Faisons un peu de politique-fiction et revenons aux premiers jours de l'insurrection populaire où les magistrats sont descendus dans la rue. Imaginons qu'ils aient anticipé la lucidité et le bon sens des voix qui s'étaient, spontanément, opportunément et pertinemment, exprimées pour leur dire que ce n'est pas vraiment ce qui était attendu d'eux. Rejoindre le Hirak dans ses espaces populaires, c'est bien. Agir là où on est, où on peut être plus efficace, c'est beaucoup mieux. L'appel, qui n'a pas été entendu, était adressé à d'autres corps professionnels mais celui des magistrats était le plus visible, le plus audible, pour plein de raisons. D'abord parce que le pouvoir judiciaire est celui qui incarne le mieux la nature du… pouvoir. Selon qu'il soit indépendant ou aux ordres, qu'il agisse dans le cadre de la loi ou réponde à l'injonction, on a déjà une idée très nette du régime politique qui le porte. A l'époque, on leur avait d'abord demandé d'ouvrir les dossiers de la corruption, tous les dossiers de la corruption, faire éclater la vérité, toute la vérité et sanctionner en conséquence. On leur a surtout demandé d'agir en toute indépendance, d'avoir le courage et la rigueur morale de leur fonction-vocation et, si possible, révéler quelque grosse affaire qui consacre symboliquement le renouveau de la justice algérienne. La suite nous avait rapidement sortis de la fiction. Et les magistrats avec nous. Partis d'une (fausse) croyance que le mouvement populaire était une fête qu'il ne fallait pas rater parce que son combat était gagné d'avance, sans doute étaient-ils convaincus que les résultats étaient déjà… convenus, ils ont fait comme tous ceux qui se sont précipités pour se faire une place au soleil, voire se payer sa part d'héroïsme à moindres frais. Pour savoir pourquoi les magistrats sont sortis dans la rue et comment ils l'ont si rapidement désertée, il faudra peut-être chercher, à la fois, dans le virtuel et dans la vraie vie. Le virtuel est dans la fantasmatique volonté politique de changer les choses dans la justice et ailleurs. La vraie vie est dans les arrestations-emprisonnements au pas de charge de manifestants pour des accusations qui n'existent dans aucune disposition légale ! Hier, ils ont marché une fois et ils n'ont ni anticipé ni écouté après coup les voix qui leur indiquaient comment être utiles et pourquoi pas… héroïques. Aujourd'hui, ils ont fait grève. On ne connaît pas encore leur niveau de mobilisation mais on sait, déjà, que leur communiqué n'est pas un exemple de précision. Grève pour la liberté ou grève socioprofessionnelle ? C'est tellement imprécis que même la… tutelle ne le sait pas ! On imagine bien que s'il avait compris que l'enjeu était dans les « mutations » ou quelques avantages, le pouvoir ne se serait pas permis le luxe d'une confrontation, il n'en a pas besoin en ce moment. On imagine aussi que s'il avait compris que les grévistes avaient des motivations autrement plus sérieuses, il aurait réagi sur un autre ton. Il a déjà lancé sa menace, pour… moins que ça. L'avantage avec la situation révolutionnaire, c'est que tout se vérifie rapidement. S. L.