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Les "Zouafras", ces Algériens pas comme les autres…
Ils viennent de l'intérieur du pays en quête d'une vie meilleure
Publié dans Le Midi Libre le 29 - 09 - 2008

les «Zouafras» ne sont que ces milliers de travailleurs anonymes qui se font exploiter au noir dans le secteur privé : des saisonniers, de travailleurs manuels journaliers, des revendeurs à la sauvette, qui n'ont ni le temps, ni même le luxe de faire la grève, qui ne connaissent même pas la notion de journée chômée et payée et de congé de maladie, comme tous leurs concitoyens protégés par l'Etat et couverts par la sécurité sociale.
les «Zouafras» ne sont que ces milliers de travailleurs anonymes qui se font exploiter au noir dans le secteur privé : des saisonniers, de travailleurs manuels journaliers, des revendeurs à la sauvette, qui n'ont ni le temps, ni même le luxe de faire la grève, qui ne connaissent même pas la notion de journée chômée et payée et de congé de maladie, comme tous leurs concitoyens protégés par l'Etat et couverts par la sécurité sociale.
Ils ont quitté leur campagne natale avec comme seule consolation l'espoir de trouver une vie meilleure. Fuyant la misère et la pauvreté de ces régions intérieures du pays qui ont payé également un lourd tribut au terrorisme, ils «émigrent» à Alger pour chercher un gagne pain à même de leur garantir une vie plus ou moins digne. Qu'ils soient jeunes ou adultes, mariés ou célibataires, ces Algériens pas comme les autres ont tous un point commun : exclus par une société qui les méprise, ils sont devenus au fil du temps les véritables «intouchables» de l'Algérie. Non, ce n'est point une exagération car le vécu de cette catégorie des plus précaires de notre société est digne des plus poignantes tragédies.
A Alger, on les appelle les «Zouafras». Et ce n'est guère les stéréotypes et les préjugés qui manquent à propos de ces ouvriers venus de Tiaret, de Tismessilt, de Médéa et d'Ain Defla. La caricature est telle qu'elle frise quelques fois le racisme. D'ailleurs, le mot "Zoufri" n'est qu'un qualificatif péjoratif dans notre vocabulaire. Un nom d'oiseau que des enfants de la Capitale se lancent pour chambrer leurs camarades.
Et pourtant, les «Zouafras» ne sont que ces milliers de travailleurs anonymes qui se font exploiter au noir dans le secteur privé, des saisonniers, travailleurs manuels journaliers, des revendeurs à la sauvette, qui n'ont ni le temps, ni même le luxe de faire la grève, qui ne connaissent même pas la notion de journée chômée et payée, de contrat de travail, congé de maladie, prime, indemnités, solde de tout compte, comme tous leurs concitoyens protégés par l'Etat et couverts par la sécurité sociale.
"Une vie de chien"
Ahmed, 25 ans et le visage déjà marqué par des rides qui se lisent comme des lignes de souffrance, fait partie lui aussi de ces milliers d'émigrés de l'intérieur du pays qui souffrent en sourdine. Les cheveux et les yeux noirs, le teint brun, les mains cochées par des égratignures et les lèvres racornies, Ahmed mène une vie de galère depuis plus de 5 ans ici, à Alger. Travaillant comme manœuvre dans un chantier à Birkhadem, son parcours est, on ne peut plus typique de celui de tous les autres "Zaoufras" du pays. "J'ai quitté mon douar à Tiaret parce qu'il n'y avait tout simplement pas de quoi vivre là-bas. Ni boulot, ni espoir d'une vie correcte. Je suis venu donc à Alger comme l'a fait avant moi mon cousin, Kadour. Même si je suis traité comme un chien ici, j'ai au moins un boulot qui me permet de vivre et d'envoyer chaque mois quelques sous à ma famille", confie-t-il sans ambages.
"Une vie de chien", c'est l'expression qui revient à chaque reprise dans la bouche d'Ahmed pour qualifier son vécu. "Je travaille dans ce chantier plus de 8 heures par jour et pratiquement toute la semaine. Je suis payé à la journée et si je veux gagner plus d'argent, je dois oublier le repos. Même mes nuits, je les passe ici dans ce chantier car je n'ai nulle part où dormir. Depuis bientôt 5 ans, ma vie n'est rythmée que par le labeur et la galère", raconte-t-il avec beaucoup d'émotion dans le regard.
Ainsi, Ramadan ou pas, rien ne change pour Ahmed. Son seul souci, c'est de gagner de quoi faire vivre sa famille restée à Tiaret. Sa mère et sa sœur vivent seules après la mort de son père suite à une longue maladie. "Dieu merci, il y a quelques restaurants de la Rahma où j'ai pu rompre le jeune pendant ce Ramadan. Mais quand même, il y en a eu beaucoup moins que l'année dernière. La semaine passée, tous les "Zouafras" comme on nous appelle, se sont rassemblés devant les portes d'un petit restaurant appartenant à un particulier de Bir Mourad Rais. Il n'y avait pas assez de places pour accueillir tout le monde. Alors, c'est par la force que des hommes ont tenté de rentrer. Ils criaient tous : j'ai faim, j'ai faim, donnez-nous à manger. La police a du intervenir pour nous disperser. C'était terrible comme spectacle, mais à chaque Ramadan ça se reproduit. Des ouvriers comme moi n'ont pas où aller manger", explique encore notre interlocuteur. Dans le même chantier où "crèche" Ahmed, nous avons pu rencontrer d'autres ouvriers dont le parcours ne diffère pas de celui de notre jeune "Zoufri". Eux aussi se font appeler des "Zouafras" et triment d'une besogne à l'autre pour survivre un tant soi peu dans la dignité. H'mida, 33 ans, est certainement le plus chevronné de ses compagnons d'infortune. Le corps rabougri, les joues estampillées par des cicatrices et les yeux noisettes noyés dans un océan de chagrin, H'mida semble porter sur ses épaules le malheur de sa vie. "En m'installant à Alger, il y a dix ans, j'ai travaillé chez un fermier à Boufarik. Il me traitait comme un esclave. Il me donnait un salaire de misère et me maltraitait comme bon lui semblait. Oui, il croyait que j'étais son esclave", nous assure H'mida qui poursuit plus loin : "Je dormais dans son couvoir sur les nattes à côté des bêtes. C'est bien plus tard qu'il m'a donné une chambrette. Il m'insultait, il me ridiculisait lorsque ça lui chantait. Et un jour, il a osé me frappé avec un gourdin. Je n'étais pas un être humain à ses yeux".
Ne pouvant plus supporter de telles brimades, H'mida a décidé d'abandonner son travail à la ferme. Analphabète et craintif, il n'a guère cherché à déposer plainte pour dénoncer les agissements de son patron. Selon lui, des histoires comme la siennes sont légion dans toutes les fermes de la Mitidja. Formant l'essentiel des travailleurs agricoles, les "Zouafras" originaires de l'intérieur du pays sont injustement exploités par les Fellahs de l'Algérois et traités inhumainement. Depuis, H'mida se pointe chaque matin dans les places publiques de Birkhadem, Bouzaréah, Birtouta, comme des milliers d'autres "Zouafras", pour négocier avec des entrepreneurs privés qui sollicitent régulièrement leur service.
Jardinier, manœuvre, gardien, H'mida a fait plusieurs métiers qui lui ont, à peine, permis d'envoyer un peu d'argent à sa mère au "Bled" à laquelle il pense chaque nuit. Cette semaine, c'est l'Aid. Il devra rentrer pour revoir sa famille dont les membres se sont habitués à son exil. "Que devrais-je faire ? Je n'ai jamais eu le choix. C'est mon destin de mener une telle vie. Je rêve de rentrer un jour continuer ma vie dans mon village. Mais là-bas, tous les horizons sont bouchés. Cravacher à Alger, c'est la seule solution qui me reste pour subvenir aux besoins de ma famille. Mais, désormais, je commence sérieusement à penser à la Harga", affirme-t-il.
De futurs Harraga
Selon plusieurs témoignages que nous avons pu recueillir, nombreux sont ces "Zouafras" qui ont tenté l'aventure de la harga pour fuir un pays qui les enferme dans le dénuement et l'indigence. Le rêve fascine tellement ses jeunes, longtemps façonnés par la dureté de leur quotidien, que certains reconnaissant volontiers vagabonder à Alger pendant quelques mois pour rassembler le prix de la traversée. En tout cas, Mohamed, 23 ans, quant à lui, n'hésitera jamais à se reconvertir en Harraga. "Je n'ai pas peur de ce qui peut m'arriver. Ma vie ici est déjà une condamnation à la souffrance. Les petits boulots que j'arrive à décrocher ici et là me suffisent à peine pour survivre. Croyez-moi, il m'est arrivé souvent de passer une journée sans manger à défaut de pouvoir acheter de la nourriture. Alors pourquoi ne pas aller tenter ma chance en Europe. Beaucoup de mes amis, certes certains sont morts durant la traversée, mais d'autres ont atteint leur rêve et travaillent désormais en Espagne. Quant à moi, je n'ai absolument rien à perdre. S'il est écrit que je dois mourir en haute mer, c'est que ça doit être mon destin, voilà tout", nous apprend sans aucun état d'âme notre jeune interlocuteur.
Lui aussi s'apprête pour le moment à passer l'Aïd avec sa famille à Tismessilt d'où il est originaire. Comme Ahmed, H'mida et des milliers d'autres "Zoufris", il s'est privé durant des mois pour pouvoir offrir à sa famille quelques économies qui leur serviront de frais de subsistance pendant à peine quelques temps. Si le temps d'un Aïd, les chantiers, les places publiques et les fermes de la Mitidja, vont se vider de leurs employés besogneux, dès la semaine prochaine, par contre, nos émigrés de l'intérieur, ou les "Zouafras" comme le veut l'opinion publique, vont retrouver leurs lieux d'infortune et leur quotidien de misérables.
C'est pour cela que l'Aïd chez les "Zouafras" n'est rien d'autre qu'un court répit. Car ces Algériens ne sont vraiment pas comme les autres. Ils risquent en réalité de ne jamais être comme les autres.
S. A.
Ils ont quitté leur campagne natale avec comme seule consolation l'espoir de trouver une vie meilleure. Fuyant la misère et la pauvreté de ces régions intérieures du pays qui ont payé également un lourd tribut au terrorisme, ils «émigrent» à Alger pour chercher un gagne pain à même de leur garantir une vie plus ou moins digne. Qu'ils soient jeunes ou adultes, mariés ou célibataires, ces Algériens pas comme les autres ont tous un point commun : exclus par une société qui les méprise, ils sont devenus au fil du temps les véritables «intouchables» de l'Algérie. Non, ce n'est point une exagération car le vécu de cette catégorie des plus précaires de notre société est digne des plus poignantes tragédies.
A Alger, on les appelle les «Zouafras». Et ce n'est guère les stéréotypes et les préjugés qui manquent à propos de ces ouvriers venus de Tiaret, de Tismessilt, de Médéa et d'Ain Defla. La caricature est telle qu'elle frise quelques fois le racisme. D'ailleurs, le mot "Zoufri" n'est qu'un qualificatif péjoratif dans notre vocabulaire. Un nom d'oiseau que des enfants de la Capitale se lancent pour chambrer leurs camarades.
Et pourtant, les «Zouafras» ne sont que ces milliers de travailleurs anonymes qui se font exploiter au noir dans le secteur privé, des saisonniers, travailleurs manuels journaliers, des revendeurs à la sauvette, qui n'ont ni le temps, ni même le luxe de faire la grève, qui ne connaissent même pas la notion de journée chômée et payée, de contrat de travail, congé de maladie, prime, indemnités, solde de tout compte, comme tous leurs concitoyens protégés par l'Etat et couverts par la sécurité sociale.
"Une vie de chien"
Ahmed, 25 ans et le visage déjà marqué par des rides qui se lisent comme des lignes de souffrance, fait partie lui aussi de ces milliers d'émigrés de l'intérieur du pays qui souffrent en sourdine. Les cheveux et les yeux noirs, le teint brun, les mains cochées par des égratignures et les lèvres racornies, Ahmed mène une vie de galère depuis plus de 5 ans ici, à Alger. Travaillant comme manœuvre dans un chantier à Birkhadem, son parcours est, on ne peut plus typique de celui de tous les autres "Zaoufras" du pays. "J'ai quitté mon douar à Tiaret parce qu'il n'y avait tout simplement pas de quoi vivre là-bas. Ni boulot, ni espoir d'une vie correcte. Je suis venu donc à Alger comme l'a fait avant moi mon cousin, Kadour. Même si je suis traité comme un chien ici, j'ai au moins un boulot qui me permet de vivre et d'envoyer chaque mois quelques sous à ma famille", confie-t-il sans ambages.
"Une vie de chien", c'est l'expression qui revient à chaque reprise dans la bouche d'Ahmed pour qualifier son vécu. "Je travaille dans ce chantier plus de 8 heures par jour et pratiquement toute la semaine. Je suis payé à la journée et si je veux gagner plus d'argent, je dois oublier le repos. Même mes nuits, je les passe ici dans ce chantier car je n'ai nulle part où dormir. Depuis bientôt 5 ans, ma vie n'est rythmée que par le labeur et la galère", raconte-t-il avec beaucoup d'émotion dans le regard.
Ainsi, Ramadan ou pas, rien ne change pour Ahmed. Son seul souci, c'est de gagner de quoi faire vivre sa famille restée à Tiaret. Sa mère et sa sœur vivent seules après la mort de son père suite à une longue maladie. "Dieu merci, il y a quelques restaurants de la Rahma où j'ai pu rompre le jeune pendant ce Ramadan. Mais quand même, il y en a eu beaucoup moins que l'année dernière. La semaine passée, tous les "Zouafras" comme on nous appelle, se sont rassemblés devant les portes d'un petit restaurant appartenant à un particulier de Bir Mourad Rais. Il n'y avait pas assez de places pour accueillir tout le monde. Alors, c'est par la force que des hommes ont tenté de rentrer. Ils criaient tous : j'ai faim, j'ai faim, donnez-nous à manger. La police a du intervenir pour nous disperser. C'était terrible comme spectacle, mais à chaque Ramadan ça se reproduit. Des ouvriers comme moi n'ont pas où aller manger", explique encore notre interlocuteur. Dans le même chantier où "crèche" Ahmed, nous avons pu rencontrer d'autres ouvriers dont le parcours ne diffère pas de celui de notre jeune "Zoufri". Eux aussi se font appeler des "Zouafras" et triment d'une besogne à l'autre pour survivre un tant soi peu dans la dignité. H'mida, 33 ans, est certainement le plus chevronné de ses compagnons d'infortune. Le corps rabougri, les joues estampillées par des cicatrices et les yeux noisettes noyés dans un océan de chagrin, H'mida semble porter sur ses épaules le malheur de sa vie. "En m'installant à Alger, il y a dix ans, j'ai travaillé chez un fermier à Boufarik. Il me traitait comme un esclave. Il me donnait un salaire de misère et me maltraitait comme bon lui semblait. Oui, il croyait que j'étais son esclave", nous assure H'mida qui poursuit plus loin : "Je dormais dans son couvoir sur les nattes à côté des bêtes. C'est bien plus tard qu'il m'a donné une chambrette. Il m'insultait, il me ridiculisait lorsque ça lui chantait. Et un jour, il a osé me frappé avec un gourdin. Je n'étais pas un être humain à ses yeux".
Ne pouvant plus supporter de telles brimades, H'mida a décidé d'abandonner son travail à la ferme. Analphabète et craintif, il n'a guère cherché à déposer plainte pour dénoncer les agissements de son patron. Selon lui, des histoires comme la siennes sont légion dans toutes les fermes de la Mitidja. Formant l'essentiel des travailleurs agricoles, les "Zouafras" originaires de l'intérieur du pays sont injustement exploités par les Fellahs de l'Algérois et traités inhumainement. Depuis, H'mida se pointe chaque matin dans les places publiques de Birkhadem, Bouzaréah, Birtouta, comme des milliers d'autres "Zouafras", pour négocier avec des entrepreneurs privés qui sollicitent régulièrement leur service.
Jardinier, manœuvre, gardien, H'mida a fait plusieurs métiers qui lui ont, à peine, permis d'envoyer un peu d'argent à sa mère au "Bled" à laquelle il pense chaque nuit. Cette semaine, c'est l'Aid. Il devra rentrer pour revoir sa famille dont les membres se sont habitués à son exil. "Que devrais-je faire ? Je n'ai jamais eu le choix. C'est mon destin de mener une telle vie. Je rêve de rentrer un jour continuer ma vie dans mon village. Mais là-bas, tous les horizons sont bouchés. Cravacher à Alger, c'est la seule solution qui me reste pour subvenir aux besoins de ma famille. Mais, désormais, je commence sérieusement à penser à la Harga", affirme-t-il.
De futurs Harraga
Selon plusieurs témoignages que nous avons pu recueillir, nombreux sont ces "Zouafras" qui ont tenté l'aventure de la harga pour fuir un pays qui les enferme dans le dénuement et l'indigence. Le rêve fascine tellement ses jeunes, longtemps façonnés par la dureté de leur quotidien, que certains reconnaissant volontiers vagabonder à Alger pendant quelques mois pour rassembler le prix de la traversée. En tout cas, Mohamed, 23 ans, quant à lui, n'hésitera jamais à se reconvertir en Harraga. "Je n'ai pas peur de ce qui peut m'arriver. Ma vie ici est déjà une condamnation à la souffrance. Les petits boulots que j'arrive à décrocher ici et là me suffisent à peine pour survivre. Croyez-moi, il m'est arrivé souvent de passer une journée sans manger à défaut de pouvoir acheter de la nourriture. Alors pourquoi ne pas aller tenter ma chance en Europe. Beaucoup de mes amis, certes certains sont morts durant la traversée, mais d'autres ont atteint leur rêve et travaillent désormais en Espagne. Quant à moi, je n'ai absolument rien à perdre. S'il est écrit que je dois mourir en haute mer, c'est que ça doit être mon destin, voilà tout", nous apprend sans aucun état d'âme notre jeune interlocuteur.
Lui aussi s'apprête pour le moment à passer l'Aïd avec sa famille à Tismessilt d'où il est originaire. Comme Ahmed, H'mida et des milliers d'autres "Zoufris", il s'est privé durant des mois pour pouvoir offrir à sa famille quelques économies qui leur serviront de frais de subsistance pendant à peine quelques temps. Si le temps d'un Aïd, les chantiers, les places publiques et les fermes de la Mitidja, vont se vider de leurs employés besogneux, dès la semaine prochaine, par contre, nos émigrés de l'intérieur, ou les "Zouafras" comme le veut l'opinion publique, vont retrouver leurs lieux d'infortune et leur quotidien de misérables.
C'est pour cela que l'Aïd chez les "Zouafras" n'est rien d'autre qu'un court répit. Car ces Algériens ne sont vraiment pas comme les autres. Ils risquent en réalité de ne jamais être comme les autres.
S. A.


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