Par Amar Abbas Rai El A'roubi, rai t'rab ou rai el gasba, ces airs authentiques, nés des vraies tourmentes sentimentales et des grandes douleurs existentielles des chioukh, réoccupent, désormais, les espaces mélodiques. Pour remuer, à fond el gallal, les tripes des mélomanes. Et faire renaître à la vie les vraies envolées lascives de l'envoûtante et langoureuse gasba. La demande actuelle ne se décline plus envers les airs « industriels » du synthé. C'est la vraie vie qui remonte le cours du temps. Comme pour dire que quand les modes se succèdent et meurent, ne demeurent dans l'oued du rai que ses galets. Des pierres précieuses, en dépit de leur vieillesse. Parce que ciselées par des connaisseurs qui ont mis tout leur cœur à dire l'existence. Chétive ou riche, cette existence est, dans tous les cas, essentielle. Selon Cheikh El Hindi, « Seul le vrai bois réchauffe les chaudrons - ‘ma ihamou el gdour ghir j'dour' ». C'est-à-dire, les bonnes vieilles racines. On est ici, en plein rai-roots. De vieux chevaux sur le retour exigent, désormais, la réappropriation des sources pour réapprendre à boire El Mehna. Et l'amour lointain ou interdit. Pour réinvestir dans l'élégance, quand bien même serait-elle en gandoura, seroual plissé et en turban de Ouled El M'djaher. Exit le rai blousé par les intrants industriels du charabia-synthé. Aucun mot en françarabe ne phagocyte les qacidates. Mais des tirades en dialectal du terroir à vous couper le souffle. A déraciner Khalil Djebrane et « Jarat el Wadi ». A décliner Brel en arabe local : « Ya aawdi wech bik, rak ella hani, kifech bghit tehna we Rym fi agabek ? ». El Khaldi cisèle son verbe et ses mots pour les offrir en tresses magiques aux puristes émerveillés. Après les successives périodes du rai accordéon, rai saxo et rai synthé, Rai gasba revient. Une aubaine. Une reconnaissance. Même les jeunes se déhanchent sur « Ech...lahmar ». Quand ils ne l'écoutent pas, bien sûr ! Khaled se retrouve dépassé avec son « on va danser » étranger. Et étrange. Du reste, Aïcha n'a jamais réussi à détrôner Bakhta dans le cœur des puristes. C'est que « El Birra Arbia we el wisky gaouri », disait Fadéla. A chacun son périmètre, sa culture, ses goûts et les « saintes brebis » du rai seront bien gardées. Les tubes cultes des années 60-70 écrasent tout sur leur passage Un patron de Night Club à la Corniche reconnaît : « On ne fait plus appel aux chebs du rai « deux notes-trois mots ». Ils sont comme éculés. Ils ne font plus rêver et les boîtes où la gasba trône sont plus fréquentées que les autres. Ces boîtes veillent plus tard et rapportent plus. Les tebrihates sont plus spontanées. Les airs alanguis et le verbe A'roubi attirent plus les noceurs et les noctambules que les berrahs. Les gens s'éclatent réellement ». L'Algérien, régulièrement agressé dans son vécu, cherche à se ressourcer en tout. Il cherche une voie salutaire, un sentier authentique pour revenir à ses vraies racines. Rai A'roubi semble avoir réussi à le guider vers sa lumière. La vraie chanson et el qacidate des anciens sont de vraies sources où boire devient une nécessité. El gasba, six ou neuf trous, a détrôné le synthé. El Mehna a détrôné chriki. Le vrai surnage et le superficiel fait naufrage. Maghni, un arrangeur hors pair, décrète : « Quand l'Algérien écoute Sid El Hakem, il se sent concerné. Certains pleurent. D'autres délirent. Le thème profond, vrai et la sensualité de la gasba donnent des frissons. Car, aujourd'hui, tous les Algériens sont, ou le seront un jour, devant Sid El Hakem. Trop meurtris, ils exigent de lui de prononcer une juste sentence. La juste sentence. Ce sont des trucs qui renvoient à beaucoup de choses. Ce sont des appels du pied, des appels de détresse. La souffrance de l'Algérie est multiple, profonde. Il est asphyxié dans un monde qui ne ressemble en rien à ses repères. C'est, sans doute, pour cela qu'il est en quête de ses racines ». El Hadj Miliani, un universitaire, qui a beaucoup écrit sur le rai, est ébloui : « Ce retour de rai t'rab n'est qu'un juste retour des choses. Il était temps qu'il soit reconnu comme un art majeur, complet, positif. Pour moi, il n'y a pas de bon et de mauvais rai, mais dans le cas du rai A'roubi, c'est une autre histoire. C'est un genre qui interpelle, qui laboure les tripes, c'est un vrai éblouissement... ». Même si les tubes des Cheikhate el Djania et Remiti tardent encore à réoccuper convenablement la scène, il est sûr que cela ne saurait tarder. Déjà, des chanteuses inconnues au bataillon, bataillent dur, pour réinstaller les divas disparues dans les boîtes de la Corniche. Et elles font recette. L'argent pleut quand la gasba pleure. Et tous les mélomanes sont heureux.