De notre envoyé spécial à Cannes H. Mohamed Atemporel, le film se passe au Maroc et compte une pléiade de comédiennes des plus talentueuses. L'on citera Beyouna et Hafsia Herzi de mère algérienne et Leïla Beikhti, Française d'origine algérienne. On n'omettra pas de citer la grande Hiam Abbes qui joue le rôle d'une femme acariâtre, victime du poids des traditions, qui s'en prend à sa belle-fille, laquelle décide d'ameuter les femmes du village pour se révolter contre les hommes en faisant la grève de l'amour.Le nœud du problème, cette eau qu'elles ramènent de la montagne au village au détriment de leur santé. Plus de câlins donc tant que les hommes n'apportent pas l'eau au village. Côté interprétation masculine, on découvre le grand comédien marocain Mohamed Majd et l'acteur palestinien Saleh Bakri. Tous ont dû apprendre à parler le dialecte marocain en cohabitant durant un mois et demi avec ces villageois et en suivant des cours intensifs assurés par un coach. Celle qui aura le plus souffert, dit-on, aura été notre Beyouna pour la difficulté de ses dialogues. A l'instar de tous les personnages qu'elle a incarnés jusqu'à présent, Beyouna se veut une femme courage, la femme sage du village qui donne des conseils et prône la lutte et la détermination des femmes.L'histoire de la Source des femmes est inspirée d'un livre turc, dira le réalisateur Radu Mihaileanu lors de la traditionnelle conférence de presse qui suit la projection. La Source des femmes, fera-t-il remarquer, vient pour contrecarrer les clichés par rapport à la religion musulmane. Le choix de la langue arabe pour le jeu des comédiens s'est imposé de facto, pour plus de réalisme. Pour Leïla Bekhti, ce film est «une ode à l'amour, sur l'altruisme, la capacité de s'aimer, à s'écouter, à se comprendre. On ne se regarde plus. On ne s'écoute plus. Ceci est un grand problème dans le monde. Le scénario m'a énormément touchée. A la fin du film il y a un chant qui dit : ‘‘la Source de la femme est son homme''. Le film n'est pas manichéen. Ce n'est pas la femme contre les hommes. La métaphore de ce film est la conduite d'eau qui symbolise en fait celle de l'amour».Combiner un conte oriental avec le documentaire est le défi du réalisateur qui a souligné son désir de s'inspirer du monde arabo-berbère musulman, d'où le choix du décor hautement coloré qui prévaut dans son film. La femme est le devenir de l'Homme Pour Beyouna qui désirait par-dessus tout plaire à son «dictateur» de réalisateur, ce film s'adresse également aux hommes tout en revendiquant le droit des femmes à la dignité et l'amour. «C'est un très beau cadeau que le réalisateur m'a fait. Il m'a fait sortir du tiroir. C'est lui qui avait les clefs. En tant que Beyouna j'ai aimé mon rôle. On adore nos hommes mais quand même, il faut discuter avec la femme. Lui donner de la considération. Ces femmes villageoises sont très fortes. J'avais une maladie, je flippais pour tout, surtout à cause de la crise économique. Au village j'ai guéri.»Si Hafsia Harzi et Sabrina Ouazani sont toutes contentes de jouer dans ce film et de représenter la fille arabe, Hiam Abbas fera remarquer, à juste titre, qu'apprendre une langue fait partie de l'éducation du comédien qui s'ouvre sur les cultures du monde. Hiam Abbas n'omettra pas de souligner sa fierté d'être Arabe eu égard à ce qui s'est passé dernièrement en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie, etc. «Je crois à la révolution dans les pays arabes où il y a un grand pas vers la liberté. Un pas ayant commencé dans les sociétés arabo-musulmanes. Malheureusement, très peu de personnes savent que le Coran octroie énormément de droits aux femmes. Des hommes le savent mais le cachent pour continuer à exercer leur pouvoir sur les femmes. C'est faux, l'Islam n'est pas une religion de haine», fera remarquer le réalisateur français d'origine roumaine.Aussi, pour faire ce film, Radu Mihaileanu a-t-il dû lire le livre de Fatima Meghnissi qui raconte le dialogue entre la tradition, la religion musulmane et la technologie. «Forcément, c'est ce dialogue avec l'autre qu'on doit établir, sans se trahir soi-même. L'auteur dit que c'est de ce rapport qu'allait naître une révolte où les femmes allaient demander une amélioration de leurs conditions. Moi en tout cas, je suis très attentif aux révolutions, pas seulement de la rue, mais aussi celle qui se tient à la maison et qui doit s'accomplir, c'est-à-dire la place de la femme dans l'intime, dans le cercle familial. Si la femme est égale de l'homme, elle sera à ses côtés dans la société. Cela, y compris dans le monde occidental, ne nous leurrons pas.» Vaincre le temps, le défi des temps modernes «La grande crise de l'humanité aujourd'hui est celle de l'amour. Je ne dis pas ça dans le sens christique. L'humanité me semble paralysée de peur. On manque de confiance en soi, donc chacun se replie sur soi, en ne laissant plus aucune marge et de capacité à aimer vraiment l'autre. On ne se demande plus de quoi l'autre a besoin pour être heureux, qui me rendrait heureux à mon tour. La grande révolution à faire aujourd'hui, et qui est extrêmement difficile, serait d'abord celle du temps. Le monde s'est tellement accéléré avec les technologies qu'on vire dans l'immédiateté. Cela engendre des sociétés de moins en moins démocratiques, parce que nous n'avons plus de recul vis-à-vis des hommes politiques. Ces derniers en ont pris conscience, donc ils vont très vite. On devient de plus en plus manipulable. La grande révolution qu'on doit faire aujourd'hui est celle-ci qui se doit d'être basée sur le qui-suis-je ? Si on ne revient pas à la source de soi, tout va s'effondrer. La révolution du temps est difficilement rattrapable cependant. Ralentir le temps est primordial. Et nous, dans le cinéma, on le sait très bien, on est dans l'amortissement à court terme dans tout. Et même dans l'amortissement à court terme de nos sentiments. Et j'en connais un dossier», ajoutera le cinéaste.Si dans la Source des femmes Hafsia Harzi joue la vierge qui rêve d'amour, dans un autre film à contre emploi, l'Apollonide de souvenirs de la maison close, réalisé par Bertrand Bonello, c'est une prostituée. Un film aussi en lice pour la Palme d'or. Hafsia ne chôme pas puisqu'elle tourne actuellement Pour Djamila, de Caroline (torturée, violée, emprisonnée en France, elle a été défendue par Gisèle Halimi en 1961). Encore un rôle de femme de tête que Hafsia devra incarner, sans doute avec brio !