Loin de là. Quand bien même fut-il énorme- et il l'est toujours- le vide qu'il a laissé derrière, après des décades de domination pratiquement sans partage de son sujet, la relève était déjà sur place. Prête à réoccuper la place du « patriarche », malgré la complexité de la tâche et des risques encourus. Pour les mordus du vieux patrimoine musical de l'époque, le Cardinal – El Anka- était tout simplement « irremplaçable ». Et à tout jeune loup grisé par la reconquête du titre suprême, ils prédisaient un échec quasiment inéluctable. Et pourtant. Il n'aura pas fallu très longtemps au jeune Boudjemaâ Mohamed de se frayer une place au soleil. Dans la cour des grands, parmi les grands. Non sans jouer, bien sûr, des coudes avec d'autres interprètes qui lui partageaient et le talent et l'ambition, à l'image de feus El Hachemi Guerouabi, Amar Lachab, H'ssen Saïd... Sa fulgurante ascension sur la scène du grand Alger puis dans tout le pays, fut telle qu'on l'a très vite bombardé par le prestigieux nom d'artiste qu'il a porte jusqu'à son dernier souffle : El Ankis. Un diminutif d'El Anka qui n'était pas, il faut bien y insister, son mentor direct. D'ailleurs nombreux sont ceux qui s'étonnent du parallèle tant les styles du maître et de l' « élève » sont différents. Une histoire de génies diront les uns sûrement. Les raisons d'une telle distinction ? Elles viennent à la mémoire en foule. Mais c'est surtout le courant novateur qu'il a su incarner qui y est derrière, faisant de lui l'un des pionniers de la modernisation de la musique Châabi, très longtemps soumise à l'austérité de l'interprétation « ankaoui ». Naturellement, l'ambition n'était pas simple pour le jeune Boudjemaâ en quête de nouvelles expressions musicales très prisées, à cette époque, par la jeune génération des mélomanes. Des coups ? Il en a bien reçus des gardiens du temple patrimonial farouchement opposés à toute expression libérée de la partition générale. Et qui le lui avaient bien fait savoir. Mais il fallait compter sans une ferme détermination à chanter le Chaâbi avec sa façon à lui dont il avait trouvé et puisé la quintessence chez un monument du genre, l'auteur compositeur de génie, Mahboub Safar Bati, qui avait déjà sous l'aile toute une génération de jeunes artistes de renom (Seloua, Abdelkader Chaou, Mohamed Lamari...) Conscient du talent de son protégé, de sa voix puissante et veloutée à la fois, mais aussi de son penchant pour une musique plus « libérale », l'auteur s'est fendu d'une pléiade de chansonnettes qui allaient marquer à jamais non pas seulement la musique mais la culture algérienne, telles que « Rah El Ghali Rah », « Tchaourou Aâlia », « Alach del Ghder »...que Boudjemaâ El Ankis a tout simplement estampillées. Très avide des formes nouvelles, il s'engage également avec une autre sommité du répertoire, Mohamed El Badji, qui lui écrit des textes tout aussi célèbres que « El Meknine Ezzine », « Bahr Ettoufane », « Maâlih Bouab ». Une collaboration qui allait asseoir et pour l'éternité le prestige d'un Cheikh comme il n'y en a pas deux. De toute évidence, le Chaâbi joué par Boudjemaâ n'a pas été sans influence sur un certain nombre de jeunes interprètes qui en avaient fait carrément un cas d'école, et dont le plus en vue n'est autre que...Amar Ezzahi. C'est vous dire...