Soulagement n «Alhamdou lilah ! je ne suis pas encore concerné» s'époumone un quadragénaire, marié depuis six ans et père d'un garçon de trois ans, l'unique pour le moment. C'est encore trop tôt pour que son rejeton lui présente la liste des fournitures scolaires, le premier jour de contact avec l'instit. Près de lui, un ami n'est pas dans le même état d'esprit. Quand on lui demande une petite impression sur la rentrée, il fait une grimace. «Moi, j'ai deux filles déjà scolarisées et un garçon qui fera cette année son baptême du feu. J'espère que «la chickha» sera compréhensive et qu'elle ne nous demandera pas des folies». Ainsi, si le premier semble réserver ses soucis pour le ramadan, le second, dont l'épouse est de surcroît femme au foyer, et disposant d'un salaire de misère, est en revanche obligé de dénicher plusieurs options. «Vais-je contracter un crédit ? C'est possible mais auprès de qui ? je sais que tout le monde, du moins mes amis, sont dans la même situation que moi», reconnaît-il amèrement. «Un énième prêt sur gage ? : possible» surtout quand la sacrée rentrée coïncide avec un sacré mois qui exige dépenses et sacrifices. Mais même avec le prêt sur gages, notre bonhomme n'est pas prêt à casser sa tirelire. Loin s'en faut, car… il n'en a pas. «Je pense aller à la fripe pour les vêtements des enfants et essayer d'aller convaincre le directeur d'école et lui raconter un peu ma situation. Je pense qu'il prendra en considération ce que je vais lui dire. Lui, il doit certainement avoir des enfants et il sait ce que sont la rentrée et le ramadan à la même période». Dans les venelles de la rue de Charles, à la Basse-Casbah, femmes et hommes demandent les prix des cartables, des tabliers, des trousses. Les magasins de vêtements accueillent beaucoup de monde. Il est rare d'y trouver un jean pour adulte. «Venez après la rentrée», lance un commerçant à une jeune fille, comme pour lui signifier que la première quinzaine de septembre est réservée à «la classe biberon» et autres paliers de l'éducation. A quelques mètres d'une grande pizzeria située en contrebas de cette rue commerçante, un homme de plus de 50 ans est assis sur un tabouret. Il vend des galettes alors que sa petite fille, assise gentiment à côté de lui, contemple, les yeux écarquillés, une belle robe à l'entrée d'un magasin où les spots lumineux lui font agréablement changer de couleur. «Regarde papa, regarde…». Le vendeur de galettes esquisse un large sourire à l'adresse de sa petite et replonge dans son travail. Il doit tout vendre pour acheter un sac à dos ou cette belle robe rouge. Atterré à l'idée d'affronter une situation des plus embarrassantes, compte tenu surtout de la cherté de la vie, ce père, malheureux à bien des égards, illustre par son cas, des centaines de milliers de semblables. Demandez un peu aux parents l'épreuve inévitable qu'ils veulent esquiver ? Ils vous répondront presque tous : la rentrée scolaire. Bientôt les enfants reprendront le chemin de l'école, mais avant cela, c'est tout le foyer qui est en ébullition. Les fournitures scolaires et les vêtements neufs sont un calvaire : un épouvantail pour les faibles ménages. La rentrée est devenue depuis des années, synonyme de stress et de grosses tracasseries.