Taleb Rabah est considéré comme l'un des grands noms de la chanson d'expression kabyle. Aux côtés de Chérif Kheddam, Akli Yahiatène et Kamel Hamadi, il a acquis une grande notoriété dès la fin des années 50 dans les milieux de l'émigration. Simple ouvrier à Paris, il enregistra en 1955 ses premiers disques chez Pathé Marconi. Il avait fréquenté et connu des artistes comme Sadaoui, Dahmane El Harrachi, El Ghalia, Arezki Oultache, Cid Messaoudi... A l'âge de 20 ans, orphelin de mère, qu'il ne cessait d'évoquer, il avait quitté sa région, happé par l'exil. De retour au pays à l'Indépendance, il était une valeur sûre et se produisait lors des tournées à Alger et dans d'autres villes où le précédait sa réputation. S'il n'entreprit pas un travail de modernisation musicale, les thèmes qu'il évoquait dans ses textes étaient un reflet de l'époque avec ses espoirs et ses contradictions. Il s'inspirait, d'ailleurs, souvent de l'ingratitude du temps. Il chantait beaucoup, mi-moraliste, mi- ironique, les désillusions qu'entraîne le changement. L'homme était connu pour son attachement aux valeurs ancestrales et religieuses. Son dernier CD était d'ailleurs dédié exclusivement à l'amour de Dieu et de son Prophète (QSSSL). Chacun peut fredonner un de ses airs et certaines de ses paroles, comme celles d'une célèbre chanson sur la race canine. Il reconnaît au chien, « le compagnon », une fidélité dont les hommes sont incapables. Le titre a acquis une valeur quasi proverbiale. « Sawaq Yalouiza », « Atsnadhigh afazahrix », « Mathchfem Ayigoudar », « Ayamalu », « Thazga Siffam » ont traversé le temps et les générations. Grande considération Son répertoire, qui comporte plus d'une centaine de titres, fait défiler l'histoire de sa région, vidée par l'exil, et celle l'Algérie, meurtrie par la guerre, comme dans « Atsrount Wallan ». Durant la Révolution, loin des siens, il sublima la souffrance, les épreuves. Il était un militant de la cause nationale. Il fut honoré à ce titre lors d'un concert à la radio Chaîne II en 2007. Le moudjahid avait animé durant des années des émissions à caractère social sur cette chaîne. Mohand Akli Benyounès de la Fédération de France du FLN, sénateur, avait été chargé par le président de la République de lui remettre la médaille de l'ordre du mérite. Le ministère de la Culture en 2012 et de nombreuses associations au pays ou en France ont rendu également hommage à son talent. La nouvelle de sa mort s'est vite répandue, suscitant une grande émotion. L'homme ne rechignait jamais à apporter son témoignage lors des multiples hommages rendus à ses pairs. Commerçant durant des années à la Nouvelle-Ville de Tizi Ouzou, il a évolué parmi les gens simples chez qui il jouissait d'une grande considération. De nombreuses personnes ont afflué vers son domicile familial pour lui rendre un ultime hommage. On ne citait, d'ailleurs, son nom sans le faire précéder de la particule « Da », en signe de respect. Sa dépouille a été transférée, hier en milieu d'après-midi, vers la maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou pour un dernier adieu à l'un des chanteurs ayant glorifié la guerre de Libération nationale. L'enterrement de l'artiste a eu lieu hier dans son village natal.