l'extension de l'organigramme du ministère de tutelle,l'université est davantage enkystée dans un faisceau décisionnel centralisant, qui aplanit les efforts intrinsèques des établissements qui tentent la distinction par l'émergence d'aptitudes et de compétences propres ou du concept d'identité scientifique et managériale.
Cet enchâssement est déjà en contradiction avec l'esprit d'autonomie dans la gestion administrative et financière, et plus encore, dans la gestion de la pédagogie et de la recherche, condition sine qua non à toute forme d'évolution vers un mode de gestion managérial sous-tendant un corps et un esprit d'entreprise, autrement dit la primauté des objectifs et des résultats.
En l'état actuel des habitudes acquises, passer d'un financement quasi tributaire d'une subvention de l'Etat à un processus de drainage et de réalisation de ressources propres relève, à première vue, de l'utopie.
Ayant le processus budgétaire comme levier de pilotage de la performance, ce mode de gestion n'est en fait qu'un pendant d'un mode de gouvernance global qui appelle une liberté de recrutement de l'encadrement et d'accès des étudiants à l'université, une liberté de dotation de l'établissement de sa propre offre de formation selon les performances de son encadrement et de son appareil de recherche, une identité propre à l'établissement, un système d'évaluation multi-niveaux, des contrats de performance selon des objectifs précis fixés au préalable, un système de recherche et de prestation mâture et performant, support d'un système d'apports substantiels de ressources financières, la primauté du scientifique sur l'administratif, un mode électif des responsables sur la base de programmes, d'objectifs et de performances, un véritable ancrage de l'université dans le monde de l'entreprise et de partenariats divers supportant l'émergence d'un champ fort de recherche-développement, une liberté d'action.
UNE REFORME DE LA GOUVERNANCE DE L'UNIVERSITE PRESUPPOSE UNE MUE SUBSTANTIELLE D LA STRUCTURE DU SYSTÈME UNIVERSITAIRE ET DU SECTEUR ECONOMIQUE
Ce qui présage d'une rupture brutale avec les us en cours et une requalification conséquente des établissements universitaires actuels avec, en sus, l'émergence d'un puissant réceptacle de formations dédié à l'absorption d'une part notable des actuels flux entrants de bacheliers à réorienter vers des formations professionnalisantes destinées au champ économique.
Ce dernier doit subir une mue substantielle par un puissant processus de revitalisation et d'orientation vers des systèmes productifs.
La réussite d'un secteur économique de qualité constitue un gage à celle du secteur de l'éducation en général : les missions d'enseignement et de recherche ayant des objectifs ciblés, la qualité et l'excellence se développent en conséquence par un effet d'entraînement et de
concurrence et l'incitation à être le meilleur pour accéder aux postes les meilleurs.
Mais, est-il établi que notre secteur économique jouit de capacités à même de développer suffisamment d'opportunités de recherche pour en décliner un plan de charge conséquent en besoins et prestations attendus du secteur de la recherche ? Et, réciproquement, l'appareil de la recherche est-il suffisamment étoffé pour répondre aux sollicitations du secteur économique en matière de transfert de connaissances et des résultats de la recherche ?
Au-delà de l'éternelle question de savoir lequel des deux secteurs va tendre la main à l'autre, voilà des questions pertinentes relevant d'un principe de réalité auxquelles il faut répondre avant d'engager toute stratégie ou réforme touchant aux deux secteurs, la seule concentration de moyens dans le domaine de la formation et de la recherche constituant une condition nécessaire mais non suffisante pour favoriser l'évolution scientifique et technologique.
Celle-ci est tributaire d'une refondation du secteur de la formation supérieure en général, l'université algérienne n'arrivant pas à trouver ses équilibres devant le rapport disproportionné entre ses capacités intrinsèques et l'important afflux d'étudiants.
La tendance à la bipolarisation en cours de son système de formation (université/Ecoles et grandes Ecoles) reste peu productive en termes de qualité et d'excellence. D'ailleurs, cette structure bipolaire a montré ses limites et est vivement critiquée en France, en ce sens qu'elle est génératrice d'inégalités sociales, avec un élitisme consacrant une forme d'héritage institutionnalisé, les moins socialement nantis ayant peu accès aux grandes Ecoles.
D'autant plus que chez nous, la massification de l'enseignement supérieur et la modestie de l'encadrement en place ne permettent pas de garantir des formations de qualité pour le moment. Dans pareille situation, il serait plus judicieux d'aller vers une réorganisation du système de l'enseignement supérieur sur la base d'une structure tripolaire ou même quadripolaire [Ecoles, grandes Ecoles/Université/
Instituts pour formations professionalisantes/ autres ?] pour en garantir les principaux équilibres et permettre à l'université de remplir ses
missions académiques en étoffant la qualité de son corps enseignant, dont l'essentiel doit être constitué d'enseignants de rang magistral, le reste des segments de ce système pouvant être confié à des corps enseignants de moindre rang avec l'appui d'un corps technique étoffé pour développer davantage d'aspects pratiqueset faciliter l'intégration des diplômés dans le secteur industriel.
Aller vers un mode de gouvernance évolué nécessite de l'université de subir sa propre mue et de rendre des comptes à ses administrés en se soumettant à tous les niveaux et à tout moment à des processus d'évaluation. Une telle approche permet en effet d'effectuer une mesure de l'efficacité de l'établissement par la comparaison entre les résultats obtenus et les objectifs fixés au préalable, en somme, par l'appréciation du degré de réalisation des objectifs qui lui sont assignés par les pouvoirs publics, et bien sûr, une mesure de l'efficience de l'établissement par le rapport établi entre les résultats et les ressources.
A travers cette démarche, on accèdera à une appréciation qualitative et quantitative intégrée des efforts accomplis, des résultats obtenus et des investissements consentis. D'ailleurs, il nous semble que c'est dans ce sens que la tutelle a initié en 2015 un processus d'évaluation globale sur la base d'une grille. En principe, cette opération vise à établir une classification et une nomenclature des établissements universitaires en fonction de leurs performances et potentialités.
Mais cette démarche semble incomplète et inopérante, ne cadrant pas avec la réalité des établissements dont le fonctionnement est
non seulement déterminé par le principe de l'uniformité du financement, de l'uniformisation et du nivellement pédagogiques, mais aussi par une dépendance lourde de directives centralisées, étant donné que peu d'initiatives, de compétences et de libertés sont laissées à la discrétion des gouvernants à travers des rapports permanents et serrés à la tutelle. Cette grille gagnerait à être améliorée par l'intégration d'indicateurs qualitatifs des volets pédagogiques et de recherche.
Les risques de cette démarche de changement du mode de gouvernance, ou plutôt de cette tentation/tentative utopique, viendront des difficultés d'adaptation des acteurs concernés et de leur adhésion/résistance à consommer un tel modèle de gestion. Ce qui engendrera encore des pertes de temps inutiles et des maladresses entravantes.
Avant de tenter une autre expérience, il est utile d'opérer graduellement, en allant d'abord vers des opérations pilotes sur la base d'un bilan objectif et neutre de l'existant, pour éventuellement circonscrire les prédispositions des uns et des autres et les contraintes risquant de surgir au cours du déroulement du scénario prévu. Il faudrait envisager une phase de préparation et de mise en condition qui permettra d'assurer la mise en confiance des principaux acteurs.
Ceci permettra d'évaluer sérieusement les capacités du système universitaire, pris dans tous ses segments, à accepter et s'adapter aux multiples variables du nouveau mode de gouvernance.
De plus, il est risqué de se lancer dans l'adoption d'un modèle en vigueur par ailleurs sans tenir compte de la donnée humaine, des référents sociétaux et économiques et de leur similitude avec ceux des sociétés des propres concepteurs de tels projets. Les apparences sont souvent trompeuses et, la sociologie et les potentialités diffèrent d'un pays à l'autre. En effet, ce sont les cultures, les institutions sous toutes leurs formes et les normes juridiques qui prédisposent les pays à accueillir les changements.
TIRER DES LEÇONS DES EXPERIENCES DES AUTRES ET DE CELLES VECUES
Dès lors, il faut tirer des leçons des expériences vécues dans divers registres de la vie publique nationale et des expériences des autres. Pour illustrer ce type de disjonctions entre la réalité du terrain, de traditions établies et l'introduction de modèles et normes extrinsèques, on citera l'exemple du récent projet de réforme de la recherche et de l'enseignement supérieur au Royaume-Uni dont les universités sont financées sur fonds publics, qui annonce dans le fond un bouleversement majeur dans l'histoire du secteur. Celui-ci vise, entre autres, à faciliter aux entreprises la création d'universités et aux enseignants-chercheurs la possibilité de valoriser et de «vendre» leurs compétences.
Avec l'adoption de ce projet, les anciens organes de financement seront supprimés et remplacés par de nouvelles structures.
Ce changement profond de statut abolira un règlement qui établit et régule les rapports entre les enseignants chercheurs et l'Etat, en vigueur depuis plus de huit siècles, ouvrant ainsi la voie à des interférences du champ politique dans le fonctionnement des universités et des espaces de recherche.
Evidemment, l'annonce de ce projet n'a pas été sans remous et du goût des premiers concernés, les scientifiques, en l'occurrence, qui
l'ont violemment contesté en y manifestant une résistance farouche, comme en témoigne l'éditorial au volume 538 du 6 octobre 2016 de la revue Nature appelant à défendre la liberté de recherche au Royaume-Uni.
L'éditorialiste voit dans le projet de réforme un outil de démolition des accords protégeant les universités britanniques des ingérences politiques. Il est considéré comme une atteinte àl'intégrité de l'enseignant-chercheur garantie par un instrument juridique plusieurs fois centenaire, la Charte royale.
Celle-ci maintient les organismes publics à l'écart de l'ingérence des ministères et protège leurs activités contre les turbulences et
changements politiques, leur accordant ainsi une forme de stabilité, d'immunité et de franchise à l'égard du champ politique. De cette façon, cette forme de distanciation et d'indépendance des universités facilite le captage de fonds publics pour l'enseignement et la recherche sans avoir d'attaches spécifiques avec les groupes de pression.
Ce sont les chartes royales qui régissent les sept conseils de financement de la recherche par champ disciplinaire que le projet de la nouvelle loi envisage de dissoudre et de remplacer par un
organisme unique qui ne sera pas doté de Charte royale.
Considérant que la science en général et l'enseignement comme des vestiges du grand Etat, le gouvernement conservateur britannique s'attelle à les réformer en profondeur à travers une démarche subtile de dérégulation et de moins d'Etat avec une large ouverture sur le secteur privé.
Au nom de la réussite de l'économie de la connaissance, le projet de réforme vise à rendre le système universitaire britannique plus dépendant du marché et moins de l'Etat pour plus de compétitivité grâce à la concurrence et l'autonomie.
Et pourtant, jusque-là, le Royaume-Uni s'est gardé d'appliquer uniformément le système LMD et de se conformer totalement au processus de Barcelone au nom d'un protectionnisme rigide de son propre système de recherche et d'enseignement supérieur très spécifique et profondément ancré dans l'Histoire, qui donne d'ailleurs d'excellents résultats avec 80 lauréats du prix Nobel obtenus depuis sa création en 1901.
Alors réformer pour quoi faire, si ce n'est pour se mettre tardivement au diapason des standards de la globalisation tout en jouant paradoxalement sur la spécificité britannique en optant pour la sortie de l'Union européenne et le protectionnisme !
Dans le même contexte, il y a dix ans, un président fraîchement porté à la tête de la célèbre Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETHZ) voulait engager un processus de restructuration en remplaçant un conseil de gestion en place par une présidence, en érigeant et fusionnant les départements en écoles, et, par la même occasion, introduire un mode de gestion managérial.
Les résistances des professeurs furent telles qu'il a été contraint à la démission. Il est utile de rappeler que la Confédération suisse finance les deux universités fédérales de Zurich (ETHZ) et de Lausanne (EPFL), tandis que les cantons assurent la régulation et l'essentiel du financement des autres universités. Le gouvernement suisse a adopté une loi relative aux universités cantonales, instituant un système incitatif inspiré du nouveau management public, autrement dit, le financement par objectifs.
L'Etat garde une fonction de superviseur et les universités se sont vu accorder une plus grande autonomie associée à des budgets globaux et une gestion contractuelle, tandis que les subventions fédérales étaient alignées systématiquement sur des objectifs.
Après sept ans de mise en œuvre de la réforme, une étude sur l'efficacité technique et l'efficacité générale du système laisse transparaître des résultats mitigés au bout du compte : si des universités s'en tirent bien, d'autres n'arrivent pas à s'adapter, en ce sens que le transfert d'un certain pouvoir de décision et la mise en place d'une gestion contractuelle et de budgets globaux n'ont pas entraîné une progression notable de l'efficacité technique des universités.
D'où la nécessité d'entamer également des réformes organisationnelles internes et propres à ces universités, tant au plan des structures que des processus, comme il paraît capital d'induire des changements dans la culture universitaire.
La Suisse est pourtant aux premières loges des pays qui consacrent le plus de dépenses par habitant en matière d'éducation et de recherche, et occupe la première place parmi les pays les plus innovants en produisant 958 brevets par million d'habitants et compte 17 lauréats du prix Nobel.
Pour rester dans l'illustration des évolutions des systèmes universitaires, il a été relevé que de nombreuses écoles françaises focalisées sur l'avidité de l'excellence éprouvent ces temps-ci d'énormes difficultés à drainer les ressources financières nécessaires à équilibrer leurs budgets si ce n'est par le recours à l'augmentation des frais de scolarité des étudiants pouvant varier de 8 000 à 15 000 euros par an, sans compter les autres frais (hébergement, restauration, transport, etc.).
Il en est qui prévoit des augmentations de ces frais à raison de 8% par an sur les trois prochaines années, prétendant toutefois qu'ils ne peuvent franchir un seuil maximum socialement acceptable, les étudiants et leurs familles ne pouvant pas supporter la totalité des frais dans le contexte économique actuel.
La hausse continue des frais de scolarité ne fait qu'accentuer les inégalités d'accès des élèves aux écoles et grandes écoles et, partant, à la qualité et l'excellence, au risque de se retrouver dans la configuration des Etats-Unis, avec des étudiants endettés et sans retour d'investissement probable ou, tout simplement, n'ayant pas accès à des formations de qualité.
C'est ce qui a fait dire aux responsables consciencieux de certaines de ces écoles que «pour les familles, c'est la double peine : elles paient à la fois les frais de scolarité et des impôts qui servent à financer l'enseignement supérieur», et pour les plus osés, «l'excellence a un coût et il est normal de le répercuter sur les frais de scolarité» ! Nous n'omettrons pas de citer enfin l'exemple de l'Allemagne, dont la réussite économique n'est un secret pour personne, mais qui a temporisé pour mettre en œuvre la réforme de son système d'enseignement supérieur et de recherche.
Ces expériences nous incitent à une autre forme d'interrogation : faut-il conserver le caractère de financement public à l'enseignement supérieur, ou tendre vers un système hybride (financement public/privé/contribution de l'étudiant), ou encore, vers la culture de la qualité et de l'excellence à l'occidentale dans des espaces réservés et totalement payants ? Il n'est pas anodin de signaler ici que le cahier des charges fixant les conditions de création d'universités privées a été promulgué sous forme de décret.
Cette nouvelle opportunité n'est pas mauvaise en soi en tant qu'appoint au système de formation supérieure et levier de la concurrence, mais faut-il en mesurer les incidences sur l'université publique en termes de capture de l'encadrement, par des procédures d'intéressement pécuniaire notamment ?
Encore un autre effet dispersif des potentialités scientifiques en place et un risque d'altération de la qualité dont on est toujours à la recherche dans nos universités.
Cela étant, il est évident que le principe de l'autonomie des universités est une chose souhaitable, mais à condition que les contextes intrinsèque et extrinsèque soient favorables, pour que cela ne reste pas un vœu pieux ou ne constitue une tare supplémentaire à leur gestion.
Toutefois, l'Etat doit se charger de définir un cadre national pour l'articulation des diplômes et des cursus de l'enseignement supérieur, le statut des enseignants chercheurs et les règles de gestion et de financement des établissements.
Mais au-delà, s'agissant de la constitution des staffs de gouvernance sur la base de projets de programmes, la définition des offres de formation, l'orientation des recherches, les partenariats à engager tant à l'échelle nationale qu'internationale, l'autonomie de gestion doit prévaloir.
C'est dire toute la complexité des changements dans un champ aussi vital au développement des nations, y compris dans les pays développés, quand ceux-ci égratignent des habitudes ancrées dans la société et la structure mentale des acteurs en présence, s'agissant surtout de préserver le caractère public de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, garants de la pérennité de l'esprit scientifique et de l'égalité d'accès au savoir sans distinction de condition sociale.
Il n'est pas toujours bon d'importer des modèles.Les expériences des uns n'ont pas forcément les mêmes impacts et le même enracinement dans d'autres sociétés.
D'ailleurs, bon nombre de modèles proposés ne sont que des prolongements de l'onde de la globalisation et intègrent un tout indissociable sous-tendu par le modèle économique dominant, on doit alors s'interroger sur les objectifs de cette vente concomitante de modes de gestion, ou de modèles clés en main, à travers des projets internationaux, sur leur possible convenance et/ou adaptation à notre état actuel des choses ?
L'on doit s'interroger aussi si un tel mode de gestion affublé d'un qualificatif attrayant n'est pas en contradiction avec l'esprit de la politique sociale et du modèle social de l'Etat que nous incarnons ainsi que du regard historique et politique que l'on porte aux espaces de formation et à l'éducation en général ? Tous ces aspects conditionnent fortement la réussite de sa mise en œuvre ! Entre les effets d'annonce, les discours et les pré-sentations alléchantes des «experts» et la dure réalité du terrain pour faire de la qualité et tirer vers l'excellence, il y a tout un fossé.
On ne peut s'accommoder des exigences draconiennes des standards valides sous d'autres cieux lorsqu'on sait que la modestie des potentialités en place dans notre système universitaire et de recherche est loin d'en assurer le challenge, sans compter la notable
détérioration des fondamentaux de la culture et des valeurs universitaires qui ont conduit à une forme de colportage scientifique sans limites et à l'apparition de phénomènes dégradants, tels que la tendance généralisée à la fraude et une forme de tolérance et de charité scientifique.
En d'autres termes, les objectifs que l'on assigne à ce système sont disproportionnés relativement à ses capacités intrinsèques. Quelque part, l'état de l'art nous renvoie à cette image décrite par A.Einstein, parlant au début des années 1930 de la liberté et de la qualité de l'enseignement supérieur allemand, qui relève qu'il y a beaucoup de chaires d'enseignement, mais il y a peu de professeurs sages et généreux. Il y a beaucoup de grands amphithéâtres, mais il y a peu de jeunes gens sincèrement désireux de vérité et de justice.
La nature fournit beaucoup de produits médiocres et rarement des produits plus affinés. Il en est ainsi … mais chacun doit participer à l'élaboration de l'esprit de son temps.
Devant cet état de fait, dans une étape transitoire, il serait peut être mieux de tester un modèle médian qui consiste à dessiner les contours d'une «excellence sociale et sociétale» de l'enseignement supérieur, pour reprendre un concept naissant, qui pourrait accorder à chaque étudiant ou institution les moyens d'atteindre son propre niveau d'excellence, avec le souci de n'exclure personne.
Car, selon A. Jacquard, il est de la responsabilité du système éducatif d'apporter à chacun, oui vraiment à chacun, quelles que soient ses possibilités intellectuelles apparentes, les moyens d'être un peu moins myope au réel.
C'est, de la sorte, éveiller les capacités enfouies en chacun pour le faire contribuer à la construction de son propre esprit et l'aiguiser à la préservation de l'esprit scientifique en général.
Cette conception, qui consiste à donner sa chance à chacun et à privilégier la compréhension, s'opposera certainement à celle plus élitiste
de l'excellence en vogue dans la majeure partie des pays développés et à cette effervescence du tout libéral.
Quitter le champ des idées reçues et faire en sorte de raisonner sur la base de nos propres réalités sociétales et de nos potentialités
réelles tout en ayant à l'esprit que la tradition scientifique et de recherche est très récente chez nous et que la quasi-totalité de nos établissements sont jeunes et créés ex nihilo, dessineraient les contours d'une nouvelle voie.
Par ailleurs, la folie des classements internationaux reposant sur des critères très normatifs en vigueur dans les référentiels des pays développés à traditions industrielle et scientifique établies ne constitue pas une fin en soi ni une variable principale à intégrer dans nos repères dans l'état actuel des choses.
Au contraire, ils peuvent avoir un impact négatif sur cette approche par l'excellence sociale et sociétale, en privilégiant la réputation de l'établissement à celle des individus.
Les classements et le concept même de l'innovation étant le fait de minorités actives, le changement passe obligatoirement par des étapes longues et lentes permettant la sédimentation progressive de l'esprit scientifique accroché à la qualité.

Par Iddir Ahmed Zaid
Géophysicien, université Mouloud Mammeri


REFERENCES
Gandhi, M.K., (1990), Tous les hommes sont frères, Ed. Folio
Einstein, A., (2009), Comment je vois le monde,
Ed. Flammarion.
Jacquard, A., (2001), La science à l'usage des non-
scientifiques, Ed. Calman-Lévy
Bourdieu, P. (2008), Guerre et mutation sociale in
Esquisses algériennes, Ed. Seuil
Amrouche, J. M., Eternel Jugurtha suivi de Chants
berbères de Kabylie.
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Schenker-Wicki, A. & Hürlimann, M., Univer-sités suisses : Echecs ou succès du financement
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(A suivre )


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