Et voilà qu'un matin ils se sont réveillés, déterminés à ne plus se laisser conter fleurette. Et ils ont annoncé la couleur de cette intention en esquissant un majestueux croche-pied aux mesures prises pour empêcher le recours à la rue. Siffler la fin de la partie à une autorité plus inquiète pour ses privilèges que pour le bien-être d'un peuple contraint à la patience ? Nous étions nombreux à ne plus oser même l'imaginer. Oui, il n'est pas loin le temps où l'on se demandait, au moindre coup de sang, et les coups de sang ne manquent pas, pourquoi protester, conditionnés que nous étions à ne plus tenter de transformer le moindre essai en victoire. Comment espérer qu'un peuple dont plus de dix années de terrorisme ont érodé la résistance, un peuple frappé de paralysie face à un système qui a renforcé ses protections en même temps qu'il lui imposait la retenue pourrait un jour exprimer son ras-le-bol et sa détermination à donner un autre sens à sa vie ? Des populations que l'on disait frappées d'impuissance à puiser la moindre force en elles pour s'opposer à une administration qui n'a jamais perdu le nord et ne le perd toujours pas disent basta. C'est comme si nous nous étions réveillés d'un profond sommeil. D'un coma meublé de frustrations et de silences régulièrement nourris par une incapacité à se défendre d'un mépris qui a travaillé à enterrer les espoirs. Ces rêves jugés sans doute trop ambitieux d'une jeunesse que l'on a punie en la livrant aux traversées meurtrières qui, si elles ne vous sauvent pas, ne vous guérissent pas de cette amertume dont vous savez qu'elle vous collera à jamais, comme une seconde peau. Mourir pour n'avoir jamais pu satisfaire le plus modeste de ses rêves, ils disent depuis quelques semaines que cela ne sera plus. Je n'ai pas envie de me demander comment tous ces jeunes, parce que ce sont eux qui ont construit les marches et transcendé la peur, ont fait pour tout coordonner ! J'ai juste envie de dire combien j'étais émue de redécouvrir les Algériennes et les Algériens aussi beaux et aussi joyeux. Et quand ils se reprennent et battent le pavé pour le faire entendre, j'aime encore plus. M. B.
