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Ben Bella, l'homme, le mythe et l'histoire
Publié dans Le Maghreb le 12 - 04 - 2018

Venu au monde pendant la Première Guerre mondiale, à l'heure où ses compatriotes tombaient à Verdun, Ahmed Ben Bella, premier président de l'Algérie indépendante, disparaît au moment où l'hégémonie américaine, qu'il a combattue sans relâche, commence à être contestée moins par Al-Qaïda que par l'Inde et la Chine, dans un contraste frappant avec les espérances d'un monde arabe qui avait guidé naguère son engagement tiers-mondiste et nassérien.
Commencée aux temps héroïques de l'aviation et du cinéma, cette longue vie de l'homme privé, qui s'achève à l'ère de la totalisation cybernétique et de la menace écologique, contraste avec la brièveté de son accomplissement politique au sommet : six mois (1949-1950) en tant que chef de l'Organisation spéciale (OS), deux ans et demi à la tête de l'Etat algérien (1962-1965), de part et d'autre de la guerre d'indépendance. Mais il n'y a pas de relation automatique entre la longévité d'un mandat et l'importance historique d'une action politique, ni de proportionnalité entre la durée d'une position de pouvoir et la vivacité d'une trace mémorielle.

Le temps de l'engagement (1945-1950)
En 1945, Ahmed Ben Bella est un héros de guerre, décoré de la médaille militaire. Mais pour ses compatriotes, il reste un inconnu. Jusqu'ici, la politique est restée loin de lui. En moins de trois ans, elle va le porter au premier plan. Sans doute y a-t-il un temps de latence, d'hésitation entre diverses options. Le Rubicon n'est vraiment franchi par l'ancien adjudant que quand il rejoint le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), le parti indépendantiste de Messali Hadj, créé officiellement en octobre 1946. Il est de toutes les réunions officielles, attaquant le pouvoir local, et plus encore l'administrateur et ses caïds. Placé parmi les têtes de liste de la formation lors des élections municipales de mars 1947, Ben Bella se voit attribuer par le conseil municipal, après une première épreuve de force gagnée contre les Européens du premier collège, le soin d'organiser la distribution des bons de ravitaillement dans la population " indigène ". Du point de vue politique, c'est un poste délicat mais privilégié, favorable aussi bien à l'esquisse d'un patronage clientéliste qu'à un renforcement de l'organisation. Il s'en acquitte efficacement ; son prestige personnel s'en trouve considérablement renforcé, tant dans la population que dans le parti. À 28 ans, Ben Bella est désormais l'une des personnalités de la ville, et l'un des principaux cadres locaux et régionaux de son organisation.

Clandestinité
Mais tout s'accélère. En moins de deux ans, son statut change du tout au tout. Coopté au comité central - peut-être avec la caution du Dr Lamine Debaghine, alors au faîte de son prestige au sein du MTLD, et numéro un de celui-ci derrière le " père du parti " (Messali) -, Ben Bella est également appelé à rejoindre l'Organisation spéciale (OS, paramilitaire), alors en voie de constitution. Ses états de service parlent pour lui. Il passe dans la clandestinité, supervise la mise en place de l'OS en Oranie, dont il devient le premier chef régional, et prépare avec Hocine Aït Ahmed, qui dirige l'opération, le " hold-up " de la poste d'Oran. La crise interne au MTLD lui offre de nouvelles opportunités. L'exclusion de Lamine ne lui nuit pas, l'affaire dite " berbériste " lui profite. Derrière Messali, chef tutélaire, l'équipe d'Alger-Centre, dirigée par Lahouel, reprend les choses en main. Aït Ahmed, l'un des principaux cadres de Kabylie, qui avait été promu à la tête de l'OS, est écarté. Ben Bella, auquel on avait déjà confié la responsabilité du comité de coordination inter-wilayas (CO), pièce essentielle de l'appareil politique du parti, est coopté à sa succession au début de l'automne 1949. Personne ne le connaît en dehors de sa ville natale. Pourtant, l'ancien adjudant des tabors est d'ores et déjà l'un des quatre ou cinq principaux dirigeants du premier parti politique algérien.

L'OS démantelée
Mais l'OS est découverte par la police en mars 1950, par suite d'une opération répressive interne ayant mal tourné. En trois mois, l'organisation est démantelée (sauf dans les Aurès), même si quelques cadres importants échappent à l'arrestation, sans compter les évasions ultérieures. Ben Bella, dernier chef en titre, est arrêté en mai. Il voudrait assumer haut et fort son engagement " révolutionnaire ". À l'inverse, la direction du MTLD, soucieuse de protéger le parti et d'infléchir sa stratégie, crie au " complot colonialiste ". Elle reproche son indiscipline à Ben Bella, qui finit par rentrer dans le rang. Mais elle a par ailleurs du mal à cacher et caser certains clandestins rescapés de l'affaire et à contenir la colère d'une partie d'entre eux, convaincus d'être délibérément sacrifiés. Ceci ne fait que différer l'expression de contradictions internes d'autant plus insidieuses et durables qu'aucun des grands protagonistes ne les mettra clairement en débat lors du congrès de 1953, l'accumulation des tensions conduisant à l'explosion de 1954 mais aussi à l'implosion ultérieure d'une " révolution " pourtant victorieuse. Un contentieux jamais surmonté s'ouvre, qui nourrira le conflit ultérieur entre " activistes ", " centralistes ", et " messalistes ", puis la polémique entre frères ennemis du Front de libération nationale (FLN).

Prisonnier volubile
Enfin, dès 1950, et jusqu'à aujourd'hui, les adversaires les plus acharnés de Ben Bella - dont certains auront effectivement eu à souffrir sous son gouvernement après 1962 - font valoir son comportement peu glorieux devant la police, puisqu'il a parlé sans avoir été torturé. Le fait, au demeurant, est exact. Mais en réalité, la police des renseignements généraux (PRG) sait déjà presque tout sur l'OS, et le volubile prisonnier s'est bien gardé de parler de ce qu'elle ignore encore, et ignorera jusqu'au bout : le rôle des Aurès (qui ne sont donc pas touchés), la localisation de dépôts d'armes restés à l'abri, sans parler de la réserve logistique frontalière que constitue Maghnia.

Des origines modestes (1916-1945)
Premier président de l'Algérie et héros de la guerre d'indépendance, Ahmed Ben Bella est décédé à l'âge de 95 ans, le mercredi 11 avril 2012, à son domicile d'Alger. À cette occasion, l'historien Omar Carlier a rédigé pour Jeune Afrique une biographie de cet homme qui a marqué l'histoire de l'Algérie contemporaine. Il relate ici les trente premières années de la vie de Ben Bella. Ahmed Ben Bella est venu au monde dans l'extrême ouest algérien le 25 décembre 1916 à Maghnia, un ancien marché rural placé sous la protection de la sainte éponyme, qu'on dit originaire de Marrakech. Le père du petit Ahmed s'est installé ici peu avant 1900. Il y épouse peu après sa cousine. Il y ouvre un fondouk (sorte d'auberge), obtient en concession une terre de trente hectares, mais pierreuse et sans eau, que les aînés de ses fils s'efforceront tant bien que mal de faire fructifier.
Ahmed, l'avant-dernier des cinq garçons d'une fratrie de huit, renoncera plus tard à prendre définitivement la relève, à travailler lui-même une terre ingrate sur laquelle ses droits seront d'ailleurs contestés, sans doute pour des raisons politiques. Le futur président algérien est donc marocain et " berbère " par ses origines, rural et provincial par son statut social.
Le fils du moqaddem est aussi un élève sportif et convivial, longtemps en quête de lui-même. Le père ne fait pas obstacle à l'inscription d'Ahmed à l'école coloniale, ni au prolongement de sa scolarité au-delà du certificat d'études, puisque le garçon a montré qu'il avait les aptitudes nécessaires. Mais il ne s'accroche guère aux études. Suffisamment toutefois pour parvenir au niveau du brevet et acquérir une excellente maîtrise du français, tant orale qu'écrite, dont témoignent ses lettres ultérieures. Son niveau en arabe classique ou moderne est plus que faible et génère un complexe et une frustration qu'on retrouvera plus tard. Pour ce qui est de la langue maternelle, il ne semble pas que les parents aient cherché à transmettre la langue berbère de leurs ancêtres, ni que l'enfant se soit attaché à celle-ci. Ben Bella sera un nationaliste arabe francophone, et un Berbère réfractaire au " berbérisme ".

En garnison à Marseille
Revenu à Maghnia sans le sésame du diplôme, Ben Bella retrouve ses copains d'enfance et anime l'équipe de foot. Mais après avoir végété un temps au fondouk et sur la parcelle de son père, puis travaillé un court moment à la SAP, il est finalement appelé à l'armée. Comme tant d'autres avant lui, il fait l'expérience de l'écart entre colonie et métropole quant au traitement des " indigènes ". La ville de Marseille, où il est en garnison, lui plaît. Il y fait ses classes, suit un peloton, est nommé adjudant. Il retrouve des compatriotes - dont l'étudiant en médecine Nekkache, qu'il nommera en 1962 ministre de la Santé - et confirme son talent de footballeur, sans parvenir à s'imposer à l'OM, pour lequel il jouera néanmoins un match officiel. Il se distingue dans la défense antiaérienne de la ville, avant d'être démobilisé, en juillet 1940, et de regagner Maghnia.

Médaille militaire
Rappelé à l'été 1943 dans les tirailleurs algériens, muté ensuite dans les tabors marocains où l'état d'esprit est bien meilleur, il fait la campagne d'Italie. C'est l'un des moments essentiels de sa vie, à la fois comme expérience humaine et comme mise à l'épreuve concrète de la guerre, vécue en première ligne. C'est aussi son second titre de gloire. Si le récit de guerre qu'il nous laisse est enjolivé, sa bravoure au feu est incontestable. Les quatre citations et la médaille militaire ne doivent rien à la légende ; elles vont simplement la servir. Mais bien avant que celle-ci ne prenne corps, elles accentuent chez leur récipiendaire le choc éprouvé par l'ensemble des soldats algériens regagnant leurs foyers, en mai et juin 1945. À Oujda, après une permission à Maghnia, le héros de Monte Cassino, qui a perdu trois de ses frères à la guerre, apprend presque simultanément la fin du conflit et la répression sans mesure du soulèvement de Sétif, au lendemain du 8 mai. Il n'est plus question de rempiler. Pour le jeune Ben Bella, se profile le temps de l'action politique.

Une soirée avec Ben Bella
Dans un article paru dans le n° 2626 de Jeune Afrique (daté du 8 au 14 mai 2011), le premier président de l'Algérie indépendante a livré ses vérités au cours d'une soirée mémorable.
Resté très proche d'Ahmed Ben Bella, Mohamed Benelhadj, ancien secrétaire général du Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA), le parti qu'avait créé l'ex-président algérien après sa libération, en 1980, nous avait prévenus : " Si je le lui demande, Si Ahmed vous recevra sûrement volontiers un soir pour évoquer à bâtons rompus tous les sujets que vous voudrez, mais pas sous la forme d'une interview formelle.
" La promesse sera tenue in extremis, vingt-quatre heures avant notre départ, lors d'un petit séjour à Alger et dans ses environs dont l'objet était de réunir quelques derniers témoignages et de visualiser des " éléments de décor " pour un livre en chantier sur la guerre d'indépendance. Décidée le matin même, l'entrevue aura lieu juste après le dîner, vers 20 heures, dans la vaste et confortable villa El-Menzel, située dans le quartier Paradou, à Hydra, sur les hauteurs d'Alger. C'est là que vit tranquillement, en compagnie de sa fille Mahdia - son épouse Zohra est morte il y a un an -, le premier leader de l'Algérie d'après 1962. Directement intéressé par les propos de Ben Bella, puisqu'il envisage de mener à bien d'ici à deux ans une biographie de ce dernier, Benelhadj nous aidera à maintes occasions à faire parler notre interlocuteur. Pour traduire certains de ses propos - ou un mot - qui ne lui venaient à l'esprit qu'en arabe quand la fatigue et quelquefois une mémoire défaillante - " cela se brouille dans ma tête ", dit-il alors - laissaient les questions sans réponse ou le conduisaient à s'éloigner trop longtemps du sujet abordé. Mais, avouant pour sa part 94 ans - certains pensent même qu'il est en réalité plus âgé -, l'ancien responsable le plus connu du FLN n'eut en général besoin d'aucune aide - et de moins en moins au fil de la discussion - pour affirmer avec conviction pendant une bonne heure et demie, souvent il est vrai à l'occasion d'apartés, ses vérités sur son parcours et sur l'état de la planète, à commencer, bien entendu, par celui de l'Algérie et du monde arabe.

Tout sourire
Nous pensions le voir dans la pièce qui lui sert de bureau, où nous avons patienté devant un beau portrait en noir et blanc le représentant à l'époque où il était au pouvoir. Devant nous, une petite table transparente sur laquelle sont disposés deux superbes Corans et sous laquelle est exposé un sabre magnifique - une arme qui a appartenu, m'assurera-t-on, à l'émir Abdelkader et qui serait un cadeau d'Abdelaziz Bouteflika. Finalement, quittant ce lieu empli de souvenirs et de photos de famille ou en compagnie de personnalités - avec Che Guevara, des responsables américains… -, nous retrouverons un Ben Bella très accueillant dans un salon à l'autre bout de la villa. Vêtu d'un pyjama aux rayures multicolores sur lequel il porte une djellaba blanche très légère, il nous invite à nous installer à ses côtés sur un divan - sans doute pour qu'il puisse nous entendre de sa meilleure oreille, car il n'aime pas mettre son appareil auditif. Ce qui nous place tous les deux face à un tableau figurant une belle femme volontaire au regard extraordinairement perçant - nous apprendrons qu'il s'agit de sa mère. Souriant et chaleureux, au point de poser parfois son bras sur notre épaule, s'exprimant de sa voix grave qui dérape souvent vers les aigus, il acceptera sans façon que ses propos soient enregistrés. Il ne craindra pas pour autant de parler crûment de nombreux sujets.
Après lui avoir demandé s'il suivait toujours de près l'actualité - " bien sûr?! " -, nous l'interrogeons pour recueillir les sentiments que lui inspire l'effervescence actuelle dans le monde arabe. Il parle d'une région " en ébullition " et trouve " naturel " qu'on s'agite pour " aller de l'avant ". D'autant qu'il y a de bonnes raisons de vouloir " dépoussiérer " - c'est le vocable très modéré qu'il emploie - les régimes en place. Il ne pense d'ailleurs " pas du tout " qu'on puisse parler de révolution pour qualifier les changements en cours depuis plusieurs mois, en particulier en Tunisie. Quand on évoque les Tunisiens, il ne peut s'empêcher d'ailleurs - ce qui n'est peut-être pas sans rapport avec son scepticisme sur leur capacité à réaliser une véritable révolution - de les comparer immédiatement avec les Marocains, " qui, eux, sont de vrais combattants " et " pas des poules mouillées ". La figure qui lui vient à l'esprit pour illustrer son propos sur les Marocains est celle d'Abdelkrim, héros de la guerre du Rif contre les puissances coloniales espagnole et française, dans les années 1920. Ses réserves à l'égard des Tunisiens ne semblent pas étrangères à son rejet sans appel de la personne de Bourguiba. D'ailleurs, elles ne l'empêchent pas de reconnaître qu'on a pu voir ces derniers mois en Tunisie des hommes prêts à courir des risques pour provoquer le changement. Mais ne trouve-t-on pas " dans tous les pays " des gens " prêts à prendre les armes pour quelque chose "??

Un pays "pas facile"
Et l'Algérie?? Risque-t-elle aussi de voir son régime ébranlé par le " printemps arabe "?? " Je ne le voudrais pas ", répond-il immédiatement, avant de signifier plus tard qu'il ne croit pas qu'un scénario de rupture serait bénéfique à son pays. " Nous avons quelqu'un qui est là, je préfère que cela reste comme cela ", poursuit-il, en défendant la personne de Bouteflika. Parce que ce qui viendra après pourrait ne pas être à la hauteur des aspirations du peuple?? " C'est cela ", acquiesce-t-il. Tout en affirmant qu'il n'est pas d'accord avec Bouteflika sur beaucoup de points. Qu'il préférerait " autre chose ". Mais s'" il y a des moins et des plus chez lui, pour l'instant, c'est le moins mauvais, et je m'en contente ". Car, poursuit-il en expert, " l'Algérie, vous savez, c'est un pays pas facile ". Un jugement qu'il répétera plusieurs fois au cours de l'entretien, le plus souvent en disant que " diriger les Algériens, c'est vraiment pas facile ". Ce qu'il voit manifestement de plus évident à reprocher au président algérien actuel, c'est d'abord… qu'" un homme de son âge ne soit pas encore marié ". Mais, ajoute-t-il en souriant, " il n'est jamais trop tard pour bien faire ". Quoi qu'il en soit, " il est comme un petit frère pour moi ", et " je voudrais qu'il ne lui arrive rien de mal ". Considère-t-il que l'Algérie, presque cinquante ans après l'indépendance, a achevé sa libération et peut prétendre avoir réalisé un parcours satisfaisant?? " Non ", dit-il sans hésiter. D'abord parce que l'Algérie, qui fut un exemple pour les autres pays du Tiers Monde en matière de développement - entendre?: pendant les premières années de l'indépendance -, ne l'est plus. Mais aussi et surtout parce qu'elle n'a pas encore véritablement exploité ses énormes potentialités économiques, ce qui en fait " un pays plein d'avenir ". En effet, " nous n'avons pas utilisé tous nos arguments, même si nous sommes le quatrième producteur mondial de gaz. Le Sahara, le plus grand désert du monde, regorge de ressources ".
On n'en saura pas plus sur sa vision actuelle du développement du pays. Pense-t-il, cependant, que l'avènement d'une véritable union du Maghreb constituerait un pas important dans la bonne direction?? Il répond par l'affirmative, avec un enthousiasme certain?: " Il faut faire le Maghreb. Les frontières devraient être ouvertes. Et c'est tout à fait possible. Comment pourrais-je penser autrement alors que, même si je suis né en Algérie, même si j'y ai vécu, même si j'ai été le chef de la révolution algérienne, ma mère et mon père étaient tous deux marocains. " D'ailleurs, " il n'y a rien, pas le moindre accident géographique, qui sépare l'Algérie du Maroc. Dans la région d'Oujda, en particulier, on se ressemble comme deux gouttes d'eau des deux côtés de la frontière, qui est restée ouverte pendant longtemps. Et puis je n'aime pas les frontières de toute façon. J'aimerais vivre dans un monde sans frontières ".
Mais pourquoi, alors, n'a-t-il pas agi dans ce sens quand il était au pouvoir?? La question du Maghreb n'a pas pu être posée, car il était " impossible de faire cela avec Hassan II ". Il suffit effectivement de l'entendre parler de l'ancien roi du Maroc, son " ennemi ", " un florentin ", pour imaginer qu'il lui aurait été difficile de trouver un accord avec lui. Alors que son père, Mohammed V, était, lui, " un brave type ", avec qui il aurait été possible de s'entendre. Et que pense-t-il de Mohammed VI?? Que du bien?: " C'est un type sympathique. "
Quand on lui demande de quoi il est le plus fier en regardant rétrospectivement son parcours, Ben Bella ne pense pas à sa présidence dans les années 1960. Ce qui lui vient immédiatement à l'esprit, c'est " la poste d'Oran ", où " j'ai volé de l'argent ". C'est en effet grâce à l'attaque de cet établissement, en avril 1949, par un commando de l'Organisation spéciale (OS) - créée dans la clandestinité en 1947 par le parti nationaliste de Messali Hadj, le PPA-MTLD -, que les indépendantistes algériens purent financer un temps le groupe de militants chargé de préparer la lutte armée contre le colonisateur et qui sera plus tard le fer de lance du déclenchement de la guerre en 1954. " C'est l'OS, rappelle-t-il avec fierté, qui a servi à faire le 1er novembre. " Quel rôle a-t-il joué dans cette attaque, le patron de l'OS à l'époque étant Hocine Aït Ahmed?? Dans ses Mémoires, ce dernier affirme en avoir été le principal organisateur, avec pour adjoint Ben Bella, lequel lui succédera à la tête de l'OS. Mais pour l'ex-président, " même si je respecte Aït Ahmed ", bien qu'il ait été souvent " beaucoup plus Kabyle qu'Algérien ", l'organisateur principal du coup, " jusqu'au moindre détail, c'est moi ".

Facilitateur
Tout comme, dira-t-il à plusieurs reprises, sans fausse modestie, " le 1er novembre, c'est moi ". Que veut-il dire par là, puisque, même s'il a été le dernier chef de l'OS avant son démantèlement en 1950, il ne fut que l'un des neuf chefs " historiques " qui ont créé le FLN et lancé le combat final pour la libération de l'Algérie en 1954?? Il précise alors qu'il ne cherche pas à exagérer son rôle, mais simplement à dire qu'il ne fut pas facile avant le déclenchement de la lutte armée de faire travailler ensemble les divers responsables du soulèvement et que c'est lui qui a réussi à aplanir les difficultés, à parler à tous de façon telle que la plupart des obstacles ont pu être surmontés. Il pense en particulier à la coordination et à la cohésion du groupe des pionniers du FLN qui n'allaient pas de soi.
D'autant que, " parmi eux, il y avait des Kabyles " - il pense bien sûr surtout à Krim Belkacem, avant tout un " type très courageux " à ses yeux. Evoquant au passage quelques-uns des dirigeants du FLN pendant la guerre, il ne fait pas mystère, en revanche, du peu de considération qu'il avait pour Abane Ramdane, la tête politique du FLN à Alger en 1955 et 1956, qui l'a empêché - cela ne fait pas de doute pour lui - d'aller assister au fameux congrès de La Soummam, en 1956. Et, à un moindre degré sans doute, pour Mohamed Boudiaf, qui n'était pas, selon lui, un véritable combattant, " zéro sur le plan militaire ". Quoi qu'il en soit, il n'approuve pas les éliminations physiques de dirigeants. Il n'a jamais approuvé en particulier celle d'Abane, en 1957, et s'est dit mécontent, assure-t-il, dès qu'il l'a apprise. Quant à Messali Hadj, chef nationaliste qui n'a pas rejoint le FLN, il fut avant la guerre un homme courageux, mais " il faisait trop de cinéma, il jouait trop un personnage ", avec sa barbe, sa tenue vestimentaire.
La guerre aurait-elle pu être plus courte si d'autres décisions avaient été prises?? Peut-être. " Excusez-moi de parler ainsi ", mais il est certain que " nous avons fait énormément de conneries ". Même si " je suis peut-être celui qui s'est le moins trompé ". Cependant, la durée des combats, " ce n'est pas de notre faute ", cela dépendait surtout des Français, si puissants en face de nous, qui " étions bien plus faibles ". L'arrivée au pouvoir de De Gaulle en France a-t-elle plutôt compliqué ou facilité la solution?? Il est clair pour lui que l'arrivée au pouvoir de cet homme, " qui est au-dessus de tous les autres ", ne pouvait être qu'une bonne nouvelle. La direction du FLN n'a-t-elle pas pourtant été dubitative pendant un bon moment?? Lui, en tout cas, n'a pas fait d'erreur de jugement sur de Gaulle. " J'ai pensé tout de suite que c'était une bonne chose, assure-t-il, et cela n'a aucun rapport avec le fait qu'il m'avait décoré lors de la Seconde Guerre mondiale à Monte Cassino. "

Vive l'autogestion?!
S'il n'a pas de réels regrets quant à son action durant la guerre de libération, pense-t-il avoir pris la bonne voie en tant que président avec le choix du " socialisme arabe "?? " C'était un socialisme fondé sur l'autogestion ", tient-il à préciser tout de suite, manifestement peu disposé à se livrer à une autocritique?: " Et c'était ce qu'il fallait faire. " Il reste convaincu d'ailleurs que l'autogestion, qui n'est plus guère à la mode, est le meilleur système, car elle permet de ne pas imposer les décisions, " de discuter à la base, de permettre aux gens d'être engagés dans ce qu'ils font. […] Des gens qui décident à la place des autres, je suis contre, totalement ".
Il n'est donc guère étonnant qu'il se déclare ennemi des idées libérales en vogue depuis la fin du XXe siècle. Et qu'il soit très critique vis-à-vis des Etats-Unis. Il reconnaît, certes, leur puissance sans égal - " actuellement, Dieu, c'est le président américain " -, mais ajoute que ce sont " des tueurs ". Il ne leur pardonne surtout pas - et il insistera sur ce point en y revenant plusieurs fois - leur passé d'exterminateurs de " la race rouge ". Même si les Espagnols ont peut-être été encore plus expéditifs pour éliminer les Amérindiens, des peuples pour lesquels il avoue avoir toujours éprouvé une passion. Les Américains d'aujourd'hui devraient-ils signifier une repentance à ce sujet ? Lui qui ne se dit pas favorable à une telle déclaration de la part de la France à propos de la guerre d'Algérie le souhaiterait manifestement dans ce cas, pour réparer " une faute historique ". Mieux, dit-il en riant, " la terre appartient aux Indiens et il faudrait que les Etats-Unis déménagent, mais ça va être difficile ".
Au moment de se séparer, qu'il n'a pas précipité, le premier président de l'Algérie indépendante ne se dit pas du tout pressé de quitter ce monde. Il se considère en pleine forme physique pour son âge. Ses visiteurs lui disent tous qu'il " n'a pas changé ", qu'il a gardé son corps et son visage de toujours, et il pense que c'est vrai. Aucune raison de le contredire après avoir passé un long moment avec lui jusqu'à 22 heures. Et on peut le croire quand il dit, en réponse à notre dernière question, que, au fond, il se verrait bien centenaire.

Une personnalité réservée et pudique
Ben Bella a remarquablement surmonté l'épreuve exceptionnelle que représentait l'isolement absolu pendant plusieurs années, et un enfermement continu de quatorze ans. Pour une fois, les adjectifs ne sont pas de trop. L'exploit n'est pas politique, mais physique et mental, dans une sorte d'inversion du geste et du temps.

Un mariage tardif
À cette résilience impressionnante, qui nourrit la légende dès sa libération, s'ajoutent deux données significatives du for intérieur, faisant lien entre la vie carcérale et la liberté retrouvée. La première seule, par son côté romanesque, a retenu en son temps l'intérêt des médias. Son mariage tardif, en prison, distingue en effet Ben Bella de tous les autres personnages politiques de son pays et de son temps. On sait que Boumédiène - marié lui-même sur le tard avec une fille de la meilleure bourgeoisie algéroise - a fini par desserrer le carcan. Il a accepté que le prisonnier reçoive quelques visites, d'abord celles de sa mère, une vieille dame presque centenaire, longtemps humiliée par les conditions d'attente des visites, puis celles d'une journaliste, au départ hostile au détenu en tant que sympathisante proclamée de Boudiaf. Mais voici que celle-ci tombe sous le charme du reclus, l'épouse, accepte de le suivre en prison pendant de longues années. Séparément, une fois libres, l'un et l'autre ne fuient pas les questions de la presse, qui observe de son côté une incontestable retenue. L'épouse prend volontiers la parole sur d'autres sujets, puisqu'elle suit l'évolution de son mari dans un énième bricolage politique entre islam et modernité, et porte le voile suivant un mode qui voudrait en fixer l'expression corporelle, avant de se replier définitivement sur son foyer.

Réussite familiale
La seconde donnée touchant à l'intime n'a pas, en revanche, retenu l'attention des publicistes, ni celle des spécialistes. Il s'agit de l'adoption par le couple de deux filles et un garçon handicapé, aussi aimé de ses parents que ses sœurs. Une ultime réussite, familiale cette fois, assez forte pour atténuer la frustration puis les regrets suscités par un final politique un moment entrevu à une toute autre échelle, et d'un tout autre éclat.
Sans attendre de découvrir dans " l'enfance d'un chef " un éventuel " Rosebud ", pour explorer plus avant les liens entre moi social et moi profond, retenons ces indices tardifs qui éclairent les ressorts d'un personnage privé et public plus complexe qu'on ne l'a dit.

Qui était Ahmed Ben Bella?
Ahmed Ben Bella est décédé à l'âge de 95 ans ce mercredi. Retour sur le parcours de ce militant indépendantiste devenu le premier président de l'Algérie et qui rêvait d'incarner le Tiers-Monde émergent.
Ahmed Ben Bella est décédé ce mercredi à l'âge de 95 ans. Lui qui fut le premier président de l'Algérie indépendante de 1962 à 1965, il fut l'un des pionniers du déclenchement de la guerre d'indépendance contre la France, Il a payé son engagement politique de 24 ans de prison, après quoi il s'est voulu l'incarnation du Tiers-Monde émergent. Cet homme, "courageux et bagarreur" selon ses proches, aura combattu toute sa vie. Et même jusqu'à la fin quand les problèmes dus à son âge avancé se sont succédé.
C'est à la frontière marocaine, à Maghnia, qu'il est né le 25 décembre 1916. Ses parents, paysans pauvres du sud marocain, s'y étaient installés. Après des études secondaires à Tlemcen (ouest), Ahmed Ben Bella part en France pour y faire son service militaire. Il adhère en 1937 au Parti du peuple algérien (PPA) du "père" du nationalisme algérien Messali Hadj.
En 1944, il est cité quatre fois à la bataille de Monte Cassino (Italie), où il faisait partie d'une unité d'élite, le 5e régiment de tirailleurs marocains (RTM). Il y a perdu deux de ses frères. Il a été décoré de la Médaille militaire par le général de Gaulle, chef de la France Libre. Il raconte cet épisode dans les colonnes de L'Express en 1995.

Retour en Algérie
Ce sous-officier de l'armée française est bouleversé à son retour en Algérie en 1945 par l'ampleur de la répression française des manifestations d'"indigènes". Il rejoint alors le Parti du peuple algérien, rebaptisé Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) et devient membre de sa troupe de choc, l'Organisation spéciale (OS).
Ahmed Ben Bella se distingue alors en organisant le hold-up de la poste d'Oran pour remplir les caisses de son parti. Arrêté en 1950 et condamné à 7 ans de prison, il s'évade de la prison de Blida en 1952 et rejoint un premier noyau de dirigeants nationalistes algériens installés au Caire. Dans la capitale égyptienne, il se lie d'amitié avec le président Gamal Abdel Nasser, patron des "officiers libres", qui deviendra son mentor politique et apportera un soutien multiforme à sa demande au soulèvement algérien. En novembre 1954, il est l'un des 22 chefs historiques initiateurs du Front de Libération Nationale (FLN) contre la France coloniale.

Ben Bella et De Gaulle...
La guerre d'Algérie pour toile de fond, il retrouve son "adversaire", le général de Gaulle. "J'ai une immense estime pour de Gaulle. Adversaires, nous l'avons été, et l'affrontement a forgé le respect mutuel. Quand il est revenu au pouvoir, en 1958, je savais qu'il serait redoutable, mais la stature historique du personnage me donnait confiance sur le long terme. Chef militaire, c'est lui qui nous a porté les coups les plus durs. (...) De Gaulle n'était pas un politicien. Il avait cette dimension universelle qui fait trop souvent défaut aux dirigeants actuels", disait-il dans cet article datant de 1995.
En octobre 1956, son avion est intercepté par l'armée française au dessus d'Alger. Il est emprisonné en France jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie, en 1962. Il s'allie alors avec le chef d'Etat major de l'Armée de libération nationale (ALN), le colonel Houari Boumediene, et se fait élire, en 1963, premier président de la République algérienne indépendante.

Une courte présidence
Charismatique et populaire, il tente d'implanter le "socialisme autogestionnaire" après son arrivée au pouvoir en septembre 1962. Il rêve d'incarner aux côtés du Cubain Fidel Castro, de l'Egyptien Gamal Abdel Nasser, de l'Indien Nehru et du Chinois Mao Tsé-Toung la lutte "anti-impérialiste" et le "non-alignement" du Tiers-Monde émergent.
Mais il n'est pas resté longtemps à la tête du pays bien que confirmé par les urnes comme chef de l'Etat le 16 septembre 1963. Son compagnon, ministre de la Défense et vice-président, feu Houari Boumediene, dont l'actuel président Abdelaziz Bouteflika avait toujours été proche, l'a renversé en le 19 juin 1965 puis emprisonné.
"Il ne s'attendait pas à être trahi par Boumediène", selon son biographe Mohammed Benelhadj. En 1981, gracié et libéré par le successeur de Boumediène, Chadli Bendjedid, Ben Bella s'exile pour un temps à l'étranger, notamment en France, et fonde le Mouvement pour la démocratie en Algérie (MDA) sans parvenir à mobiliser. Rentré à Alger en septembre 1990, il se retire de la vie politique nationale et se consacre à des dossiers internationaux (Palestine, Irak) et rejoint les "altermondialistes" dans leur lutte contre "la mondialisation capitaliste". Revenu en Algérie après l'élection en 1999 de Bouteflika, il soutient sa politique de réconciliation nationale avec les islamistes et endosse en 2007 sa dernière fonction officielle: président des Sages de l'Union africaine, chargés de la prévention et de la résolution des conflits.

Ce que les Algériens retiennent de Ben Bella
Les hommages à Ahmed Ben Bella, président de l'indépendance algérienne enterré à Alger ce vendredi, se multiplient. Il laisse pourtant une image contrastée dans la mémoire collective. Père de la nation ou dictateur ? Témoignages.
Drapeaux en berne, deuil national, dépouille exposée au Palais du peuple, hommages dans tous les médias… L'Algérie sonne le glas pour Ahmed Ben Bella, 95 ans, premier président de l'Algérie indépendante, enterré sous la pluie à Alger ce vendredi 13 avril. Mais ces effusions contrastent avec la personnalité controversée d'Ahmed Ben Bella et la place qu'il a occupée en Algérie pendant sa présidence et depuis sa destitution en juin 1965. Si l'historien algérien Amer Mohand Amer, interrogé par le quotidien algérien "El Watan", le présente comme un homme "d'envergure historique ayant joué un rôle important dans l'histoire contemporaine de l'Algérie", Ahmed Ben Bella conserve une image plus contrastée dans la mémoire des Algériens. Père de la nation ou dictateur ? Héros symbolique ou figure oubliée ? L'homme ne fait pas consensus.

Héros ou populiste ?
Nadia Guermour, ancienne journaliste qui travaille dans la communication à Alger, retient la figure du héros de l'indépendance : "Il était le président de l'Algérie libre qui a produit un impact fort sur la politique nationale. Il s'est battu pour l'indépendance et ensuite il a créé son parti et il s'est battu pour une Algérie meilleure. Il a fait de son mieux. C'est un triste jour."
Si pour beaucoup ses trois années de présidence reste associées à une période d'effervescence politique et à un renouveau culturel, la réalité est plus complexe. Entre 1962 et 1965, il n'y avait pas de liberté absolue : Ahmed Ben Bella a fait preuve d'autoritarisme et main basse sur tous les rouages de la politique algérienne. Par ailleurs, ses velléités de s'affirmer comme le président de la lutte anti-impérialiste, en s'affichant aux côtés du Cubain Fidel Castro, de l'Egyptien Gamal Adbel Nasser ou de l'Indien Jawaharlal Nehru, ont laissé à certains, un goût amer. Abdelkrim Mekfouldji, retraité de 58 ans qui vit à Blida, ne pleure pas l'ancien président : "Ben Bellah était communiste. Sous son règne, il s'est mis à soutenir les pays révolutionnaires au détriment de l'Algérie. Il s'est battu pour l'Algérie libre mais il n'a pas été un bon président. Et puis c'était un président populiste qui faisait le tour du pays pour nationaliser à tour de bras. Il voulait même nationaliser les hammams, c'est vous dire ! Ça n'a pas de sens !"
Renversé par le coup d'Etat militaire de Houari Boumédiène en juin 1965, Ahmed Ben Bella est ensuite resté 15 ans en prison, devenant un personnage emblématique, synonyme de la privation des libertés humaines. Incarcéré dans des conditions sévères et secrètes, il n'a jamais été jugé par la justice de ceux qui l'avaient renversé.

Un "géant" tombé dans l'oubli
Le régime de Houari Boumédiène [1965- 1978] a mis entre parenthèses son existence officielle. Entre 1965 et 1980, Ahmed Ben Bella, dont le nom ne pouvait même plus être prononcé, est volontairement tombé dans l'oubli. "Ben Bella est devenu un inconnu alors qu'il avait l'ossature d'un géant. Il est comme un Mandela. Il a été marginalisé, effacé de l'histoire. Pour connaître Ben Bella il faut avoir plus de 60 ans ou la curiosité de faire des recherches personnelles. C'est une injustice de l'histoire car on peut ne pas être d'accord mais c'était un grand monsieur. Celui qui ne fait pas d'erreurs est celui qui ne fait rien... On découvre Ben Bella par sa mort", estime Zidane Khoulif, professeur de relations Internationales à Paris.
Rafid Ouahid, journaliste à "El-Khabar", voit dans sa mort un moyen de réhabiliter sa mémoire : "Même s'il a disparu de la scène politique pendant quinze ans, Ben Bella était un grand homme. Pendant sa présidence, il était très discret dans les médias, ensuite, pendant son incarcération, on ne parlait plus du tout de lui. Et quinze ans d'incarcération, ce n'est pas rien. De 1965 - année du coup d'Etat - aux années 1990, il n'a plus été médiatisé. Alors au moins pour sa mort, il mérite de faire la une de tous les journaux !".
Le rôle d'Ahmed Ben Bella dans le mouvement national et l'indépendance de l'Algérie a même été effacé des livres scolaires pour n'y reparaître que dans les années 1980. Gracié par le président Chadli Bendjedid en octobre 1980, Ahmed Ben Bella n'est pas pour autant réhabilité. Il s'est exilé en Suisse en 1981 pour ne revenir en Algérie qu'en 1990. De ces années d'oubli sont nées des générations d'Algériens qui connaissaient à peine le nom de Ben Bella.
Lanine Driad, 35 ans, consignataire maritime à Alger, a fait des recherches personnelles pour connaitre l'ancien président : "Ben Bella ? Je connais plus ou moins son parcours parce que j'ai lu des choses sur lui mais pour les gens de ma génération, le personnage reste flou. On manque d'information sur ce qui s'est passé à l'époque. À l'école, j'ai vaguement entendu parler de lui à la fin de mes études secondaires… En fait, les gens de ma génération ne le connaissent pas. Et on ne peut pas dire que ça les intéresse vraiment…"


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