Résumé de la 1re partie n Après avoir passé tout leur jeunesse en ville, Grégoire et Marie retournent à la campagne. Terrassés par la vieillesse et l?orgueil, ils ne veulent pas déranger leurs enfants. Au fil des mois, la maladie cloue Marie, paralysée, dans un fauteuil. Grégoire décide alors d?appeler son fils. Grégoire écrit avec application et le papier colle sur la toile cirée à petits carreaux rouges. Dira-t-il aussi que lui-même, parfois? non, il ne le dira pas. Ce serait trop de soucis en même temps, Marie d?abord. La mère d?abord. C?est elle qui a mis ce grand gaillard au monde et qui l?a regardé partir sans une larme, qui ne l?a presque plus revu, recevant comme une aumône les photos des petits-enfants et les visites en coup de vent. «Tu comprends, cette année on va en Espagne, en Italie, voir la mer ou la montagne, tu comprends on n?a que trois semaines? Tu comprends, les enfants vont en colonie, c?est plus pratique, tu comprends, ils sont grands maintenant, ils ont leur vie? Tu comprends, c?est loin chez vous?» Si loin qu?insensiblement ils ne sont plus venus. «Vous devriez vous faire installer le téléphone, ce serait plus pratique s?il arrivait quelque chose, on serait prévenus», prévenus oui, et absents, c?est normal. Grégoire n?aime pas écrire. C?était maman qui écrivait, pour les fêtes et les anniversaires, Noël et le reste. Alors, il écrit peu, simple comme un bulletin de santé : «Le docteur a dit que? alors voilà, on voulait que tu saches, pour que si jamais. Ton père affectionné.» Le fils a répondu. Avec un petit mot de toute la famille qui embrasse bien grand-mère et espère qu?elle guérira vite. Il a dit qu?il viendrait dès qu?il pourrait. Plus tard, il a dit qu'il n?avait pas pu, mais qu?il pourrait bientôt. Alors, Grégoire a écrit de nouveau qu?il ne se fasse pas de souci, qu?il ne se dérange pas. «Ta s?ur est venue dimanche, elle est restée pour le goûter, elle ne pouvait pas plus, à cause de son travail? Elle a trouvé maman bien fatiguée, mais courageuse. Nous allons bien, surtout ne vous tracassez pas.» Comment pourraient-ils se tracasser, ce fils et cette fille qui ne savent lire ni entre les lignes ni entre les rides. Et puis, du moment que le père dit de ne pas se tracasser, c?est qu?il n?y a pas péril en la demeure des vieux parents. Aucun péril, c?est vrai. Le vent d?automne déferle sur les Cévennes, balayant les villages, les maisons de pierres sèches et courbant le dos de Grégoire sur le chemin montant. Le docteur a dit? Il ne l?écrira pas. Mourir, c?est l?affaire des vieux, pas des jeunes. Et puis, il ne faut pas croire au désastre. Si les enfants venaient, Marie comprendrait que chaque minute de sa vie est un miracle. Un miracle douloureux. Elle se verrait partir, il ne faut pas. Le vent d?hier a glacé les pierres, fermé les portes et les fenêtres. Et le facteur a bien du mérite. Il apporte le journal, la facture d?électricité, les papiers de l?assurance, ceux de la retraite et un calendrier des postes. C?est Noël. Il apportera en plus une jolie carte rouge et or, semée de paillettes. «Bonne année, bonne santé.Le petit dernier a la rougeole, nous viendrons bientôt, comment va Mamie ?» «Mamie va bien, répond Grégoire, elle ne peut lire, alors je lui ai lu la belle carte et je lui ai raconté le dessin. Elle vous embrasse.» (à suivre...)