Constat - Les scénaristes des grandes séries de BD s'habituent à travailler dans l'ombre, car «seul le héros compte aux yeux des lecteurs», qu'il s'appelle Thorgal ou Lucky Luke. «Dans les séances de dédicace des festivals comme Angoulême», en France, qui prendra fin demain dimanche, «nous ne sommes pas les plus populaires : le public préfère les dessinateurs», témoigne Yves Sente. «C'est logique car la BD passe d'abord par le dessin». Yann Lepennetier, dit Yann, l'un des scénaristes les plus prolifiques de la BD franco-belge, reconnaît que sa notoriété est quasi nulle, ne dépassant pas «un cercle restreint de passionnés». Et pourtant, que de succès de librairie figurent parmi les 170 albums que ce Marseillais de 58 ans installé à Bruxelles a publié en 30 ans, comme Pin up, Lucky Luke ou Les Innommables. A 49 ans, Yves Sente fait aussi partie de la poignée de scénaristes, avec Jean Dufaux et Stephen Desberg, sur lesquels reposent les séries locomotives capables de se vendre à plus de 100 000 exemplaires. Il a signé le dernier album de Blake et Mortimer, Le serment des cinq Lords (Dargaud), ainsi que ceux de XIII et de Thorgal. Pour ces deux dernières séries, Yves Sente marche sur les pas de leur créateur, Jean Van Hamme, son «maître», qui a pris du recul à 74 ans même s'il continue à inventer les aventures de l'orphelin milliardaire Largo Winch. «Dans ce genre de séries, le scénariste est avant tout au service du héros», explique Yves Sente. «Reprendre une série est donc délicat. Il faut être très attentif à respecter l'esprit de la série, la personnalité des personnages et la crédibilité du récit sur l'ensemble des albums». Au risque de voir les lecteurs perdre leurs repères et déserter, comme Lucky Luke ou Spirou en ont fait l'amère expérience il y a quelques années. «Ecrire le scénario d'un album de 48 pages est un exercice très particulier, qui répond à des codes stricts. Il faut être très elliptique. C'est pour cela qu'un bon écrivain sera difficilement un bon scénariste de BD», témoigne Yann. Pour écrire un nouvel album, Yves Sente a «besoin de complètement s'immerger» en s'isolant dans sa maison près de Bruxelles. Yann, au contraire, mène de front plusieurs récits, jusqu'à une dizaine. «Lorsque je suis en panne d'inspiration pour une série ou que le récit bloque, je la laisse quelques jours. Le temps qu'une solution mûrisse». Autre scénariste stakhanoviste, Raoul Cauvin invente aventures et gags en s'allongeant sur le canapé qu'il a fait installer dans son bureau du journal Spirou. «Je n'aime pas trop être dérangé lorsque l'inspiration vient», témoigne le créateur des Tuniques bleues et de Cédric. Une fois le scénario terminé, reste à le faire accepter par le dessinateur. «La priorité, c'est de motiver le dessinateur. S'il est d'accord, il donnera le meilleur de lui-même», résume Yves Sente. Pour le dernier Blake et Mortimer, il a accompagné André Juilliard pour le repérage des décors à Oxford. «Lorsqu'on découvrait un lieu qui nous plaisait, je changeais le scénario pour l'intégrer», raconte-t-il.