De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar La socialisation de la culture, voilà un sujet qu'on ne cesse de ressasser entre initiés depuis de longues années. Le thème, sans faire l'objet d'un véritable débat public, demeure l'otage d'une certaine élite et fait épisodiquement l'objet d'articles de presse ou de contributions publiées dans les journaux. Mais pour populariser concrètement le fait culturel, il faut beaucoup de travail et d'actions concrètes sur le terrain. Une telle ambition exige naturellement une feuille de route, une politique culturelle volontariste qui impliquerait, en premier lieu, les institutions publiques qui en ont la charge. Mais on est encore loin de ce minimum. Les Directions de la culture, à travers tout le pays, ne s'occupent que d'activités circonstancielles et de célébrations diverses. Ceux qu'on appelle les artistes exercent leur métier comme un hobby, c'est-à-dire durant les week-ends et les jours fériés. En effet, combien sont-ils les artistes qui vivent de leur art en Algérie ? On est tenté de dire si peu, sinon aucun. Cette triste réalité est évidemment vécue par nombre de créateurs qui se sont résolus à partir en exil à la recherche d'un cadre de travail plus incitatif. Le public et les cercles des passionnés se réduisent comme peau de chagrin. L'absence d'un marché de l'art rajoute une couche au scepticisme ambiant et entame même l'espoir d'un décollage.En guise d'illustration, prenons l'exemple de Béjaïa où les institutions et les organisations censées stimuler l'activité et l'animation socioculturelles n'arrivent pas à se dépêtrer de leurs propres dysfonctionnements internes. Le premier responsable du secteur à travers la wilaya est sévèrement contesté par les artistes et le mouvement culturel local. Chanteurs, écrivains, dramaturges et animateurs, constitués récemment en collectif, dénoncent à l'unisson la mauvaise gestion et le rétrécissement des espaces consacrés à la culture. Dans un courrier au ministère de tutelle, les concernés exigent une commission d'enquête sur la gestion du budget alloué au secteur. S'estimant méprisés et marginalisés, les intéressés plaident pour la levée immédiate «des multiples embûches dressées devant l'action culturelle authentique». Les établissements culturels existants sont également en léthargie. Même si la qualité et la quantité des moyens disponibles ne répondent pas parfois aux espoirs des «culturalistes», chaque municipalité dispose généralement d'un centre culturel, d'une bibliothèque et parfois d'une salle de cinéma. Mais ces établissements, qu'ils soient sous tutelle des APC ou de la Direction de la culture, restent généralement sous-exploités faute d'initiatives et de programmation régulière. Tous les centres culturels communaux sont quasiment à l'arrêt depuis belle lurette. Toutes les salles de cinéma sont également fermées, y compris la Cinémathèque. Les bibliothèques municipales n'arrivent pas, non plus, à intéresser le lectorat. Hormis les activités épisodiques du TRB et de la maison de la culture du chef-lieu de wilaya, tout le reste est à l'abandon. De là à parler de socialisation, on est bien loin de la coupe aux lèvres. Si les acteurs culturels eux-mêmes n'arrivent pas à offrir le minimum, comment pourraient-ils, alors, impliquer d'autres partenaires ? Qu'ils soient institutionnels ou associatifs, les activistes de la culture ne sont pas près de mobiliser le grand public pour créer une quelconque dynamique. Les mécènes, la Direction de la culture, celle de l'éducation, la circonscription archéologique, celle du patrimoine ou même la Direction des forêts ont incontestablement un lien avec la culture, mais quand cette dernière n'existe pas le lien se brise de lui-même. Il convient aujourd'hui de reconnaître que tout reste à faire dans ce domaine.