Repu après un repas gargantuesque, Saïd enfile son veston et sort retrouver ses copains pour une interminable partie de coinche. Le thé et le qelb-elouz, il les prendra avec eux. Nos joueurs se donnent à cœur joie, se défoulent sur la cigarette et festoient en ingurgitant toutes sortes de sucreries, le moment tant attendu après plusieurs heures d'abstinence. La soirée se prolonge jusqu'à l'heure d'el-imsak. Un denier morceau de zlabia, et chacun retourne au bercail. Saïd dormira quelques heures avant de rejoindre son lieu de travail. Au volant, il bâille, se frotte les yeux. Il a hâte de s'enfermer dans son bureau pour un petit somme avant sa réunion. Le voilà affalé sur son fauteuil. Il est déjà dans les bras de Morphée quand tout à coup, le téléphone sonne et l'arrache à son sommeil. «La réunion commence dans cinq minutes», lui annonce sa secrétaire. Il se lève d'un bond, met de l'ordre dans ses cheveux, se rince le visage, ramasse ses dossiers auxquels il n'a même pas jeté un coup d'œil et se précipite dans la salle. Il prend place, et dissimule avec difficulté un bâillement. Il scrute les présents et remarque que tous lui ressemblent : les yeux rouges, gonflés par le manque de sommeil, la main sur la bouche, ils bâillent ! Saïd a l'impression d'être sur un nuage, c'est le brouhaha, la cacophonie. Il ne suit pas ce que disent ses collègues. Le sommeil l'étouffe. Il s'échine à participer au débat, mais il n'y arrive pas. Il acquiesce du chef, faisant mine de tout comprendre. Il ne cesse de regarder sa montre, le temps lui paraît tellement long. Il se tortille sur son siège, ouvre une chemise, la referme. Après une demi-heure de palabres, le président de séance met fin à la réunion. Saïd sera le premier à se mettre debout, à quitter les lieux. Il retourne à son fauteuil, ferme la porte à double tour en prenant le soin d'avertir la secrétaire de ne le déranger sous aucun prétexte.