Le richissime Cheïkh, Hamad Bin Khalifa Al-Thani, est venu en Algérie où il est dans ses pénates. Il y a été accueilli en grande pompe par des Algériens pépères qui escomptaient qu'il y verserait généreusement des pépètes. Normalement, beaucoup n'attendent pas autre chose du représentant d'une micromonarchie absolue, édifiée sur une rente et vivant dans une bulle d'opulence insolente. L'émir est venu et il a signé des contrats. Avec un pays riche, lui aussi, de sa formidable rente. Un pays qui, en principe, n'a pas besoin de son argent car il est d'une toute autre taille géographique et démographique et d'une toute autre ambition géopolitique. Pour autant, le Qatar n'est pas un grand ami de l'Algérie. Ce n'est pas non plus un mécène prodigue ni un partenaire absolument désintéressé. Il y sert, comme ailleurs, une ambition stratégique, tout à fait légitime. Intelligente. Celle d'être visible, de plus en plus reconnu et respecté sur la scène arabe, et, encore plus, sur le théâtre mondial. Objectif servi, parait-il, par une obsession ardente chez son émir depuis qu'un douanier anglais raciste, inspectant son passeport, le lui agita sous le nez en lui demandant, avec une outrecuidante ironie : «Le Qatar, c'est où ça, ça existe ?» Depuis cette date, le Qatar existe bel et bien et est même visible, ostensiblement, comme la grenouille de la fable de La Fontaine qui se veut taureau et qui s'achète des cornes puissantes, à coups de pétrodollars ! Combien ont-ils de l'argent ? Mais n'est pas le Qatar qui veut, ça c'est certain. Le Qatar, c'est pourtant un petit Poucet de 11 437 km2, de 160 km de longueur et de 80 km dans sa plus grande largeur. Moins de deux millions d'habitants, dont seulement 20% d'autochtones. C'est un producteur de pétrole de taille moyenne, mais c'est aussi un géant gazier, troisième production, troisième réserve de gaz planétaire et, surtout, premier exportateur de GNL. Cet ancien pays de pêche et d'huîtres perlières, Etat souverain depuis 1971, est un pays-confetti vite devenu actif et attractif. Grâce à une volonté de devenir autosuffisant en achetant notamment des terres en Afrique, en investissant de manière colossale et à vaste échelle, partout, particulièrement en Europe et en Asie. En devenant aussi un hub régional pour la santé et l'aviation et en édifiant chez lui une sidérurgie ultramoderne. Et grâce aussi à une diplomatie du chéquier, fondée sur une médiation dynamique passée ces dernières années à l'action directe. La visibilité du farfadet qatari s'est traduite, également, par la création de vitrines de prestige et d'excellence, comme le grand Network Al-Jazeera et Qatar Airways, une des cinq compagnies classées 5 étoiles Skytrax. Il est vrai, aussi, que le Qatar, avec sa Constitution, son conseil municipal, son majlis échoura, les libertés accordées à ses femmes, la liberté de culte, sans limitation au dogme monothéiste et, enfin, la possibilité de saisine citoyenne et directe de l'émir, apparaît comme une démocratie suédoise à côté de la féodale et ténébreuse Arabie saoudite. C'est un pays de cocagne, une corne d'abondance, avec un PIB monstrueux de plus de 100 000 dollars/habitant, un taux de croissance vertigineux de 20% et un taux de chômage nul ! Ça, c'est pour le côté vermeil de la médaille de la prospérité dans un pays, certes, à l'écoute du bien-être de ses sujets. Mais le revers est moins bien reluisant, et c'est là un constat euphémique. Car, sans des réserves financières dignes d'un Crésus qui gagnerait chaque jour le jackpot de l'Euromillion et sans Al-Jazira, son média d'influence massive, le Qatar serait réduit à une monarchie pétrolière effacée et une théocratie wahhabite assise sur des champs d'hydrocarbures. Il n'y a pas de partis politiques et pas de processus électoral. Et l'actuel émir est un putschiste qui a déposé son propre père qui a, lui-même, renversé un cousin. On y bâillonne et corsète l'expression, notamment en condamnant à perpétuité un poète, pour avoir juste dit : «Nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive». Le pays, qui dispose d'élites indigènes rentières, a peu d'expertise de savoir-faire propre. Il achète tout, comme l'Algérie d'ailleurs. Mais lui est fidèle à une philosophie consumériste qui veut que l'argent n'a pas d'odeur, subordonne tout, soudoie, suborne et subroge tous, tout le temps et partout. C'est en fait une start-up familiale dont le management est composé de l'émir, de son fils Tamime qui «gère 80% des dossiers», de la belle et élégante princesse Mozah et du cousin germain, Premier ministre et chef de la diplomatie de son état. Le Qatar, c'est un fait réel, est aujourd'hui, bon gré, mal gré, le centre de gravité de la diplomatie arabe. Surtout depuis que la grande Egypte est plongée dans une instabilité chronique postrévolutionnaire et que le voisin saoudite, gouverné par une caste de gérontes cacochymes et grabataires, attend l'avènement d'une nouvelle génération. Le Qatar, c'est aussi le pays du Golfe qui abrite des bases américaines et signe des accords de coopération militaires avec les USA. L'Etat arabe dont le chef est le premier dirigeant à se rendre en Israël après Sadate et à accueillir chez lui un bureau de liaison de l'Etat sioniste. Grosse tâche sur la dischdacha blanche de Hamad bin Khalifa al-Thani, l'armée qatarie, qui ne compte que 15 000 hommes, est devenue le goumier de l'armée américaine, le zouave de l'armée britannique et le harki de l'armée française. Elle a servi de base de guerre contre l'Irak, joué le supplétif zélé en Libye et veut être le soldat dévoué et prévenant en Syrie. Et, surtout, finance les islamistes de tout poil, de tout costume et de toute obédience. Non sans cet insupportable activisme financier et diplomatique qui appuie le salafisme armé au Sahel et crée, pour une Algérie passive et par trop indulgente, des abcès de fixation dangereux à ses vastes frontières Sud. Tout compte fait, ce riche schtroumpf, qui a les gros yeux de son émir, finalement plus gros que son ventre gonflé de réserves gazières, est finalement fort de la faiblesse de ceux qui espèrent ses dollars et ferment les yeux et la bouche sur son interventionnisme et son agit-prop. Complaisants, ils deviennent alors complices, tout autant queles victimes consentantes. N. K.