Agression n La technique est simple. Ils escaladent la palissade qui entoure le chantier et guettent, comme des félins tapis dans la broussaille, leurs potentielles proies. Ces proies sont ces femmes et ces hommes qui, par inadvertance, oublient qu'en passant par là, ils risquent de perdre leur portable, pour ne citer que l'objet le plus prisé des malfaiteurs, car étant le plus facile à prendre et à écouler sur le marché du recel. Une fois le forfait accompli, les voleurs, à l'aise dans leurs chaussures de sport et agiles comme des singes, grimpent la muraille et disparaissent dans les travées du chantier, leur lieu de repli. Cette tactique est payante car les malfaiteurs savent pertinemment qu'ils ne risquent rien devant des victimes qui ne s'aventurent jamais à aller, pour se faire justice, se jeter dans la gueule du loup. Les vols à l'arraché de portables et de bijoux sont, non loin du «Titanic», le lot des quotidiens mouvementés. Tous pratiquement opérés avec agression caractérisée. Le plus souvent avec des crans d'arrêt sortis de la poche de jeunots, subitement affolés et incontrôlables après une bonne prise de barbituriques. Les lieux sont devenus le repaire de plusieurs bandes de voleurs et de scélérats. Ils attendent les passants, les dépouillent sans pitié et parfois les mettent à mort dans cet abominable endroit. «Les gens se contentent d'observer et préfèrent ne pas s'immiscer dans ce genre d'histoire, car ils savent qu'ils risquent un coup de poignard dans le dos ou dans le cœur s'ils s'interposent», dit un habitant. Les victimes sont livrées ainsi comme une proie facile à leurs bourreaux. «C'est malheureux, mais c'est comme ça !», se désole Rachid, quadragénaire, commerçant de son état à la rue Belouizdad, qui dit se souvenir des premières pierres du Titanic, au milieu des années 1980. «A cette époque-là, il y avait de l'animation. Les maçons et les ingénieurs étaient là, tôt le matin. Les engins tournaient à plein régime. Des sacs de ciment arrivaient par centaines. On croyait que c'était une question de quelques mois seulement. Malheureusement, on s'est trompé ou plutôt on nous a trompés», se souvient-il amèrement. Et maintenant ? Le commerçant voit déjà ses clients partir pour ne plus revenir à cause de l'insécurité tenace. Rachid poursuit : «Une fois, une femme âgée, dans son haïk blanc, a été malmenée par deux voleurs. On lui a arraché son porte-monnaie. Elle se démenait héroïquement contre eux et, fait curieux, dans la foule compacte des gens, seul un vieux, dépassant largement les 70 ans, s'est précipité pour la sauver. Kleh qalbou. Après leur méfait, les voleurs ont pris la direction du Titanic alors que le vieux tentait de consoler la victime. C'était un acte de bravoure. Quand j'y pense, j'ai honte de moi car j'ai vu la scène du début jusqu'à la fin, mais je n'ai rien fait. Parfois, je me dis et si c'était ma mère ?»