La plus ancienne écriture trouvée à ce jour, à Sumer, en Mésopotamie, date de 5 000 ans. Il n'est pas certain que ce soit la plus vieille, l'archéologie n'ayant jamais dit son dernier mot. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que le début de l'Histoire - et donc la fin de la Préhistoire - commence avec l'écriture. De ce postulat peut découler la formule suivante : plus l'écriture est présente dans une société et plus cette société est dans l'Histoire. Inversement, moins l'écriture est présente dans une société, etc. Mais pour valider une formule, il faut l'expérimenter. Prenons donc, un pays. Mettons l'Algérie, au risque de paraître chauvin. Première remarque : l'analphabétisme atteint sept millions de personnes, presque le quart de la population. Une pandémie ! Savoir que ce taux était de 85 % à l'indépendance peut servir à illustrer la notion de « colonisation positive » mais ne change rien pour les alphasinistrés. Passons aux bibliothèques : un livre pour deux habitants, soit 4 fois moins que la « norme » Unesco pour les pays sous-développés ! Les librairies : selon une estimation publiée dans A & L du 12 octobre 2006, il y en aurait une pour 230 000 habitants ! Laissons les chiffres pour les faits. La maîtrise de toutes les langues, y compris « dialectales », connaît une effarante déliquescence qui n'épargne aucun secteur ou administration. Panneaux routiers, enseignes, plaques, notes, correspondances et communiqués fleurissent de fautes d'orthographe et d'aberrations lexicales et syntaxiques... Les échanges individuels, vampirisés par la terrible efficacité des e-mails et des SMS, inventent, certes, des langages savoureux et ingénieux. Mais c'est la richesse, la beauté et la diversité des langues qui se noient dans une sorte de sabir électronique pour mutants de la mondialisation. Nos écrivains, eux, s'inquiètent de savoir s'ils sont lus et nos chanteurs d'andalou et de chaâbi si leurs textes sont compris. Avec tout cela, même la tradition orale se perd. Que conclure donc de cette expérimentation ? Soyons scientifiques et courageux, car il apparaît clairement que nous sommes plus dans la Préhistoire que dans l'Histoire. Le seul ennui, finalement, c'est que nous ne savons plus utiliser de silex pour allumer un feu et qu'en cas d'ultime besoin, nous n'aurions pas assez de livres pour nous chauffer. Mais la planète se réchauffe, ce qui devrait arranger les choses. Et, bien sûr, nous avons du gaz, antidote efficace contre le désespoir.