De notre correspondante de Rome, Aicha Abdesslem Bien que fortement décrié par les ONG, l'accord que l'Italie avait conclu en 2017 avec la Libye pour bloquer en mer les réfugiés vient d'être reconduit. Signé par le gouvernement de gauche de Gentiloni et maintenu par la droite de Salvini, ce mémorandum fait de l'Italie «la complice de la Libye dans la violation des droits de l'Homme des civils renvoyés en Afrique», selon Amnesty International. Pourtant, afin de se démarquer de la politique répressive du précédent gouvernement, mené par le parti xénophobe de la Ligue, l'actuel exécutif — formé par une coalition entre le Parti démocrate (centre gauche) et le Mouvement Cinq Etoiles — la ministre de l'Intérieur avait promis d'apporter des modifications substantielles au mémorandum originel. La ministre de l'Intérieur Luciana Lamorgese avait, en effet, lors de son intervention devant le Parlement de son pays, en novembre dernier, promis d'apporter des améliorations à l'accord. «J'estime que le mémorandum peut être développé par des interventions qui renforcent le respect des droits de l'Homme et de la dignité des personnes, notamment en rendant plus responsables les autorités libyennes», avait-elle assuré. Mais, ces promesses sont restées lettre morte à cause surtout de l'initiative diplomatique italienne, jugée «ambiguë», et qui a vu le président du Conseil italien Giuseppe Conte recevoir en janvier dernier, le maréchal Khalifa Haftar, à la surprise du Gouvernement d'Union nationale, partenaire officiel de Rome. Ce dernier, qui avait vivement protesté contre cette «trahison», n'avait clairement pas la volonté de rediscuter un accord qui lui garantit un financement substantiel et la promesse de fourniture d'équipement militaire (vedettes, embarcations..) et de formation des gardes-côtes libyens. L'Italie avait consacré un budget de 150 millions d'euros à cette opération, qui s'ajoute à l'enveloppe financière de 328 millions fournis par l'Union européenne depuis 2016. Provoquant la colère des partis de gauche et des ONG italiennes et internationales, le gouvernement de Conte a tacitement prolongé, le 2 février dernier, l'accord initial avec la Libye pour bloquer les réfugiés en mer Méditerranée et pour leur rapatriement dans les centres de détention libyens. Pourtant l'OIM (l'Organisation internationale pour les migrations) avait révélé à la mi-janvier que «953 réfugiés ont été reportés en Libye durant la seule première quinzaine de janvier 2020. Tous ont été fait débarquer à Tripoli et conduits vers des centres de détention». Dans ces centres, comme l'ont dénoncé plusieurs ONG dans une lettre rendue publique en octobre dernier, «les réfugiés sont maltraités, mal nourris, tenus prisonniers dans un espace exigu. Les viols et la traite sont souvent leurs châtiments». Pour sa part, Amnesty International dénonce que depuis l'entrée en vigueur de cet accord en 2016, «40 000 réfugiés, dont des milliers d'enfants, ont été forcés à retourner en Libye». Et pour aggraver encore davantage la position italienne, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés a annoncé, le 31 janvier dernier, «suspendre toutes ses opérations d'assistance aux réfugiés par crainte de devenir la cible de conflits armés». Son chef de mission Jean-Paul Cavalieri a justifié un tel abandon de la base libyenne, ouverte il y a à peine un an, par «l'absence de sécurité pour le personnel et les opérateurs de l'agence onusienne, depuis qu'une base d'entraînement de police et de militaires a été ouverte tout près de notre centre d'accueil». Ce qui signifie, selon les associations de défense des droits de l'Homme, que «les réfugiés libyens seront abandonnés à eux-mêmes, sans témoins des atrocités commises par les Libyens sur les réfugiés, dont des femmes et des enfants». Amnesty International, qui avait invité, en vain, les autorités italiennes à ne pas renouveler l'accord avec la Libye, «ce choix dépasse l'entendement, au vu des preuves sur les souffrances causées par cet horrible accord et de la recrudescence du conflit en Libye». La directrice pour l'Europe de cette organisation, Marie Struthers, a appelé le gouvernement italien à «prétendre de Tripoli la libération de tous les réfugiés détenus dans les centres de rétention libyens et piégés dans une zone en guerre et la fermeture de ces derniers une fois pour toutes». Mais une autre échéance viendra compliquer davantage la position italienne, avec l'expiration du mandat de la mission de surveillance maritime européenne Eunavfor Med, plus connue sous l'appellation de «Opération Sophia» et dont l'Italie est chargée du commandement. En effet, et avant le 31 mars 2020, les pays membres de l'Union européenne favorables au maintien de cette stratégie de lutte contre l'immigration irrégulière devront convaincre les membres sceptiques comme l'Autriche, qui ne veulent plus destiner des fonds à cette dernière. L'actuel exécutif, composé du M5S ayant hérité de la lourde propagande anti-immigrés de l'ancien ministre de l'Intérieur Matteo Salvini dont le slogan martelé était «Ports italiens fermés» aux réfugiés, se trouve dans une position très inconfortable, surtout vis-à-vis de son allié Pd, dont l'électorat revendique plus de respect des droits des réfugiés et l'abandon de la répression de ces derniers via l'exploitation et le financement des méthodes libyennes définies «de tortures des civils et des plus graves violations de leurs droits et dignité de personnes». Le gouvernement Conte, qui n'est pas sorti des urnes (puisque le M5S avait remporté les élections mais sans obtenir la majorité), craint qu'en lâchant du lest dans le dossier de l'immigration, il n'aille verser de l'eau dans le moulin de l'extrême-droite rétive à tout assouplissement dans le dispositif anti-immigration. Leur leitmotiv étant : «Grâce à cet accord, le nombre des personnes débarquées sur la péninsule est passé de 150 000 en 2016, à seulement 11 400 en 2019.» A cela les détracteurs du mémorandum libyen ont répondu en tenant un sit-in de protestation, le 2 février courant, devant la Chambre des députés, à Rome, pour rappeler que la Constitution italienne établit que les accords internationaux doivent être ratifiés par le Parlement ce qui n'a pas été le cas et pour demander son annulation. Le parti radical italien, qui a organisé cette initiative, fustige l'accord, par la voix de l'un de ses fondateurs historiques, Emma Bonino, qui l'a qualifié de «honteux et humainement inacceptable». A. A.