Les rêves en hauteur d'un président de la République. Ou autrement dit, la majesté architecturale, le sublime religieux et le rayonnement spirituel espéré. Selon la hauteur de vue de chacun, on peut y voir tout ça à la fois ou ne retenir qu'un aspect de la question. Ou encore focaliser la critique sur le coût et les surcoûts du projet. Mais qu'on se le répète, Allah est Grand et la future Grande Mosquée d'Alger, qui peine à voir le jour, aussi. Ce projet jugé pharaonique, cette monumentale maison de Dieu, tout droit sortie d'un songe de grandeur, spirituelle, bien sûr, d'un chef d'Etat qui a décidé de ne pas lésiner sur les deniers du culte, relève à la fois du sublime et de la démesure. On peut en juger déjà par la froideur des chiffres qui donnent le vertige. 275 000 m2, 120 000 fidèles en prière, un minaret de 270 mètres de haut, le plus haut du monde, un musée d'art et d'histoire islamique, un gigantesque centre de congrès, une Maison du Coran pour 300 doctorants. Mais aussi, des dizaines de cafés et de boutiques et même un multiplexe cinématographique, une immense salle de stockage de chaussures, un parking pour au moins 10 000 voitures, et, initialement, 48 mois de chantier confiés à un opérateur chinois habitué à réaliser rapidement des travaux herculéens. Et, initialement, 1 milliard d'euros tout rond, soit 1,4 milliard de dollars, sans les surcoûts, vraisemblablement un seuil final de 3 milliards de dollars, voire 4 selon certaines prévisions. Chiffres hallucinants à la mesure de la troisième plus grande mosquée de tous les temps après celles de La Mecque et de Médine. Une mosquée plus grande que celle de Casablanca, Islamabad et Djakarta. Après avoir germé dans l'esprit du Président, ce projet s'est longtemps perdu dans les méandres mystérieux de la bureaucratie algérienne, victime architecturale de son incurie et sa force inertielle. Depuis la création, en 2005, de l'agence chargée de la réalisation et de la gestion de «Djamaâ El Djazaïr», ce projet des siècles algériens semblait s'être perdu dans les eaux fangeuses de Oued El Harrach, à proximité duquel est en cours d'édification ce futur haut lieu du malékisme. Appels d'offres réitérés, avis de prorogation de délais de manifestation d'intérêt et aujourd'hui les retards de réalisation accumulés ont suscité et attisent encore le doute des détracteurs et des sceptiques. Dont la perplexité du chroniqueur qui y avait vu alors un mirage architectural sur une énorme faille sismique. Justement, celle sur laquelle se trouve le terrain de construction, pourtant classé «zone 3», soit le degré sismique le plus élevé du nord du pays. Le site est en effet situé en plein sur l'une des six failles sismiques d'Alger qui convergent toutes vers la fameuse faille du Sahel qui traverse Mohammadia, le bien-nommé quartier d'accueil. Si le volet de sécurité sismique est pris en compte par les réalisateurs étrangers, on peut toutefois regretter que des compétences algériennes n'aient pas été associées, en amont ou en aval, à la conception et la réalisation du projet, même pas dans le cadre d'assistance à la maîtrise d'ouvrage. Déplorer donc, à juste titre, que le génie algérien n'ait pas été au pouvoir pour conférer une âme et donner une identité à ce futur complexe de la spiritualité algérienne. Une œuvre imaginée par un Algérien, Abdelaziz Bouteflika en l'occurrence, mais façonnée et réalisée par des intelligences sino-germano-canadiennes. Mais alea jacta est, le sort en est finalement jeté et le temps n'est plus aux regrets ou aux récriminations. La chimère architecturale, est en passe de devenir une réalité, celle d'une grande nef religieuse en bordure de Méditerranée. Sa position face à la mer n'est pas sans rappeler un projet similaire mais de moindre taille, celui de la Grande mosquée de Casablanca. Trône architectural qui en impose lui aussi face à l'immensité océane. Comparaison, n'est pas raison, certes, mais le parallèle sonne comme un aveu implicite d'existence, chez les Algériens, d'un complexe spirituel inavouable : le «complexe al-Qarawiyine». Ou bien encore, en se déportant à l'est de l'Algérie, un «syndrome de la Zitouna». Dans un cas comme dans l'autre, ces deux haut-lieux de la spiritualité malékite rappellent cruellement l'absence d'un espace analogue dans le Maghreb central, ancienne appellation de ce qu'est aujourd'hui l'Algérie. Mais, reconnaissons-le quand même, l'actuel président algérien est profondément habité par l'idée de doter son pays d'un centre de rayonnement religieux à l'instar des Qarawiyine de Fès, de la Zitouna de Tunis ou même d'al-Azhar du Caire. En termes de vision, al-Qarawiyine fut pour lui le périgée religieux et la Zitouna, peut-être même al-Azhar, le point d'apogée spirituel. C'est vraisemblablement un peu de tout ça qu'il a voulu voir émerger à Mohammadia ! Mais même en termes de desseins religieux, il y a parfois loin de la coupe aux lèvres ! Car si on pouvait combler un énorme manque en matière d'architecture, on ne pourrait, en revanche, rattraper d'un coup, d'un seul, un retard historique par rapport à des institutions érigées en 704 et 877. On l'a constaté déjà avec l'université islamique de Constantine et sa mosquée, dont l'animation spirituelle avait été confiée, sous Chadli Bendjedid, à des mercenaires égyptiens du sermon religieux. Mais soyons tout de même optimistes. Et, prions Dieu pour que nous, Algériens, soyons à la hauteur. Que nous prenions de la hauteur spirituelle pour ne pas faire de la Grande Mosquée d'Alger un simple mais gigantesque rassemblement de prieurs. Coraniquement parlant, de faire de la Grande Mosquée une arme spirituelle de dissuasion massive contre les obscurantistes et autres intégristes de tout poil ! N. K.