Le gouvernement a besoin de nouveaux instruments pour assainir le commerce extérieur et réduire en même temps les importations qui ont enregistré des hausses fulgurantes ces dernières années, a estimé mercredi l'économiste algérien Mahdjoub Beda dans ses réponses à Trois Questions de l'APS. Certains observateurs estiment que l'Etat devrait en priorité réduire les transferts légaux des devises avant de s'attaquer aux transferts illicites, le reste viendra après. Quel commentaire faites vous sur cette approche ? Mahdjoub Beda: Je ne partage pas cet avis car le gouvernement devrait adopter une politique globale d'assainissement du commerce extérieur, qui va aussi bien réduire les importations que lutter contre les pratiques de fraude. Il est évident qu'il y a une absolue nécessité de revoir les politiques économiques adoptées jusque-là. Cette révision doit impérativement relancer le secteur industriel, dont la part dans le PIB ne dépasse pas les 5%, en simplifiant les procédures de création des PME et en renforçant les réseaux de la sous traitance en mesure de réduire l'importation des intrants et des matières premières nécessaires à la production industrielle. Le gouvernement doit également travailler à libérer sur le terrain les initiatives dans l'investissement agricole et dans l'agroalimentaire et à faciliter l'accès des entreprises aux financements bancaires. Il faut aussi souligner que la démarche du gouvernement qui consistait à doper la demande locale et à créer des marchés pour les entreprises algériennes à travers les plans quinquennaux de soutien à la croissance n'a pas donné vraiment les résultats escomptés. Entre 60 à 70% des grands projets d'infrastructures de base engagés dans le cadre de ces plans ont été attribués à des entreprises étrangères en raison des moyens de réalisation limités des entreprises nationales. Le plan quinquennal 2010-2014 doté de 286 milliards de dollars n'a pas réussi à changer la donne, alors que le gouvernement qui injecte l'équivalent de 10% à 12% du PIB comme investissements publics réalise des taux de croissance au dessous de la moyenne africaine. Les importations ont atteint un plus haut historique de 37 milliards de dollars de biens durant les sept premiers mois de l'année, sans compter les services. Où se situe exactement cette saignée des devises ? Mahdjoub Beda : La tendance haussière des importations ne peut seulement être expliquée par la hausse des achats de biens d'équipements industriels, liés à la mise en oeuvre des plans de soutien à la croissance. En comptabilisant les services, les importations de l'Algérie vont engloutir environ 75% des recettes de l'Etat cette année et qui devraient atteindre selon les prévisions 75 milliards de dollars. La situation est inquiétante d'autant plus que nos exportations pétrolières sont en baisse et celles hors hydrocarbures restent insignifiantes. Il est également important de mettre fin aux surestaries des navires, dont les coûts sont transférables en devises aux consignataires étrangers. Un séjour en rade d'un navire coûte entre 8.000 et 12.000 dollars par jour. A vous de faire le compte si on sait que la moyenne d'un séjour en rade oscille entre 6 et 15 jours, d'où la nécessité de renforcer la flotte de transport maritime algérienne. La réassurance à l'international des actifs des grandes compagnies nationales engloutit également une part importante des devises et alourdit la facture de l'importation des services qui avoisine les 11 milliards de dollars annuellement. L'on doit s'interroger sur le projet de la société de réassurance de Sonatrach à Luxembourg qui n'est pas encore entré en activité en dépit de sa création depuis quelques années. Doit-on aller vers un nouveau recadrage du commerce extérieur et notamment du Credoc qui n'a pas réussi jusqu'ici depuis son institution en 2009 à réduire les importations ? Mahdjoub Beda : Le Credoc (crédit documentaire) a été imposé en 2009 comme seul moyen de payement des importations dans le but d'assurer une meilleure traçabilité des opérations du commerce extérieur, mais n'a pas réussi pour autant à détecter les scandales des majorations de factures, révélés en 2012. Le problème ne réside pas dans l'instauration du Credoc puisque les mêmes pratiques de fraudes ont été enregistrées quand le moyen de transfert libre était en vigueur. Il y a nécessité de revoir quelques aspects de la réglementation régissant le commerce extérieur mais sans renoncer au principe de son ouverture car le verrouillage n'est pas la solution idoine dans le contexte de la mondialisation des échanges.