«Saïfi peut être le Milla de 1990.» Ceux qui suivent les programmes de football sur Canal+ ne peuvent pas ne pas le connaître. Darren Tulett, c'est ce sympathique animateur anglais plein d'humour et de bonne humeur, aux habits typiquement British et à l'accent si délicieux. Samedi prochain à 21h15, il coprésentera, avec Thomas NGijol, une émission humoristique sur le foot intitulée «Ils se foot du monde» afin de coller à l'événement mondial du moment, la Coupe du monde. Comme Darren a aussi la qualité d'être anglais, de plus connaisseur des footballeurs algériens évoluant en Europe, il se confie à nous pour nous parler de son émission et de sa vision du très prochain Angleterre-Algérie. Vous êtes chroniqueur à Canal+, spécialisé dans le football anglais, et vous allez présenter bientôt, sur cette chaîne, une émission en rapport avec l'événement du moment, la Coupe du monde de football. Pouvez-vous nous présenter le concept de cette émission ? Il s'agit de traiter le football de manière décalée, avec des sketches et des reconstitutions de moments mémorables liés à ce sport. Bien sûr, il ne s'agira pas d'information, mais surtout d'humour puisque nous aurons comme invités d'anciens footballeurs et aussi des artistes qui se retrouvent pour parler football avec un grand sourire et aussi beaucoup d'humour. Donc, il y aura de l'humour anglais à la Darren Tullet… (Rires) Oui, il y aura sûrement ça. Il y a une autre personne, Thomas NGijol, de Jamel Comédie Club, qui présentera l'émission avec moi. Donc, l'humour est garanti. De plus, il y aura des choses qui n'ont pas encore été faites dans ce genre d'émissions. Par exemple, on fait venir d'anciens joueurs pour faire des reconstitutions d'actions de jeu. Ainsi, on a ramené David Ginola au Parc des Princes afin qu'il refasse le centre qui avait amené, en 1993, le but victorieux de la Bulgarie et qui avait privé la France du Mondial-94. C'est très fort, ça ! Oui, c'est très fort et nous avons même créé un sketch autour de ce fait avec beaucoup de joueurs et Ginola a bien voulu jouer le jeu avec nous. Il est venu à Paris pour faire la reconstitution et pour jouer dans ce sketch. Il montre par là qu'il a beaucoup de recul par rapport à son image. C'est quand même un joueur extraordinaire et il est très apprécié en Angleterre, mais en France, on lui colle toujours ce centre raté qui avait amené un but de la Bulgarie. L'étranger que je suis trouve cela aberrant qu'on en parle encore près de vingt ans après. Nous remarquons aussi que beaucoup d'acteurs du monde du football utilisent souvent la langue de bois. Ce qui change dans l'émission que nous avons préparée est qu'on peut prendre les choses du bon côté, avec un autre ton. Par exemple, David Savidan, qui avait été éboueur avant de devenir footballeur, a joué un sketch où il met une tenue d'éboueur. C'est vous dire que les mecs ont vraiment joué le jeu à fond. Les Algériens qui suivent Canal+ vous connaissaient à travers votre participation sur le plateau de l'émission «L'Equipe du Dimanche» et vous connaissent comme animateur de l'émission «Ze Match of Ze Day» chaque samedi soir sur Canal+ Maghreb où vous revenez sur l'actualité de la journée du championnat de Premier League. Recevez-vous du courrier et des e-mails de téléspectateurs algériens ? Oui, il m'arrive de recevoir de temps en temps des petits mots d'encouragement et des lettres. Je sais aussi qu'il y a beaucoup d'Algériens en France qui regardent le football anglais avec beaucoup d'intérêt depuis qu'il y a des joueurs de la sélection algérienne qui jouent en Angleterre, surtout du côté de Portsmouth. Ici même, dans la rédaction de Canal+, les confrères algériens me chambrent depuis que le tirage au sort a mis l'Angleterre et l'Algérie dans la même poule. Il arrive souvent qu'on se chamaille autour de ce match. C'est pour bientôt ! Vous vous chamaillez avec Zahir (Oussadi) et Messaoud (Benterki, ndlr) ? (Rires) Oui, c'est avec ces deux-là. Je m'adresse au citoyen anglais que vous êtes et non pas au journaliste : pensez-vous que le tirage au sort a été favorable à l'Angleterre qui, avec Fabio Capello aux commandes, nourrit l'ambition de remporter le trophée ? Dès le lendemain du tirage au sort, The Sun, le journal le plus vendu en Angleterre et qui tire à 3 millions d'exemplaires, avait titré au une «EASY», qui veut dire facile en anglais, avec le E pour England, le A pour Algeria, le S pour Slovenia et le Y pour Yankees. Cela montre bien que, pour le peuple anglais, le groupe est à notre portée. La Slovénie ne sera pas très dur à battre. Je pense que nous pourrons aussi battre l'Algérie. Donc, je crois sincèrement que le groupe est facile. Vous résidez à Paris compte tenu de vos obligations professionnelles avec Canal+, mais il vous arrive de partir souvent chez vous en Angleterre. Quelle est l'impression qui se dégage des Anglais par rapport au match face à l'Algérie ? Vous savez, à chaque édition, les Anglais croient fermement que la Coupe du monde sera la leur. Il y a donc toujours beaucoup d'espoir, mais beaucoup de déception aussi. Cela fait 44 ans de souffrances, 44 ans à attendre que l'Angleterre gagne de nouveau la Coupe du monde. On y croit donc à chaque fois et ce sera pareil cette fois-ci. Aujourd'hui, les Anglais regardent leur équipe comme étant l'une des meilleures avec, dans ses rangs, quatre ou cinq joueurs de classe mondiale : Steven Gerrard, Frank Lampard, Wayne Rooney, Ashley Cole aussi qui est un super arrière gauche et aussi John Terry. C'est donc la moitié de l'équipe qui est vraiment bourrée de qualités. Evidemment, nous avons un petit problème avec les gardiens de but, au point de devoir jouer avec David James qui a presque 40 ans. Cela dit, celui qui pourrait ramener la Coupe du monde à l'Angleterre, c'est bien lui. Le seul trophée que les Anglais ont remporté avait été gagné aux tirs au but. On ne sait jamais, peut-être que David James sera notre sauveur ! Optimistes donc... Oui, les Anglais le sont, par rapport déjà à la qualité de leurs joueurs et aussi par rapport au tirage au sort. Le seul souci est que, bien que l'équipe sous l'ère Capello ait réussi à se qualifier plutôt aisément pour la Coupe du monde, avec notamment deux victoires contre la Croatie, les Anglais n'ont pas été vraiment impressionnants. Il nous manque un vrai match de référence. Nous attendons d'être vraiment convaincus sur le terrain de la qualité de cette équipe. Il n'y a pas encore eu un moment où on s'est dit : «Vraiment, nous sommes capable de battre n'importe qui !» Il y a eu deux exemples récents qui ont semé un peu de doute : nous avons affronté l'Espagne et le Brésil en matches amicaux et, tout au long de ces deux matches, nous avons nous été bien battus ! Cela situe le sentiment général autour de cette équipe. Quelque part, c'est bien de jouer ce genre de matches avant la Coupe du monde car cela fait prendre conscience aux joueurs qu'ils ont des progrès à faire, mais c'est aussi un peu rassurant car l'Espagne et le Brésil semblent bien plus forts que les autres équipes européennes. Les joueurs que vous avez cités étaient bien présents lors de la précédente édition il y a quatre ans, sans trop de succès. Ne pensez-vous pas que la meilleure «recrue» de l'Angleterre est plutôt le sélectionneur Fabio Capello qui a réussi à bien faire jouer ensemble toutes ces stars et à discipliner leur jeu ? Les gens ont effectivement bien apprécié l'apport de Capello et tout le monde l'attend en Coupe du monde. En fait, tout ce que Capello a gagné comme titres et tout son palmarès se sont faits dans des clubs et, même pour lui, cette Coupe du monde est une aventure car il n'a jamais été dans pareille situation. Comment va-t-il la gérer ? Nous ne le savons pas non plus. Ce qui est sûr, c'est que cette présence a apporté une certaine rigueur dans l'attitude des joueurs, lesquels étaient justement demandeurs d'un leader et d'un entraîneur de poigne. Aujourd'hui, si les joueurs ne respectent pas l'entraîneur, cela peut très vite donner à mal. C'est ce qui est arrivé avec le précédent sélectionneur, Steve McClaren. Les cadres de la sélection n'avaient pas beaucoup de respect pour lui, un peu par rapport à son palmarès moyen en tant que joueur et en tant qu'entraîneur, ce qui fait qu'il n'avait pas trop d'expérience. Les joueurs avaient besoin d'un homme comme Capello, dur et rigoureux. On est très contents de voir venir un vrai boss comme entraîneur. Alf Ramsey, le sélectionneur qui était à la tête de l'Angleterre de 1966, vainqueur de la Coupe du monde, était justement quelqu'un d'intransigeant et de très strict. Il ne parlait pas aux joueurs et gardait une certaine distance avec eux et lorsqu'un de ces derniers voulait rigoler avec lui, il se retrouvait remplaçant ! C'était un mec presque militaire. Aujourd'hui, les joueurs apprécient d'avoir quelqu'un du même profil. Que pensez-vous de la malédiction qui touche actuellement les capitaines d'équipe ? John Terry s'est vu retirer le capitanat par Fabio Capello suite à un scandale extra sportif, Rio Ferdinand s'est blessé et est out et Steven Gerrard ressent quelques douleurs… Même l'ancien capitaine, David Beckham, est out ! (Rires) Alors, il faudra confier le capitanat à David James ! C'est le moindre mal. En tant que spécialiste du football anglais, connaissez-vous les joueurs algériens évoluant en Premier League ? Les suivez-vous ? J'ai vu plusieurs matches de Nadir Belhadj et aussi de Hassan Yebda. Ils ont fait une bonne saison à Portsmouth, mais c'était malheureusement très compliqué pour eux à cause de problèmes financiers graves. Ils ont eu le mérite quand même d'arriver jusqu'en finale de la Cup, ce qui est très méritoire. Je dirai donc qu'ils ont vécu une saison assez mouvementée. Cela dit, ils ont démontré leurs qualités aussi sur le terrain et je ne crois pas qu'ils auront du mal à trouver un nouveau club la saison prochaine, s'ils ne veulent pas évoluer en deuxième division anglaise. J'ai aussi suivi le milieu de terrain algérien de Wolverhampton, Guedioura. Il a sorti de très bons matches avec les Wolves. Il a marqué les esprits en Angleterre et il est en Coupe du monde à présent. En Ecosse, il y a aussi Madjid Bougherra qui est très apprécié par les supporters des Rangers. Ce sont donc des joueurs que les Anglais connaissent bien. Ils ne connaissent certainement pas les autres joueurs parce qu'ils n'ont pas l'ouverture d'esprit de s'intéresser aux autres championnats. Dans leur esprit, le championnat anglais est le meilleur au monde et ils ne voient donc pas la nécessité de voir ce qui se passe ailleurs. C'est comme un homme qui croit avoir la plus belle femme du monde et qui ne croit pas utile de regarder les autres femmes ! Au contraire de vos compatriotes, vous êtes journaliste et vous suivez certainement les autres championnats, surtout à travers votre participation à l'émission «L'Equipe du Dimanche». Connaissez-vous d'autres joueurs algériens évoluant en Europe tels Anthar Yahia, Karim Ziani, Yazid Mansouri ou Karim Matmour ? Exactement. J'apprécie beaucoup Karim Ziani. Je le trouvais très intéressant lorsqu'il évoluait à l'Olympique de Marseille. Il apporte de l'énergie, de la technique et de l'improvisation dans le jeu. Il a une palette intéressante. Je connais aussi Rafik Saïfi qui n'est peut-être pas le plus jeune joueur de la sélection algérienne, mais qui a un talent fou. Quelle classe ! Il n'a pas encore l'âge qu'avait Roger Milla lors du Mondial-90, mais il pourrait être le Milla de cette Coupe du monde. Techniquement, il est capable de faire des choses extraordinaires ! Pensez-vous que le style de jeu pratiqué par des joueurs comme Ziani et Saïfi est à même de déstabiliser l'équipe d'Angleterre, habituée plutôt à des styles de jeu classique et prévisible ? C'est exactement ça ! Si vous voulez contrer l'équipe de mon pays, il faut justement jouer un football spontané avec beaucoup d'improvisation. Les joueurs anglais craignent beaucoup ce genre de joueurs capables de mettre le feu dans leur défense avec des actions individuelles. Si vous comptez jouer avec les armes des Anglais, à savoir un combat athlétique et un football engagé, vous risquerez d'y perdre à la fin. A mon avis, pour déstabiliser l'Angleterre, il faudra jouer sur vos propres qualités, en utilisant un football rapide et technique. Vous avez les joueurs qu'il faut pour cela. A ce propos, j'aimerais parler du jeune Boudebouz, qui a l'air d'être un vrai talent lui aussi. La Coupe du monde, au-delà de la lutte pour le trophée, est aussi une occasion de découvrir des joueurs et des équipes qu'on ne connaissait pas auparavant. Aujourd'hui, grâce au pouvoir de la télévision, on peut découvrir plein de joueurs inconnus et qui jouent dans différents championnats. Vous avez cité Nadir Belhadj comme l'un des joueurs que vous suivez en Angleterre. N'est-il pas paradoxal que son club, Portsmouth, ait terminé dernier du championnat alors que lui a inscrit des buts contre Liverpool et Chelsea, deux des meilleurs équipes de Premier League ? C'est vrai qu'il a marqué contre ces équipes et c'est ce qui démontre que c'est un joueur vraiment talentueux, mais a-t-il marqué contre David James ? (Rires) Non. Vous voyez ? Il a marqué contre les gardiens des meilleurs clubs anglais, mais pas contre le gardien de l'équipe d'Angleterre, David James (rires) ! Cela dit, comme ils jouent dans le même club, il doit avoir quelques tuyaux sur ses défauts et la façon de le tromper. Dans votre émission, vous avez fait la reconstitution d'actions de jeux célèbres. Avez-vous pensé à reconstituer la talonnade de Madjer de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions ? Oui, j'ai vraiment envie de le faire. Nous avons fait juste une première émission et nous attendons de voir comment ce sera reçu pour voir s'il y en aura d'autres, auquel cas je reconstituerai avec grand plaisir ce geste de génie avec Rabah Madjer. Ce sont l'un de ces gestes techniques qui ne s'oublient pas. Darren, merci de nous avoir consacré un peu de votre temps ! Merci à vous aussi et bon courage pour l'Algérie ! Je vous dis : One, two, three, viva l'Algérie ! Les Anglais savent-ils au moins que ce slogan, qui est notre slogan national, est en anglais ? Ils ne le savent pas, mais je me chargerai de faire passer le mot (rires).
