La Chine dispose de capacités exceptionnelles qu'il s'agisse du commerce, des hommes ou des finances, avertit le magazine américain Prospect(*) qui, désespérant de voir un jour ce pays se convertir au capitalisme pour ressembler aux Etats-Unis, se contente de réclamer «un accord mutuellement acceptable». L'auteur de l'article adhère aux thèses de l'administration Trump qui «plaide avec force contre diverses pratiques commerciales chinoises qu'elle considère comme injustes ou discriminatoires» et poursuit la mise en place de «séries successives de droits de douane punitifs». Fondamentalement, ce qui est en cause ici, c'est un modèle de «développement économique dirigé et subventionné par l'Etat» : «Avec le recul de 20 à 20 ans, il est maintenant clair que l'impact de l'entrée de la Chine dans le système commercial mondial en 2001 par le biais de l'Organisation mondiale du commerce a été profondément sous-estimé. Et les hypothèses émises sur l'impact de l'adhésion à l'OMC sur la Chine se sont également révélées complètement hors de propos. La Chine n'a pas fourni l'accès au marché escompté et le contrôle central de l'économie semble plutôt augmenter que reculer.» La direction centralisée, donc planifiée, de l'économie n'a pas empêché ce pays d'être la destination première des investissements directs étrangers (IDE) qui ont généré environ un tiers de son PIB et 27% de ses emplois, l'aidant, par ailleurs, à devenir le plus grand exportateur mondial. Résultat des courses : «Aujourd'hui, la Chine affiche une présence unique et formidable sur la scène mondiale: son économie et sa population sont immenses, accumulant des revenus en hausse et une sophistication technologique croissante, le tout orchestré par un gouvernement central autoritaire à la recherche d'un modèle de capitalisme d'Etat.» Le paradoxe est que les plus grosses entreprises occidentales s'accommodent fort bien du modèle. Bien mieux, elles apportent parfois leur soutien aux «restrictions imposées par la politique chinoise en échange d'un accès aux marchés et de la perspective de bénéfices substantiels». Aussi, «dans de nombreux cas, ces sociétés sont devenues de formidables lobbys dans leurs pays d'origine, conseillant l'abstention et la patience face aux pratiques commerciales de la Chine». Au-delà du volet commercial, la relation de l'Occident à la Chine comprend deux autres domaines aussi importants - «les personnes et l'argent» - qui «contribuent également à renforcer la capacité de la Chine à poursuivre ses objectifs nationaux et à façonner ses relations - économiques, commerciales, stratégiques et diplomatiques - avec d'autres pays et des institutions multilatérales». Au titre de la composante «personnes», les touristes et les étudiants chinois sont une pièce importante du puzzle. L'augmentation des revenus au cours des 20 dernières années produit des «chiffres ahurissants» : 135 millions de Chinois ont voyagé à l'étranger en 2016, contre 4,5 millions en 1995, soit une augmentation de 2 900%. L'incidence financière du phénomène n'est pas négligeable : «Aujourd'hui, aucun pays au monde ne dépense autant que le Chine en tourisme sortant. Les 257 milliards de dollars dépensés par les touristes chinois en 2017 étaient presque le double de ceux dépensés par les Américains (135 milliards de dollars). Pour avoir une idée de ce à quoi ces chiffres pourraient ressembler à l'avenir, gardez à l'esprit qu'environ 92% de la population chinoise n'a pas encore de passeport.» Par ailleurs, plus de 350 000 étudiants chinois sont inscrits dans les universités américaines, en augmentation de 543% depuis 2000. La Chine est de loin le plus grand pays d'origine d'étudiants étrangers aux Etats-Unis — 33% du total —, ce qui n'est pas sans incidences financières pour les institutions d'enseignement et de recherche américaines puisque ces étudiants injectent 12,55 milliards de dollars dans l'économie américaine – «chiffre substantiel qui reflète le fait que les étudiants étrangers des universités publiques paient des frais de scolarité jusqu'à trois fois supérieurs à ceux des étudiants autochtones». «L'impact de la Chine se fait sentir non seulement à travers son tiers de million d'étudiants, mais également grâce au financement qu'elle accorde à l'enseignement et à la recherche sur la Chine. En 2017, la Chine avait financé 525 instituts Confucius, qui dispensent une formation en mandarin et des cours sur la culture et l'histoire chinoises, dans 146 pays et desservant neuf millions d'étudiants. On estime que la Chine consacre environ 10 milliards de dollars au financement des instituts Confucius dans le monde entier et que des sources chinoises deviennent également des bailleurs de fonds majeurs pour les principaux groupes de réflexion et organisations de recherche des Etats-Unis.» Cet effort a pour corollaire une forte «influence» chinoise sur l'orientation des programmes de recherches : des universités auraient annulé «des conférences avec des participants ayant des opinions hostiles à la politique chinoise, et des professeurs et des chercheurs font allusion à une fréquence croissante d'autocensure par crainte d'offenser des sources de financement chinois ou de compromettre leur capacité à mener des recherches». Le troisième volet du triangle — l'argent – ressort de la mise à profit par la Chine de ses IDE «pour soutenir des objectifs plus larges, notamment la mise à niveau des capacités technologiques et l'amélioration du positionnement géostratégique» : «La Chine investit de manière agressive dans des technologies - notamment aux Etats-Unis - qui seront à la base de l'innovation future: intelligence artificielle, véhicules autonomes, réalité virtuelle, robotique.» L'investissement chinois dans la technologie américaine s'est élevé à environ 8,5 milliards de dollars en 2016. A. B. (*) Stephen Olson, «Trade, People, and Money: Understanding China's Unique Capabilities», Prospect, 24 octobre 2018 http://prospect.org/article/trade-people-and-money-understanding-chinas-unique-capabilities